Joseph Cussonneau, héros de 2 guerres
mort pour la France

 

"Dans les années 1950, j'étais dans la "grande classe", celle du certificat d'études de l'école publique de Beaufort en Vallée, dirigée alors par M. Proust. C'était un homme sévère mais humain et juste, respecté de tous. On disait qu'il avait été blessé à la guerre car amputé d'une jambe. Il avait la haine des Allemands et de Pétain, qu'il appelait le "petit petit Pétain".

Au dessus de son bureau était apposée une plaque de marbre rappelant le nom d'un instituteur qui avait enseigné dans cette classe. L'inscription était la suivante : Ici a enseigné CUSSONNEAU Joseph, mort à Mauthausen (Autriche) le 2 mars 1945. A cette époque, je me demandais ce qu'il était allé faire en Autriche, j'ignorais que Mauthausen était un camp de concentration nazi.

A chaque anniversaire, le maître fleurissait la plaque et ne manquait pas de nous rappeler le souvenir de cet instituteur et le respect que nous devions à sa mémoire. J'ai toujours gardé en mémoire cette inscription et, un jour, j'ai voulu savoir qui était cet instituteur et les évènements qui avaient motivé cette plaque du souvenir.

Après de nombreuses demandes près d'associations d'anciens résistants et d'organismes d'archives *, j'ai pu obtenir les dossiers le concernant, sur ses activités de résistant et sur sa déportation. C'est avec beaucoup d'émotion et de tristesse que j'ai pris connaissance de son parcours et de ses souffrances endurées jusqu'à sa mort.

Je croyais tout savoir sur Joseph Cussonneau. Lors d'une récente rencontre à la SLA avec M. Jean Maugeais, domicilié à Mazières en Mauges, nous avons évoqué le souvenir de Joseph Cussonneau, lui-même natif de Mazières en Mauges. M. Maugeais possède, lui, le dossier de notre héros pendant la guerre 14-18, dossier élogieux sur ce valeureux soldat.

Puisque nous avions l'opportunité de réunir ses deux dossiers, d'un commun accord nous avons décidé de lui consacrer ces quelques lignes pour honorer sa mémoire, son courage et son sacrifice.

Voici donc l'histoire de notre "héros de deux guerres", où il suffira bien souvent de transcrire les citations le concernant pour être édifié."

* Bureau des archives des Victimes des conflits contemporains à Caen, BP 552, 14037 Caen cédex.
Service historique de la défense, château de Vincennes, avenue de Paris, 94306 Vincennes cédex.

 


 

Joseph Jacques Albert CUSSONNEAU est né le 7 avril 1889 à Mazières où ses parents tenaient une auberge.

 

la maison natale de Joseph Cussonneau, à droite, avec l'enseigne - elle n'existe plus.

 

Au conseil de révision de 1909, il est exempté de service militaire pour "faiblesse générale". Il est alors instituteur et directeur de l'école publique des Cerqueux de Maulévrier. En 1914, il est reconnu apte au service armé et appelé à l'activité par le décret de mobilisation générale. Il arrive à son corps le 22 février 1915, puis peu après est nommé aspirant et affecté au 131e régiment d'infanterie à Orléans où il arrive le 29 août 1915. Avec ce régiment, il participe notamment à la bataille de la Woëvre, à la bataille des Flandres et de la Somme.

Alors qu'il vient d'être promu sous-lieutenant le 17 novembre 1916, son état de santé se dégrade et nécessite son hospitalisation à Paris.

A sa sortie, il est détaché pour un stage d'essai à la 45e compagnie d'aérostation, puis affecté définitivement dans cette arme le 8 mai 1917. Détaché au 1er groupe d'observation basé à Epinal, il est classé "observateur en ballon captif" et affecté à la 38e compagnie d'aérostation.

Est-ce en raison de son état de santé qu'il a été retiré de l'infanterie, ou n'est-ce pas plutôt en raison de ses connaissances qu'il a été affecté dans l'aérostation ? En effet, le rôle d'observateur en ballon captif ne pouvait être confié qu'à des personnels spécialisés : il fallait savoir lire les cartes d'état-major afin de renseigner l'artillerie au sol sur les mouvements de l'ennemi et régler les tirs. Il devait aussi renseigner le commandement grâce au téléphone. L'observateur et son aide étaient équipés d'un casque téléphonique et d'un micro, de jumelles, de cartes et de parachutes. Ils emportaient aussi leurs provisions car il n'était pas question de redescendre se restaurer.

Il fallait avoir une bonne santé, car le séjour en altitude pouvait se prolonger en fonction des opérations en cours, parfois jusqu'à 17 heures de suite, sans bouger, sans protection contre la pluie, le vent et le froid.

Il fallait aussi un certain courage pour rester si longtemps à une altitude pouvant atteindre 1900 mètres, relié au sol par un simple câble et un fil téléphonique, sous un ballon captif appelé "saucisse" en raison de sa forme, gonflé d'environ 900 mètres cubes d'hydrogène, gaz hautement inflammable.

 

 

A partir de 1917, des améliorations furent apportées : la nacelle en osier fut doublée de toile, carénée pour diminuer la prise au vent et équipée d'un pare-brise. Après une journée d'observation, le ballon et son équipage étaient ramenés au sol grâce à un treuil mécanique monté sur camion, ce qui lui permettait de se déplacer rapidement. Les ballons dits "saucisses" munis d'une dérive étaient plus stables et avaient remplacé les ballons sphériques, incontrôlables dans le vent.

Mais le plus grand danger, et le plus fréquent, était d'être pris pour cible par l'artillerie ennemie ou ses avions mitrailleurs. Les parachutes, bien que moins perfectionnés que maintenant, étaient pourtant bien au point. Ils ont sauvé la vie à de nombreux observateurs, malgré le court délai imparti entre l'attaque et l'incendie de l'hydrogène qui détruisait le ballon en quelques minutes. Avant de sauter, l'équipage devait en outre sauver tous ses documents, ses cartes et son matériel afin qu'il ne tombe pas aux mains de l'ennemi.

 

 

L'honneur voulait que l'observateur qui venait de sauter, s'il n'était pas blessé ou brûlé, remonte le plus rapidement possible.

C'est ce qui est arrivé à Joseph Cussonneau à deux reprises au moins. Pour décrire ces évènements, les deux citations qui suivent valent toutes les explications :

Citation du général commandant la 1re armée du 16 mars 1918 : "Observateur en ballon, ayant passé la première partie de la guerre dans l'infanterie, a toujours fait preuve de beaucoup d'allant. Le 20 février 1918, a été attaqué en nacelle par 4 avions ennemis alors qu'il observait un tir d'artillerie. Atteint d'une balle au bras, n'a sauté en parachute qu'après avoir fait sauter l'élève observateur qui était avec lui." Blessé par balle au bras droit au cours de cette action.

Citation à l'ordre de l'armée n° 141 du 20 septembre 1918 : "Observateur d'un courage remarquable. Le 20 février, est descendu en parachute, son ballon ayant été criblé de balles par un avion ennemi. Ses opérations effectuées, est remonté pour continuer l'observation et a été soumis à un tir précis qui a déchiré le ballon. A fait preuve à l'atterrissage du plus grand sang-froid et a donné ainsi un bel exemple de courage et d'énergie. A déjà été blessé par balle."

Décorations : Croix de guerre - Insigne d'observation en ballon captif n° 952 - Promu chevalier de la légion d'honneur par décret du 10 juillet 1938. JO du 17 juillet 1938

 


 

La paix revenue, Joseph Cussonneau est promu Lieutenant à titre temporaire le 27 mai 1919, puis placé en congé illimité de démobilisation et il déclare se retirer à Montrevault. Affecté comme réserviste au 18e dépôt aéronautique de Nantes.

Après diverses affectations dans la réserve, il est nommé Lieutenant de réserve dans les cadres de l'armée aéronautique, le 20 juin 1923, et affecté cette fois au 2e régiment d'aérostation à Angers.

Le 15 décembre 1936, il est affecté à la base de Toulouse Pérignon, puis rappelé à l'activité le 12 décembre 1939.

Il a 57 ans lorsqu'il est rayé des cadres de l'armée de l'air la 8 janvier 1940.

Son activité dans l'éducation nationale n'a été interrompue que par les périodes effectuées dans les réserves de l'armée de l'air où il avait été maintenu sur sa demande.

Un de ses anciens élèves, Louis Servins, se souvient de l'avoir eu comme instituteur et directeur de l'école publique de garçons de Beaufort, au cours de l'année scolaire 1933-1934. C'est à cette époque, après 10 années dans cette école, qu'il a quitté Beaufort pour aller occuper le poste de directeur de l'école des Cordeliers à Angers.

 


 

La défaite de la France et l'occupation du pays par les Allemands lui sont insupportables. Son honneur de soldat lui commande d'agir. Connu pour ses idéaux de liberté, il est révoqué par Vichy. Dès 1941, il entre en résistance dans le réseau Honneur et Patrie fondé par Victor Chatenay, lui-même officier ancien combattant de la guerre 14/18. Ce sera un des premiers réseaux en Anjou, fondé en 1941. Son effectif atteindra 300 agents, dont 150 pour la ville d'Angers. La première action sera la diffusion d'un journal, puis viendront rapidement la recherche du renseignement et sa transmission vers l'Angleterre, l'aide aux aviateurs alliés abattus, la réception des armes et des agents et les sabotages.

Ces activités ont bien sûr attiré l'attention de l'ennemi, aidé en cela par la milice, les dénonciations et les agents infiltrés, amenant une série d'arrestations. En 1944, 107 agents du réseau sont arrêtés, dont 68 sur Angers. 49 seront déportés, 25 ne reviendront pas des camps.

 


 

Joseph Cussonneau, qui travaillait également pour le réseau Libération Nord a été arrêté par la Gestapo, à son domicile, le 2 février 1944. C'est dans la nuit, vers 3 heures du matin, que cinq membres de la Gestapo, armés de mitraillettes, ont pénétré dans l'appartement et l'ont arrêté avec son épouse. Ils ont aussitôt été conduits rue de la Préfecture pour interrogatoire, puis enfermés à la prison d'Angers. Des témoins habitant l'immeuble ont assisté à l'arrestation où sont également impliqués le directeur de l'école Victor Hugo, l'inspecteur d'académie et les colonels Fournaize et Canard. Madame Cussonneau semble avoir été libérée peu de temps après.

Joseph Cussonneau a quitté la prison d'Angers le 18 mars 1944 pour Compiègne, puis de là le 6 avril pour le camp de concentration de Mauthausen. Il sera affecté ensuite aux commandos de Melk et d'Ebensée.

Le camp d'Ebensée, un des plus durs, dépendant de Mauthausen, était placé sous la direction de SS sadiques. Il était destiné à fournir de la main d'œuvre pour la construction dans la montagne d'énormes tunnels destinés à abriter des usines d'armement et de recherches balistiques. Les prisonniers effectuaient 14 heures de travail par jour dans des conditions inhumaines et sans nourriture, d'où leur état d'épuisement total. En deux ans, 20 000 victimes y auraient perdu la vie. Il est situé à l'extrémité sud du lac Traun, au sud-ouest de Linz (Autriche). Ce camp a été libéré par les Américains le 9 mai 1945. Les tunnels d'Ebensée existent toujours, ils abritent un musée et peuvent être visités.

 

survivants à la libération du camp
http://www.jewishgen.org/forgottencamps/Camps/EbenseeFr.html

 

Les témoignages poignants de deux de ses camarades de captivité nous décrivent les dernières heures de Joseph Cossonneau, alors qu'il se traînait dans les tunnels. Il est mort d'épuisement et de fatigue à l'infirmerie du camp le 2 mars 1945, deux mois avant la libération du camp. Ses derniers mots ont été pour sa femme et ses enfants, Jacques et Michel.

C'est avec beaucoup d'émotion que par ces quelques lignes nous avons voulu retracer le parcours de ce grand soldat et ainsi avoir voulu rendre hommage à sa mémoire et à son sacrifice pour la France et la Liberté.

 

prisonniers affamés du camp de concentration d'Ebensee (7 mai 1945) - http://fr.wikipedia.org

 

 

Citations et décorations

Réseaux de la Résistance Honneur et Patrie (Angers HP) et Libération Nord des Forces Françaises Combattantes

 


 

Camp libre d'Ebensée Ebensée, le 15 mai 1945

Oberdonau

Je soussigné LAFFITTE Jean, chef de camp de l'ex-camp de concentration d'Ebensée, certifie que :
CUSSONNEAU Joseph, n° 62.220, né le 7.4.89 à Mazières
est décédé à l'infirmerie du camp d'Ebensée le 2 mars 1945 et que sa mort a été enregistrée sous le numéro :
Son corps a été incinéré.

Le chef du camp libre d'Ebensée
Signé Laffitte

 


Décision n° 1406

Le Général DE GAULLE, Président du Gouvernement Provisoire de la République Française, chef des armées
CITE A L'ORDRE DU CORPS D'ARMEE
CUSSONNEAU Joseph - D.G.E.R.
agent d'un réseau en territoire occupé par l'ennemi, ardent patriote, n'a cessé jusqu'à son arrestation de servir la France - déporté en Allemagne.
CETTE CITATION COMPORTE L'ATTRIBUTION DE LA CROIX DE GUERRE 1939 AVEC ETOILE DE VERMEIL

Paris le 10/12/45

Le Général DE GAULLE, Président du Gouvernement Provisoire de la République Française,
Chef des Armées
PO le Général JUIN, Chef d'Etat-major général de la Défense Nationale

 


 

France combattante Angers, le 21 février 1947

Réseau Honneur et Patrie
Angers HP

 

ATTESTATION
Nous soussigné Victor CHATENAY, officier de la Légion d'Honneur, Croix de guerre 1914-18 et 1939-45, Chef du réseau Honneur et Patrie (Angers HP), certifions que M. CUSSONNEAU Joseph a appartenu à notre réseau depuis décembre 1940 sous l'indicatif HP 83 en qualité de P1, P2 en février 1944.
Arrêté le 2 février 1944, déporté le 6 avril 1944 à Mauthausen.
PO le Colonel Cottrelle

 


 

France combattante Angers, le 24 avril 1950

Réseau Honneur et Patrie
Angers HP

ATTESTATION
Nous soussigné, Colonel COTTRELLE, commandeur de la Légion d'Honneur, croix de guerre 14-18, TOE et 1939-45, médaille de la Résistance Française, liquidateur du réseau "Honneur et Patrie" (Angers HP), certifions sur l'honneur que l'arrestation par la Gestapo et la déportation de M. CUSSONNEAU Joseph (HP 83), né le 7 avril 1889 à Mazières-sous-Cholet (Maine et Loire), sont le fait de son appartenance au réseau Honneur et Patrie.

 


 

Extrait d'une lettre adressée par M. T….., instituteur à Monguyon (Charente Maritime) à Madame Cussonneau :

"(...) amaigri à l'extrême, incapable de se mouvoir, nous le ramenâmes au bloc. Nous essayâmes de le faire entrer au "revire". Impossible. Deux jours de repos, avait prescrit le docteur. Ce jour-là, nous partîmes au travail sans notre vieil ami. En rentrant, nous le trouvâmes si faible que nous lui enjoignîmes de se représenter à la visite le lendemain. Mais déjà il parlait avec difficulté, sentant approcher l'irrémédiable. Ses pensées, madame, allaient toutes vers vous à cet instant suprême… "Ma femme !" C'est un des seuls mots qu'il put prononcer vers le soir. Auparavant, nous faisant appeler tous les deux, Manceau et moi, il nous demanda d'aller chez lui, quand il ne serait plus, consoler sa femme et expliquer à ses enfants ses souffrances.
Le 2 mars, lorsque nous rentrâmes du travail, son lit était vide. Incapable de se lever pour aller à l'appel à 5 heures du soir, il était mort quelques heures après (...)"

 


 

Extrait d'une lettre adressée par M. B…, député maire de Creil, à Madame Cussonneau :

"(...) La tentative pour entrer à l'infirmerie a été infructueuse, car il ne présentait aucune maladie organique et on refusait d'hospitaliser les détenus qui n'avaient à faire valoir que leur faiblesse extrême. Jusqu'à la veille de sa mort, il s'est péniblement traîné à travers les tunnels et, quand on l'a transporté à l'infirmerie le 2 mars, ce fut pour y expirer quelques heures après son admission.
Tels sont, chère madame, les tristes renseignements que je peux vous donner sur votre cher disparu (...)"

 

 

Réalisé en commun par Jean Maugeais et Yves Meignan - 2014

 

 

 

ici, une page sur Charles Godier, de Saint Léger sous Cholet

là une page sur Jeanne Héon-Canonne, Résistante saint-légeoise

là encore, une page sur Noëlla Rouget, la déportée qui a fait gracier son bourreau

là, une page sur les Saint-Légeois prisonniers de guerre 1940

 

 

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