Claude-Marie TERRIER

sapeur au 11e Génie, Compagnie 27/5

 

"Appartient au 11e génie. Le voilà dans la région de Massiges, au nord de Ville sur Tourbe. Les lignes françaises et les lignes boches sont très rapprochées et la guerre de mines bat son plein. Le sapeur TERRIER est employé à creuser des sapes, des galeries souterraines, à préparer des chambres de mines. Et ce travail se fait à proximité des galeries souterraines de l'adversaire dont on entend le sourd travail. Chaque jour, des explosions se produisent, ensevelissant les occupants, bouleversant les travaux de l'ennemi, creusant des entonnoirs…"

extrait du discours d'Eugène Perrussot

 

 

Sapes et mines

"La guerre des tranchées est un combat continuel sur toute la longueur du front. Son intensité est variable sur la ligne de feu, qui peut s'étaler sur près de 450 kilomètres. Les secteurs s'embrasent là où l'un des adversaires emporte un succès partiel, en grignotant une position qui, souvent, à peine conquise, est aussitôt perdue.
Dans cette guerre, les deux parties sont terrées et l'action du fusil et de la mitrailleuse ne peut être effective que si l'ennemi se décide à sortir de son trou et à donner l'attaque.
L'artillerie a une action plus efficace, mais elle nécessite l'emploi du téléphone pour le réglage du tir, et la dépense en munitions n'est pas toujours en rapport avec le résultat obtenu.
Aussi, pour atteindre l'ennemi jusque dans sa tranchée se sert-on de petits canons et d'obusiers permettant de lancer à de petites distances des projectiles chargés d'explosifs.

Toutefois, dès l'instant où les tranchées ennemies ne sont plus distantes que d'une centaine de mètres, la vraie guerre des tranchées commence. On exécute des sapes, qui permettent de s'avancer à couvert vers l'adversaire, en faisant appel aux troupes du génie.
Tous les 30 mètres, les tètes de sape sont reliées par des parallèles. Lorsque les sapes arrivent suffisamment près de l'ennemi pour que celui-ci puisse arrêter les travaux de pelletage en lançant des grenades ou des bombes, les sapeurs creusent une galerie de mine pour disposer, sous la tranchée ennemie, un fourneau d'explosifs qui peut dépasser 50 tonnes !

Ces fourneaux, dont l'importance de la charge varie avec la profondeur et le terrain, sont en général placés sous un saillant ou sous des points particulièrement tenus (abri de mitrailleuse, fortin...)
L'explosion des fourneaux donne le signal de l'attaque, en même temps qu'elle produit dans le sol des entonnoirs devant détruire les organes de flanquement de l'adversaire et faire brèche dans le réseau de barbelés qui protège son front. Ces entonnoirs sont immédiatement occupés et fortifiés à l'aide de gabions ou de sacs que les sapeurs remplissent de terre.
On y installe - en théorie - une mitrailleuse en attendant que les sapeurs relient cet entonnoir au réseau de tranchées par un boyau de liaison.

Le travail des sapeurs, lorsqu'ils creusent leurs tunnels souterrains, provoque des chocs sourds qui mettent en alerte ceux de la tranchée à faire sauter, lesquels leur envoient leurs propres sapeurs. Il est arrivé que les deux équipes se rejoignent dans un même tunnel, et s'entretuent à l'arme blanche, quelques mètres sous le champ de bataille."

"Histoire de la Première Guerre mondiale" par Pierre Ripert

 

 

Ode aux Sapeurs du Génie

"Pendant plus de quatre ans, les armées françaises, toujours sur la brèche, dans les situations les plus critiques, ont fourni un effort gigantesque. Toutes les armes ont contribué à la victoire, mais les sapeurs du Génie peuvent être fiers du grand rôle qui leur a été confié et de la large part qui leur revient dans le succès final …/…

Les Régiments du Génie, avec ses leurs compagnies et leurs détachements (cyclistes, projecteurs, etc) ont été répartis dans toutes les armées. Aussi, faire l'historique des Régiments du Génie reviendrait à écrire toute la campagne.

Dans toutes les grandes batailles, dans les plus petites opérations de détail, sur tout le front français, des Vosges à la mer du Nord, de la Marne à l'Escaut, parfois même sur le front italien, nous retrouvons des sapeurs …/… Et chaque fois ce sont de nouvelles pertes pour les Régiments (du Génie), mais chaque fois grandit l'auréole de gloire qui s'épanouira pleinement le jour de la Victoire.

De par son rôle, le Génie ne peut pas, comme bien d'autres armes, combattre par grandes unités. Bien souvent les actions d'éclat des petits détachements, les hauts faits individuels, sont passés inaperçus, noyés qu'étaient les sapeurs dans la masse des combattants, mais ils n'en ont que plus de valeur parce qu'accomplis simplement par devoir, par abnégation.

Tous les traits d'héroïsme connus et récompensés ne sont en effet qu'une bien faible partie de ceux qui sont à l'actif des sapeurs du Génie…/… A tout instant le sapeur, sans se soucier du danger, ne songe plus qu'à la mission délicate qui lui est confiée… Qu'il vienne du Massif Central, de la Savoie, des plaines de la Bourgogne ou de la Côte-d'Or, qu'il soit cultivateur, ouvrier, homme de lettres, une fois consacré "sapeur"…, le jeune homme savait qu'il devait être infatigable, courageux, insouciant de la mort qui le guetterait à chaque minute.

Il savait que ses anciens, les pontonniers de la Bérésina, les sapeurs de Malakoff et de Sébastopol, avaient en lettres d'or gravé leur nom dans l'Histoire, il voulait simplement se montrer digne d'eux.

Et pendant quatre années sous les obus et engins de toutes sortes qui semaient la mort, bravant les intempéries, sans trêve, toujours prêts à tout, les sapeurs ont lutté, méritant de voir inscrits sur leur drapeau les noms de toutes les fameuses batailles de la Grande Guerre…/…

Toutes ces magnifiques pages de gloire dont l'ensemble constitue la grande épopée française sont écrites avec le sang de nos morts."

Préface de l'historique du 4e Régiment du Génie

 

 

La Compagnie 27 / 5 du 11e Régiment du Génie est à Ville sur Tourbe, dans la Marne, vers Sainte-Menehould, probablement dès la fin décembre 1914, appuyant la 3e Division d'Infanterie Coloniale (DI). Celle-ci se compose des 3e, 7e, 21e et 23e Régiments d'Infanterie Coloniale (RIC).
A partir du fin mai 1915 et jusqu'à fin août 1915, cette Compagnie du Génie (dans laquelle sert le sapeur Claude-Marie Terrier) assiste dans les travaux logistiques la 30e DI composée des 40e, 55e, 58e et 61e Régiments d'Infanterie (RI).
Elle est aidée par la Compagnie 22 / 3 du 1er Régiment du Génie.

 

 

Ville sur Tourbe, ouvrage Pruneau, mai à août 1915

3e et 7e RIC

"En mai 1915, l'ennemi entreprend l'attaque de Ville sur Tourbe, qu'il convoitait depuis fort longtemps. Depuis plus de huit mois, il ne cessait de bombarder avec une impitoyable obstination cet infortuné village, dont il avait fait une ruine sinistre parmi la floraison de ses vergers.
Les tranchées allemandes qui l'avoisinaient étaient dominées par deux collines crayeuses que nous occupions. Celles ci étaient sillonnées de tranchées rejoignant le village par des boyaux et constituaient une solide défense pour la tête de pont que nous avions établie sur la rive nord de la Tourbe. A l'est s'allongeaient les tranchées du Calvaire.
 

Les Allemands souhaitaient plus particulièrement conquérir la colline de l'ouest. De là, ils auraient commandé tout notre système de défenses et de communications.
Aussi, attachaient-ils à leur attaque projetée une extrême importance. Afin de mieux s'y entraîner, ils l'avaient même "répétée" dans ses moindres détails derrière leurs lignes, à la façon d'une pièce de théâtre.

Le 15 mai, à 6 heures du soir, les soldats des 3e et 7e régiments coloniaux se préparaient au service de nuit quand trois mines, bourrées de vingt tonnes d'explosifs, sautèrent.
Propagée à travers le sol, la formidable explosion vint bouleverser nos tranchées, dont deux se fermèrent comme un tombeau sur leurs défenseurs. Les entonnoirs étaient profonds de vingt mètres et larges de cent. En même temps, pour arrêter tout secours, une tempête de mitraille balayait nos chemins d'approche.

Les marsouins valides sautèrent sur les armes.
Déjà, une colonne allemande, forte de deux bataillons, assaillait les lignes du 7e régiment colonial et occupait bientôt notre saillant défendu par une sorte de blockhaus, l'ouvrage Pruneau.
Le régiment fut décimé et perdit presque tous ses officiers. Heureusement le 3e régiment colonial lui dépêcha un bataillon en renfort. Bientôt, une vigoureuse contre-attaque délogeait l'ennemi d'une partie des positions par lui conquises.

Toutes nos batteries se mirent à tonner.
Le combat s'étendit et sa violence s'accrut. L'ouvrage Pruneau tomba entièrement aux mains d'une puissante colonne allemande. Énergiquement chargée par un bataillon du 3e régiment colonial, cette colonne résista opiniâtrement et nous infligea de grosses pertes.

Mais rien ne put avoir raison du sang-froid ni de la résolution inébranlable de nos troupes. Aidé par des bombardiers du génie, le lieutenant Paucol, du 3e régiment colonial, avance malgré tous les obstacles, et occupe un vaste entonnoir.
Grâce à la connaissance du secteur qu'ont les chefs, grâce à un rapide ravitaillement en grenades et surtout à la crânerie et à la ténacité des marsouins, une grande partie de l'ouvrage Pruneau est enfin réoccupée.

De son côté, le lieutenant Lefebvre (3e Colonial) s'est porté avec une compagnie vers le saillant nord de l'ouvrage. Ses hommes se déploient hardiment. Un tir foudroyant de mitrailleuses les accueille.
Sans se décourager, le lieutenant rassemble les hommes valides dans une tranchée qu'il a pu atteindre, et se prépare à y recevoir l'inévitable contre-attaque. Soudain, coupés de leurs positions de départ par un terrifiant tir de barrage, les Allemands lèvent les mains : cinq cents d'entre eux se rendent. Et nous avons la joie de délivrer une douzaine de coloniaux, cernés depuis plusieurs heures, qui avaient décidé de lutter jusqu'à la mort.
Les Allemands laissaient plus de mille cadavres sur le terrain. Mais nos pertes étaient à peu près égales."

texte extrait du remarquable site http://www.chtimiste.com

 

 

55e RI

"Après quelques jours de repos et d'instruction, le 55e Régiment d'Infanterie va remplacer dans le secteur de Ville sur Tourbe - Bois d'Hauzy, une partie des troupes de la division coloniale ; d'abord en deuxième ligne, il relève, le 1er juin, en première ligne, le 61e régiment d'infanterie.

Le secteur de Ville sur Tourbe, dévolu au régiment, se divise en trois sous-secteurs :

  • Le sous-secteur Est subit en général peu de pertes : les tranchées ennemies y sont éloignées de 300 à 400 mètres.
  • Le sous-secteur Nord, dit "du Calvaire", a à subir de nombreux bombardements, peu meurtriers d'ailleurs.
  • Le sous-secteur Ouest comprend l'ouvrage Pruneau. C'est de beaucoup le plus exposé au tir de l'artillerie et de l'infanterie ennemies. Les pertes y sont beaucoup plus élevées que dans les deux autres sous-secteurs.

Le 15 mai, alors que le secteur de Ville sur Tourbe était occupé par un régiment d'infanterie coloniale, l'ennemi fit exploser trois grosses mines ; les explosions ouvrirent largement la terre et formèrent trois cratères dénommés par la suite : cratère Est, du Centre, Ouest.

L'ennemi et nous occupons chacun les lèvres opposées des cratères, et c'est ainsi qu'en certains endroits les postes allemands ne sont pas à plus de 15 à 20 mètres des nôtres. II en résulte des combats fréquents de grenades et de bombes. La mousqueterie est presque nulle ; ce sont surtout les obus, torpilles, les bombes et les grenades qui sont employées dans les actions de chaque jour.
De nombreux cadavres ennemis n'ont pu être ensevelis ; il commence à faire chaud ; l'odeur qui se dégage est pénible à supporter malgré toutes les mesures d'assainissement.

Chaque soir, à la tombée de la nuit, l'ouvrage Pruneau devient un véritable enfer; mais chacun, malgré les pertes, animé de cet esprit d'endurance et d'abnégation qui nous a donné la victoire, maîtrise ses nerfs, se dépense sans compter et fait preuve d'un irrésistible mordant.

Le 61e régiment d'infanterie vient occuper le secteur de Ville sur Tourbe dans la nuit du 5 au 6 juin et libère le 55e régiment d'infanterie qui prend alors trois jours de demi-repos dans les cantonnements et bivouacs de Malmy, Montremoy, Berzieux, Dommartin-sous-Hans, ferme Araja."

Historique du 55e RI

 

 

40e RI

"La 30e D.I. doit relever dans le secteur de Ville sur Tourbe la 3e Division d'Infanterie Coloniale. Le 28 (mai 1915), le régiment se porte vers le nord et occupe la côte 138 (sud de Virginy), Berzieux et la ferme Araja.
Après une journée consacrée aux reconnaissances en première ligne, la relève s'effectue.
Le 40e RI occupe : le bataillon Santini : Massiges ; le bataillon Rey : Virginy ; le bataillon Malandrin : la côte 138.

Le 3 juin a lieu une relève à l'intérieur du régiment : le bataillon Malandrin relève à Virginy le bataillon Rey qui passe en première ligne à la place du bataillon Santini ; celui-ci se porte à la côte 138 où il occupe les emplacements laissés libres par le bataillon Malandrin.

Le 6 juin, le bataillon Santini va relever le bataillon du 58e R.I. qui occupe Melzicourt-bois-d'Hauzy : les bataillons Rey et Malandrin relevés par le 58e vont cantonner le 10e à Dommartin-sous-Hans, le 2e à Courtémont.
Le soir du 9 juin, la 59e brigade prend définitivement le secteur de Ville sur Tourbe ; le 40e, après avoir relevé ce jour-là, le 61e R.I. alternera désormais avec le 58e jusqu'au 8 août.

Le secteur de Ville sur Tourbe est assez délicat, surtout au centre (Calvaire) et à gauche (ouvrage Pruneau) : dans ce dernier sous-secteur, nos lignes forment un saillant, à quelques mètres des lignes ennemies.
Les Allemands bombardent journellement ces deux sous-secteurs par obus de gros calibre et par torpilles. Le régiment pendant son passage dans ce secteur subit des pertes assez sérieuses.

Le 10 juin, à 17 h 30, un orage épouvantable éclate, la pluie inonde les tranchées ; l'alerte est donnée à gauche (ouvrage Pruneau) : une violente fusillade et une canonnade intense se déclenchent de part et d'autre. Le calme renaît bientôt, mais les tranchées sont dans un état lamentable ; par suite du bombardement et surtout de la pluie, la plupart des parapets sont éboulés ; des poches d'eau se sont formées, rendant la circulation impossible.
Les jours suivants sont employés à remettre en état tranchées et boyaux, mais ce travail n'est pas encore terminé lors de la relève par le 58e, le 13 juin.

Les cantonnements de repos sont Courtémont, Berzieux, Malmy et le Bois d'Hauzy. Les périodes de repos sont de quatre jours, celles de tranchées de quatre jours également. Le 8 août au soir, le 40e quitte le secteur et va cantonner à Maffrécourt et Berzieux."

Historique du 40e RI

 

 

Mort pour la France à l'ouvrage Pruneau

Eugène Perrussot, dans son discours au pied du Monument aux Morts de Saint Léger, explique : "C'est au moment d'une relève, à l'instant où il quittait ses galeries pour aller au repos, que le sapeur TERRIER a été tué d'une balle en plein front, face à l'ennemi, le 12 août 1915.
Par une étrange coïncidence, pendant que TERRIER Claude occupait les tranchées de Ville sur Tourbe, son vieux maître était à la côte 196 (butte du Mesnil), non loin de Ville sur Tourbe."

"L'an mil neuf cent quinze, le douze du mois d'août, à dix neuf heures du soir ; étant à l'ouvrage du Pruneau, commune de Ville sur Tourbe, Marne ;
Acte de décès de Terrier Claude Marie, sapeur mineur à la Cie 27/5 du 11e régiment du Génie, N° Mle 8684, cultivateur âgé de vingt trois ans, né le sept août mil huit cent quatre vingt douze à Matour, …/… domicilié en dernier lieu à Saint Léger sous la Bussière …/…
Mort pour la France à l'ouvrage du Pruneau, commune de Ville sur Tourbe, le douze août à dix neuf heures du soir.
A été atteint d'une balle à la tête et est mort sur le coup.

Fils de Joseph (Terrier) et de Dargaud Jeanne Marie, domiciliés à Saint Léger sous la Bussière (1) …/… Conformément à l'article 77 du Code civil, nous nous sommes transportés auprès de la personne décédée et assuré de la réalité du décès.
Dressé par nous Simon, Capitaine Commandant ; Officier de l'état civil, sur la déclaration de Brunet Louis, Sergent, et de Pierredon Alfred, Caporal, tous deux à la Cie 27/5 du 11e Génie, témoins qui ont signé avec nous après lecture.
L'acte de décès ci-dessus a été transcrit le vingt eux septembre mil neuf cent quinze, à deux heures du soir, par nous Joseph Plassard, Conseiller Général, maire de Saint Léger sous la Bussière."

Inhumé à la nécropole nationale de Sainte Menehould Tombe N°2091. Son nom est inscrit sur la tombe familiale, entre ses deux parents, au cimetière de Saint Léger.

(1) Joseph Terrier est né vers 1857, il décède le 24 janvier 1921 "dans sa 64e année". Son épouse, Marie Dargaud, est née vers 1862 ; elle décède le 15 juillet 1929 "à l'âge de 67 ans". Claude-Marie Terrier a une sœur, née vers 1894, prénommée Jeanne-Françoise, décédée le 1er février 1942.

 Les clichés qui suivent sont de Daniel Lefèvre - Merci, Daniel !

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

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