Claude-Marie DESROCHES
soldat au 32e Régiment d'Infanterie Territoriale

 

"A fait partie du 60e régiment d'infanterie territoriale et, après la dislocation de cette unité, nous le trouvons aux environs d'Amiens où il est tué en 1918."

Pour certains poilus, Eugène Perrussot s'inspire, c'est flagrant, pour préparer son discours, des informations contenues dans leurs actes de décès. Pour d'autres, qu'il a connus au combat par exemple, il dispose d'éléments biographiques plus étoffés.
Pour celui-ci, manifestement, il ne sait rien de plus !

La fiche de Claude-Marie Desroches aux archives militaires nous apprend qu'il fait partie du 32e d'Infanterie Territoriale "Mort pour la France" des suites de "blessures de guerre…le 1er mai 1918 à la Côte 116 sud- ouest de Gentelles (Somme)."

Claude-Marie Desroches est né à Saint Léger sous la Bussière le 20 juillet 1875. Il est âgé de 39 ans à la déclaration de guerre et fait donc partie de l'armée territoriale. Probablement dès octobre 1914, il est incorporé au 32e Régiment d'Infanterie et participe à tous ses combats.

En septembre 1917, le 32e RIT rejoint la fameuse "Division Marocaine" : cette division, de 1914 à 1918, fut la plus glorieuse des divisions de l'armée française et la seule dont tous les drapeaux furent décorés de la Légion d'Honneur.

En mars 1918, à la veille de l'offensive allemande en Picardie, Hangard, à quelques kilomètres de Gentelles, est le point de jonction des troupes britanniques et françaises.

 

"L'ennemi, d'après les calculs de l'état-major français, disposait encore d'une soixantaine de divisions, dont il lui serait loisible d'user pour tenter la séparation, jusqu'ici manquée, des forces françaises et anglaises.

En fait, le front au sud de la Somme, où depuis trois semaines régnait un calme relatif, fut subitement alerté le 23 avril. Une attaque allemande forte de huit divisions, s'avançant à la faveur du brouillard, enlevait Villers-Bretonneux à la 4e armée britannique, Hangard à la 1re armée française, et poussait jusqu'à proximité immédiate de Cachy. L'établissement de l'ennemi à Villers-Bretonneux devait avoir pour nous les conséquences les plus fâcheuses. Il lui fournissait des observatoires et des emplacements qui lui permettaient d'entreprendre le bombardement, l'attaque et la conquête d'Amiens dans d'excellentes conditions, c'est-à-dire d'avancer grandement, suivant la ligne de la Somme, la rupture des communications des armées alliées et même la séparation de ces armées.Villers-Bretonneux, localité importante, allait constituer en ses mains un point d'appui des plus forts, si on lui laissait le temps de l'organiser. Il nous fallait à tout prix le reprendre sans délai. Aussi, dès que la nouvelle me parvint, j'écrivais au général Rawlinson de tout mettre en oeuvre pour reconquérir Villers-Bretonneux dont la possession nous était capitale, et de s'entendre avec le général Debeney pour contre-attaquer. Le général Rawlinson entrait aussitôt dans ces vues. La contre-attaque, confiée à des bataillons australiens, eut lieu dès la nuit du 24 au 25 ; elle reprit d'assaut la hauteur et le village de Villers-Bretonneux, tandis qu'à droite la division marocaine de la 1re armée française regagnait du terrain au nord de Hangard.

…/… Au demeurant, l'effort allemand sur Villers-Bretonneux n'eut pas de lendemain. Les contre-attaques franco-britanniques, après avoir repris ce point d'appui important, s'épuisèrent de leur côté en vaines tentatives dans les journées des 25 et 26 avril, et furent définitivement arrêtées sur la ligne Villers-Bretonneux route de Hangard, le village de ce nom restant à l'adversaire "

Maréchal Foch
"Mémoires pour servir à l'histoire de la guerre de 1914-1918"

 

Pendant tout le mois d'avril, les bois d'Hangard et de Gentelles sont les lieux d'intenses affrontements. C'est durant ces combats que Claude-Marie Desroches meurt des suites de ses blessures.

Son acte de décès est "transcrit le 3 février 1919 à St Mamert (Rhône)". Ce petit village n'est qu'à quelques kilomètres de Saint Léger. La mairie nous a transmis ce document qui nous en apprend beaucoup :

"L'an mil neuf cent dix huit, le vingt-sept du mois de juillet à quatorze heures du soir, étant à La Houssoye (canton de Crévecoeur), Oise. Acte de décès de Claude-Marie Desroches, soldat de 1re classe à la 5e Cie du 32e Régt d'Infie, décoré de la Croix de Guerre…" matricule 825 au recrutement de Mâcon … "domicilié en dernier lieu à St Mamert par Monsols (Rhône), décédé aux avant postes, côte 116, sud-ouest de Gentelles, canton de Boves (Somme) le premier du mois de mai mil neuf cent dix huit à vingt heures sur le champ de bataille par suite de blessures de guerre ; éclats d'obus. Mort pour la France, fils de Claude (Desroches) et de Claudine Besson, domiciliés à Saint Léger sous la Bussière…époux de Demoiselle Joséphine Bélilart domiciliée à St Mamert…"
"Dressé par nous André Bourdereau, Lieutenant Officier des détails du 2e Bataillon du 32e Régt Terral d'Infie, officier de l'état civil, sur la déclaration de Marie Daufreville, 42 ans, caporal fourrier à 5e Cie du 32e Tal et de Emile Brochard, 42 ans, infirmier de la 5e Cie du 32e Tal d'Infanterie ; témoins qui ont signé avec nous après lecture…"
"…Transcrit le vingt neuf octobre mil neuf cent dix huit par nous, Chuzeville Emile, adjoint à Saint Mamert. Chuzeville (le maire décédé)"

L'acte porte en marge cette "mention rectificative (loi du 18 avril 1918)" :

"La veuve du soldat Desroches doit être dénommée Bélicard Jeanne Joséphine et non Bélilart Joséphine. Le père du défunt est décédé. Paris, le vingt trois janvier mil neuf cent dix neuf. Le ministre de la Guerre, par délégation le Chef du Bureau des archives administratives…"

 


 

Des extraits de journaux des régiments de la Division Marocaine ayant participé aux "opérations" dans la région de Villers Bretonneux (1) permettent de saisir l'horreur des combats :

(1) sur l'incontournable Chtimiste, on pourra lire le récit de l'attaque allemande sur Amiens : http://www.chtimiste.com/batailles1418/1918lys.htm#somme

 

Journal du 7e Régiment de Marche de Tirailleurs (2)

(2) voir le texte complet sur http://vinny03.club.fr/gg/leshistos/7ermt1918.htm

 

"Le régiment parvenu après une pénible étape dans la zone d'Amiens, commence immédiatement à mettre en état de défense le bois de Boves, tout en se préparant à contre-attaquer. Mis a la disposition de la 29e division d'infanterie qui, en liaison avec les Australiens, soutient de furieux combats dans la région de Hangard, le 7e Tirailleurs est alerté le 12 avril, à 15 heures, passe l'Avre malgré un tir d'interdiction dirigé sur les ponts par l'artillerie ennemie et se groupe près du bois de Gentelles. Il doit contre-attaquer si les troupes en secteur ne peuvent réoccuper Hangard qui vient d'être enlevé par une attaque allemande.

 

 

L'effort de la 29e division d'infanterie et des Australiens réussit à reprendre le terrain perdu et le régiment se contente de pousser le 6e bataillon en soutien, dans un ravin à 1800 mètres à l'ouest du village. Ce bataillon s'installe malgré de violents barrages, mais il est soumis le lendemain matin, à un tir systématique par obus à ypérite, qui rend vite la position intenable. Les tirailleurs sont en grand nombre atteints par le gaz vésicant et évacués. Le jour suivant, de nouveaux cas d'intoxication se déclarent encore si bien que, le 15 au soir, le 6e bataillon avait perdu 6 officiers et 269 hommes de troupe et se trouvait pratiquement hors de combat.

Le régiment continue à bivouaquer au bois de Gentelles et subit de fréquents marmitages, que lui vaut la proximité de nombreuses batteries. Une attaque allemande, d'ailleurs annoncée par des déserteurs, se produit le 24 au matin, sur le front britannique.

 

 

L'ennemi fait usage de tanks et réussit à progresser jusqu'aux lisières de Cachy et de Villers-Bretonneux. Une contre-attaque anglaise rétablit à peu près la situation, pendant que la Division Marocaine se porte tout entière au nord de l'Avre, prête à intervenir. Elle reçoit l'ordre de contre-attaquer le 26 au matin, afin d'enlever à l'ennemi toute velléité de progression. Les reconnaissances d'officiers ont lieu dans la journée du 25 et les troupes se préparent à l'assaut. …/…

Le bataillon de Saint-Léger (3) éprouve les plus grandes difficultés pour occuper ses emplacements. Contournant par le Sud le village de Cachy sur lequel s'acharne l'artillerie lourde allemande, il trouve, a peu de distance, la garnison anglaise de première ligne, qui ne peut lui donner sur l'ennemi que des renseignements imprécis.

(3) C'est ici le nom de son Commandant.

Un fait ressort cependant de ces indications, c'est que la route de Villers-Bretonneux à Domart, indiquée comme base de départ, est aux mains de l'ennemi.

 

Pour la petite histoire, St Léger les Domart (80) est tout proche de Domart.

 

Le bataillon diminué de la compagnie Arnault, qui, égarée par ses guides, est allé se placer dans le secteur australien, reprend sa marche en avant, précédé de fortes avant-gardes et rétablit le contact. Devançant de quelques minutes l'heure H afin de rattraper le barrage roulant, à 5 h. 10, il s'élance à l'assaut.

Le brouillard qui couvre la plaine ne suffit pas à dissimuler son avance et, immédiatement les mitrailleuses ennemies se mettent à crépiter, mais leur tir est d'abord imprécis et des petits groupes allemands s'enfuient devant nos troupes. A ce moment, débouche obliquement devant le bataillon, la compagnie Arnault, qui, venant de gauche, reprend sa place normale dans le dispositif. Le bataillon, ainsi renforcé, continue sa marche vers l'objectif normal, échappant aux tirs de barrage par la rapidité de sa progression.

A 5h15, le premier objectif est atteint et nos troupes reprennent leur marche en avant, vers l'objectif éventuel, malgré l'absence à droite d'éléments français.

La 2e compagnie se lance à l'assaut d'une crête, près de laquelle la carcasse d'un avion abattu abrite des mitrailleuses. Le capitaine et trois chefs de section sont mis hors de combat, mais les tirailleurs réussissent à occuper la crête et l'organisent rapidement. Pendant ce temps, la 3e compagnie avait vu tomber son capitaine et tous ses officiers ; néanmoins, encouragée par l'arrivée d'un tank anglais, elle continue sa progression et une poignée d'hommes, commandée par le sergent Plaza, atteint des tranchées ennemies dans lesquelles elle capture des prisonniers. Mais de droite et de gauche, du bois de Hangard et du monument de Villers-Bretonneux, les mitrailleuses font rage, et le petit groupe réduit à quelques hommes, est obligé de regagner la crête, sur laquelle la 1re compagnie, après deux sanglantes tentatives de franchissement, vient de s'accrocher. Ainsi le 1er bataillon se stabilise au-delà de l'objectif normal.

…/… Les bataillons d'assaut restent en place pendant toute la journée du 27, subissant des barrages d'artillerie d'une effrayante intensité et des tirs ininterrompus de mitrailleuses… Les journées qui suivent sont marquées par un duel d'artillerie vraiment formidable. Chaque soir, à la tombée de la nuit, d'énormes barrages grondent sur les lignes, trouant d'éclairs l'ombre naissante. Heureusement, notre artillerie et celle de nos alliés, très renforcée, prennent dans ce concert, une part de plus en plus prépondérante …/… Le Boche, la rage au coeur, était obligé de renoncer à Amiens, la belle proie qu'il estimait si proche."

 

Journal du 2e Régiment de Marche de Tirailleurs (4)

(4) voir le texte complet sur http://vinny03.club.fr/gg/leshistos/2rmt1918.htm

 

"En face d'Amiens, pourtant, l'Ennemi n'a pas désarmé ; de Lassigny, de Roye, de nouvelles troupes affluent, de nouvelles batteries se transportent chaque jour. Nos réserves, naguère étalées derrière nous, luttent à présent entre Dormans et Meaux, laissant presque à nos seules poitrines le soin de barrer la route d'Amiens !... Une nouvelle surprise ne se prépare-t-elle pas et la poussée allemande, un instant désarmée, ne va-t-elle pas reprendre vers nos lignes amincies ?... Tout le laisse craindre.

… Nous quittons nos cantonnements de repos… A présent nous glissons, adossés au bois de Gentelles, faisant face à la Luce à Hourges, à Hangard, étalant en profondeur suivant la route qui passe par Domart, les trois Bataillons de notre Régiment.

 

 

Dans les fossés de la route serpentent des boyaux, et de nouvelles tranchées se creusent, à travers l'étroite zone que nous devons garder.
Des lacis de barbelés hérissent leurs intervalles ; des mitrailleuses commandent tous les débouchés, tandis que nos batteries s'étagent à l'arrière, dissimulées dans le bois de Gentelles, adossées aux pentes qui le séparent du village de Boves couronné lui-même par nos canons plus lourds.

 

 

Parmi les hauts blés mûrs, des pistes discrètes mènent depuis Domart aux lignes avancées, vers l'ouvrage du Vautour, vers les tranchées d'Ossian qui épousent les méandres de la Luce, dominant les Carrières où sont reçus les ordres.

Et de l'extrême avant, jusqu'à Saint-Nicolas, sur la route, sur nos lignes, nos postes, nos abris, les obus allemands éclatent nuit et jour ; le village de Domart est spécialement frappé, ses maisons sont détruites ; en face d'un carrefour, quelques piliers branlants subsistent de l'église ; à l'un d'eux pend un Christ mutilé. Les tombes du cimetière sont affreusement bouleversées : des cercueils entr'ouverts sont projetés çà et là, comme si l'odieux ennemi eût voulu, en son sadisme, rendre les Morts eux-mêmes témoins de ses exploits !"

 

 

 

 

 

 

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