e suis le fils de Jacques Fesch,
assassin guillotiné.
e l'ai appris par hasard à 40 ans.

par Gérard Fesch, professeur de musique

 

Les propos de cet article paru dans le 14 mai 2017 ont été recueillis par Louise Auvitu.

 

Gérard, 62 ans et retraité de l’Éducation nationale, est un "gosse de l’Assistance". De sa petite enfance, il retient le visage d’une mère aimante qui n’est pas la sienne, mais qu’on lui soustrait du jour au lendemain pour le placer dans un autre foyer. Toute sa vie, il a cherché à connaître ses origines, mais ce n’est qu’en 1994, par le plus grand des hasards, qu’il découvre la vérité : il est le fils de Jacques Fesch, assassin et condamné à mort. Il raconte son incroyable histoire dans "Fils d’assassin, fils de saint".

 

Jacques Fesch, 27 ans, fils de banquier, a été condamné puis guillotiné le 1er octobre 1957.

Mes premiers souvenirs remontent à 1960. J’ai cinq ans et demi et je vis auprès d’une femme que j’appelle Maman Marie. J’ai déjà compris qu’elle n’est pas ma véritable mère, que je ne suis pas un garçon comme les autres. Mais qu’importe, elle s’occupe bien de moi, elle m’aime, c’est tout ce qui compte quand on est un enfant.

C’est un jour d’avril 1960. Il est 14 heures, je joue avec mes petites voitures en métal coloré, quand j’entends une portière de voiture claquer. Par la fenêtre, j’aperçois une dame descendre du véhicule. Je l’ai déjà vue, et je ne l’aime pas. Elle sonne, Maman Marie la fait entrer, elles échangent quelques mots. Je vois le visage de Maman Marie se fermer. La nouvelle venue s’approche de moi et me dit : "Gérard, viens avec moi. On va faire un tour."

Inquiet, je me rue vers mes jouets pour les récupérer. Elle me stoppe dans mon élan et me dit que cela ne sert à rien puisque nous allons revenir. Je sais qu’elle me ment mais je la suis. Ensemble, nous partons et je comprends que je ne reviendrai jamais chez Maman Marie.

 

J’ai 10 ans quand je change de nom

On m’a arraché à ma mère. Au bout de quelque temps, je me retrouve dans une autre famille au Creusot. Moi, je n’ai qu’une seule obsession retourner chez moi, mais rien ne se passe et je comprends que je resterai auprès de la famille David.

Ceux qui m’accueillent sont différents. Ici, je ne suis pas le seul enfant de l’Assistance. Nous sommes trois, en plus des deux filles biologiques du couple David. Ces derniers ne nous témoignent aucune affection. J’apprendrai plus tard qu’ils ont tenté de se séparer de moi, car je ne suis pas un petit garçon facile.

Les années passent, j’ai dix ans et un après-midi la dame de l’assistance revient me rendre visite. À voix basse, elle me déclare : "Tu vas changer de nom, Gérard. Désormais, pour l’état-civil, tu ne t’appelleras plus Troniou, mais Droniou."

Je lui demande pourquoi et elle se contente de me dire que mon nom de famille a été mal écrit, qu’il y a une erreur et qu’il faut la rectifier. Je trouve ça étrange. Je lui demande "Où est Marie ?" et, pour la première fois, je l’interroge sur mes parents biologiques. Elle me répond qu’elle n’a aucune information à ce sujet.

 

Dans mon dossier, j’entraperçois un prénom : Thérèse

Deux ans plus tard, je suis convoqué dans son bureau. Elle s’absente quelques minutes, j’entraperçois mon dossier sur son bureau et je décide d’y jeter un coup d’œil. J’y trouve une seule chose, un prénom : Thérèse.

À 17 ans, ma famille d’accueil, en concertation avec l’Assistance publique, décide que je serai typographe sans me demander mon avis. Je suis donc envoyé à Paris où je dois commencer une nouvelle école, j’y reste un jour. La typographie, ce n’est pas pour moi. Moi, j’aime la musique et je me débrouille bien. Je ne sais pas d’où me vient cette passion, mais je suis fasciné par la trompette.

Je retourne au Creusot pour intégrer un orchestre de bal, les Aventuriers. En 1972, je décide de quitter ma famille d’accueil pour rejoindre définitivement Paris où je m’installe et je vis de ma musique.

 

"J’ai toujours su que tu reviendrais"

En 1976, je commence réellement à vouloir connaître mes parents biologiques. J’envoie une première demande de reconnaissance de filiation à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) qui reste lettre morte. Déçu mais volontaire, je réitère ma requête par une lettre auprès du président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, qui me répond qu’il transmet ma demande au garde des Sceaux. Je n’ai pas de nouvelle de sa part.

L’année suivante, je me marie avec Camille et j’entre de nouveau en contact avec la Ddass. Alors que je leur parle par téléphone, j’arrive à soutirer quelques informations sur mon dossier : je suis passé par Saint-Léger-sous-Beuvray, en Saône-et-Loire. Par curiosité et sans grand espoir, je m’y rends. Sur place, je réalise que c’est là que j’habitais avec Maman Marie. J’essaye de retrouver sa place. En vain.

En 1992, par hasard, je fais la connaissance du maire de cette commune. Je lui raconte mon histoire et il se propose de me donner un coup de main. Grâce à lui, je retrouve la trace du fils de Maman Marie. Je m’y rends. Et là, alors que je ne m’y attends pas, on me conduit auprès d’une vieille femme.

Maman Marie, 95 ans, est là, devant moi. C’est un choc pour elle comme pour moi et nous nous effondrons en larmes. Elle me dit : "J’ai toujours su que tu reviendrais. Je t’ai attendu pour mourir."

Je dois la revoir d’ici un mois, mais elle meurt une semaine plus tard.

 

Je découvre mon histoire par hasard

Avril 1994. J’ai remué ciel et terre sans avoir obtenu le début d’une piste. Je suis désespéré et c’est finalement le hasard qui me donne la clé de mon histoire.

Un soir, alors que je joue pour un gala à Gap, une musicienne de mon orchestre s’approche de moi et me tend une enveloppe. À l’intérieur, elle y a glissé un article de presse qu’elle m’invite à lire jusqu’au bout. Selon elle, ce qui est écrit pourrait m’aider.

Interloqué, j’attrape la lettre, puis je la glisse dans ma caisse de rangement de ma trompette. J’y jette un coup d’œil furtif et me contente de lire le titre de l’article publié dans "L’Express", "De l’échafaud à la grâce". Il y est question d’un détenu candidat à la béatification.

En rentrant chez moi, j’oublie l’article.

 

Le fils d’un assassin condamné à mort ?

Puis, dans la nuit, je réalise qu’il y a peut-être un rapport avec mon passé de "gosse de l’Assistance". Je lis l’article qui s’ouvre sur ces mots : "Guillotiné en 1957 pour le meurtre d’un policier, Jacques Fesch a découvert Dieu en prison. Ses écrits mystiques touchent beaucoup les jeunes. L’Église envisage de le béatifier."

Plus loin, j’apprends que ce dénommé Jacques Fesch a, en 1954, braqué un bureau de change de la rue Vivienne à Paris. Cet argent, il souhaitait l’utiliser pour se payer un voilier et partir faire le tour du monde. Le braquage tourne mal et le malfrat tire sur un policier qui meurt sur le coup. Trois ans plus tard, en 1957, Jacques Fesch est guillotiné à l’âge de 27 ans.

En toute fin de l’article, il est précisé que cet assassin a eu un fils hors mariage prénommé Gérard avec une femme, Thérèse. Cette dernière a abandonné l’enfant à l’assistance publique.

Mon prénom, celui de la femme que j’avais aperçu dans le dossier de la Ddass, ma date de naissance… Je m’interroge. Serait-il possible que je sois son fils ?

 

Mon monde s’effondre

Le lendemain, j’appelle le journaliste de "L’Express" auteur de l’article. Je lui fais part de mes doutes. Lui me demande si mon nom a changé et si avant je m’appelais Gérard Troniou. Je lui réponds par l’affirmative.

Et là, il me déclare qu’il a une déposition sous les yeux qui signale qu’une dénommée Thérèse Troniou a bien abandonné son enfant à l’Assistance publique et que ce bébé est l’enfant de Jacques Fesch.

Le journaliste m’informe également que si tel est le cas, j’ai une demi-sœur et que ma mère est toujours en vie.

Mon monde s’effondre. Je suis bien le fils d’un assassin, d’un condamné à mort. Je sais enfin d’où je viens, mais j’en perds tous mes repères. Tout mon passé vient de ressurgir. Le changement de nom, la coïncidence, c’est vertigineux. Heureusement, ma femme m’épaule et me soutient dans mes démarches.

 

Je rencontre ma belle-famille et ma mère

Je prends contact avec ce qui pourrait être ma belle-famille. Très vite, je suis invité à les rencontrer à Saint-Germain-en-Laye. L’accueil est chaleureux, je scrute leurs traits dans l’espoir d’y voir une ressemblance, puis nous parlons de mon passé. Ma demi-sœur m’explique qu’elle aussi m’a cherché et me déclare : "Heureusement, tu as été adopté. Tu as eu une vie heureuse."

Sous le choc, je lui dis que ce n’est pas le cas. Elle blêmit. Pierrette, la femme de Jacques Fesch, me propose que nous nous éloignions quelque temps. Là, elle m’explique qu’elle ne croit pas que je sois le fils de Jacques, mais de son comparse.

Je sors de cette entrevue très perturbé. Peut-être ont-ils raison ? Je suis perdu, mais une autre rencontre m’attend : celle de ma mère biologique.

Ma mère refuse de me voir. Au pied du mur, je décide de l’arrêter dans la rue. Elle me dit que je ne suis pas son fils, je ne suis pas Gérard. Fait volte-face et s’éloigne d’un pas vif. L’échange a duré 30 secondes, mais il est d’une brutalité destructrice pour moi.

Quelques années plus tard, j’obtiens la confirmation, par le biais d’un test ADN, que je suis bien le fils de Jacques Fesch.

 

Je veux que la justice réhabilite mon père

Plus j’en apprends sur mon père, et plus je découvre qu’avant sa mort, il a entamé des démarches pour me retrouver. Je récupère également des lettres dans lesquelles il parle de moi et où il couche sur le papier ses dernières volontés. Elles n’ont pas été respectées. Pourquoi ? C’était un assassin, un meurtrier, condamné à mort, mais il a payé sa dette à la société.

Cette demande de béatification m’importe peu, elle ne me concerne pas. En revanche, je tiens à ce que mon père ne soit pas vu que comme un assassin. Avec le soutien d’Éric Dupond-Moretti, je lance un procès en réhabilitation. Car entre-temps, j’ai découvert que le procès de Jacques Fesch ne s’est pas déroulé normalement (le vote des jurés a été falsifié ; le policier aurait tiré en premier sur mon père, etc.)

Il n’est pas question de rayer un meurtre. Jacques Fesch restera un assassin, un criminel, un tueur de flic, mais ne peut-on pas retenir aussi l’autre face du condamné ? Celle du repenti. Lui redonner, à titre posthume, une certaine estime. Pour que l’histoire retienne aussi l’exemplarité, le don de soi, la rédemption, savoir que tout homme peut se racheter et devenir meilleur. Beaucoup de croyants, mais aussi de non-croyants, touchés par ses écrits, m’adressent, presque quotidiennement, de belles lettres parfois longues et émouvantes. Pour moi, il est aussi le seul à m’avoir dit des mots d’amour.

Quelques heures avant sa mort, mon père m’a écrit une lettre. Dedans, il déclare qu’il souhaite me reconnaître comme son fils, et qu’il aimerait que je porte son nom. Je tiens à lui donner satisfaction. Je n’ai jamais été le fils de quelqu’un et lui voulait se comporter comme mon père.

Après un long combat juridique de 13 ans, j’obtiens de pouvoir changer de nom de famille. Désormais, je porte avec fierté le nom de mon père, Jacques Fesch.

 

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