es fouaces ou fouées

 

marchande de fouaces,
aux environs de Melle

 

La fouace est une sorte de pain fait de fleur de farine, en forme de galette, et cuit sous la cendre.

Cette petite galette de froment, dont Gargantua raffolait, cuit doucement et s’étire en gonflant.
On vous la sert encore fumante, garnie à votre choix de mogettes (haricots blancs), de rillettes, de beurre salé ou de fromage de chèvre.

Fouée ou fouace... au commencement était le four, ce four dans lequel, depuis la nuit des temps, l'homme a fait cuire le pain. Ainsi, fouées et fouaces sont-elles issues du même foyer, de ce "focus" d'où a été tiré le mot fouace.

Dans son roman "Gargantua", Rabelais met en scène la guerre picrocholine (ou guerre des fouaces), guerre opposant Picrochole à Grandgousier et Gargantua, provoquée par un conflit entre les bergers de Grandgousier qui se sont emparés d'un ou deux paniers de fouaces suite au refus des fouaciers de les leur vendre...

 

 
 

la vie très horrifique du grand Gargantua,
père de Pantagruel

Origine de la guerre picrocholine
et efforts de Grandgousier en faveur de la paix
 

 


Rabelais

 

par François Rabelais, âgé de 50 ans environ
dont le Gargantua paraît en 1534
deux ans après son Pantagruel

 

les origines du conflit

En cetui temps, qui fut la saison des vendanges au commencement d’automne, les bergers de la contrée étaient à garder les vignes, et empêcher que les étourneaux ne mangent les raisins. Auquel temps, les fouaciers de Lerné (1) passaient le grand carroi, menant dix ou douze charges de fouaces à la ville. Les dits bergers les requirent courtoisement leur en bailler (2) pour leur argent, au prix du marché. Car notez que c’est viande céleste, manger à déjeuner raisins avec fouace fraîche, mêmement des pineaux, des fiers, des muscadeaux, de la bicane...

(1) localité voisine de Chinon
(2) bailler : donner

A leur requête ne furent aucunement enclinés les fouaciers, mais, que pis est, les outragèrent grandement, les appelant brèche-dents, plaisants rousseaux, fainéants, rien-ne-vaut, rustres, malotrus et autres telles épithètes diffamatoires, ajoutant que point à eux n’appartenait manger de ces belles fouaces, mais qu’ils devaient se contenter de gros pain ballé (3) et de tourte.

(3) ballé : mélangé de son

Auquel outrage un d’entre eux, nommé Frogier, bien honnête homme de sa personne, et notable bachelier (4) répondit : "Depuis quand avez-vous pris cornes, qu’êtes tant rogues devenus ? Déa (5), vous nous en souliez (6) volontiers bailler, et maintenant y refusez ? Ce n’est fait de bons voisins, et ainsi ne vous faisons, nous, quand vous venez ici acheter notre beau froment, duquel vous faites gâteaux et fouaces ; encore par le marché vous eussions-nous donné de nos raisins ; mais vous en pourriez repentir, et aurez quelque jour affaire de nous. Lors nous ferons envers vous à la pareille, et vous en souvienne".

(4) jeune homme
(5) déa : Vraiment
(6) souliez : aviez l’habitude

Adonc Marquet, grand bâtonnier de la confrérie des fouaciers lui dit : "Vraiment, tu es bien acrêté (7) à ce matin : tu mangeas hier soir trop de mil. Viens çà, viens çà, je te donnerai de ma fouace."

(7) acrêté : la crête haute

Lors Frogier en toute simplesse approcha tirant un onzain (8) de son baudrier, pensant que Marquet lui dût dépocher de ses fouaces, mais il lui donna de son fouet à travers les jambes si rudement que les nœuds y apparaissaient ; puis voulut gagner à la fuite. Mais Frogier s’écria au meurtre et à la force tant qu’il put, ensemble lui jeta un gros tribard (9) qu’il portait sous son aisselle et l’atteint à la tête, en telle sorte que Marquet tomba de sa jument ; mieux semblait homme mort que vif.

(8) onzain : pièce de onze deniers
(9) tribard : bâton

Cependant les métayers, qui là auprès challaient les noix, accoururent avec leurs grandes gaules, et frappèrent sur ces fouaciers comme sur seigle vert. Les autres bergers et bergères, oyant le cri de Frogier, y vinrent avec leurs frondes et les suivirent à grands coups de pierres, tant menus qu’il semblait que ce fût grêle. Finalement ôtèrent de leurs fouaces environ quatre ou cinq douzaines, toutefois ils les payèrent au prix accoutumé et leur donnèrent un cent de quecas (10) et trois pancrées de francs-aubiers. Puis les fouaciers aidèrent à monter Marquet, qui était vilainement blessé, et retournèrent à Lerné sans poursuivre le chemin de Parilly, menaçant fort et ferme les bouviers, bergers et métayers de Seuilly et de Cinais.

(10) quecas : noix

Ce fait, et bergers et bergères firent chère lie avec ces fouaces et beaux raisins, et se rigolèrent ensemble au son de la belle bousine (11), se moquant de ces beaux fouaciers glorieux. Et avec gros raisins chenins, étuvèrent les jambes de Frogier mignonnement, si bien qu’il fut tantôt guéri...

(11) bousine : cornemuse
 

 

 

 

 

 

https://www.stleger.info