Quand chantent les cloches de Saint-Léger...

par Michèle Terrand
bulletin municipal de la ville d’Is-sur-Tille "IScietlà"
n°26 - janvier 2005

 

 

Sept heures ! Dong ! dong ! dong ! et ding ! ding ! ding ! dong ding ding dong !...
Oyez bonnes gens, il est temps de sortir de votre douce torpeur qui précède le réveil, c’est ce que vous carillonne familièrement l'église Saint-Léger dans l’envolée de l’angélus du matin, aujourd’hui comme hier et comme demain... Car, vous le savez, nos journées, comme toute notre vie d’ailleurs, sont rythmées par les cloches !

 

 

L’origine des cloches remonte à la Préhistoire, mais c’est à partir du 10e siècle qu’elles acquièrent toute leur importance, à l’époque où elles traduisent le droit de réunion que viennent d’acquérir de leur seigneur les bourgeois des "communes jurées", par charte de liberté. Les bourgeois se servent alors de la tour d’une église pour installer "leur" cloche : la "bancloque".

Mais les protestations des membres du clergé contre cet usage abusif obligent alors à installer la bancloque dans une tour de l’enceinte de la "ville franche" ou dans un beffroi construit spécialement au milieu de la cité et devenant de ce fait le symbole des libertés acquises. Ainsi les cloches des églises n’ont plus de caractère que liturgique...

 

Louise (1783), 1802 kg, sonne en ré.

 

À Is-sur-Tille, trois cloches habitent l’église Saint-Léger. Il y a d’abord Louise, la plus ancienne, au passé agité - ne dut-elle pas être fondue trois fois avant d’avoir son existence propre ! -, en place depuis 1783, date de sa bénédiction, et qui porte fièrement les armes de notre ville, ainsi que la figure de l’évêque saint Léger et le Christ sur la croix, avec sainte Madeleine en prière à ses pieds. Belle pièce que cette douairière, fière cantatrice qui nous donne la note ré, puisqu’elle pèse 1 802 kg. Elle fut élevée au rang de monument historique le 15 avril 1943.

 

Suzanne-Mélanie (1835), 334 kg, produit un si bémol.

 

Dans son voisinage immédiat, la "petite" : elle ne pèse que 334 kg et donne la note si bémol. Elle porte d’un côté la Vierge, de l’autre le Christ et on y lit l’inscription suivante : "Faite en 1835 aux frais de la fabrique d’Is-sur-Tille, et bénite par M. Gouvenot curé, nommée Suzanne Mélanie. J’ai pour parrain M. le Cte J. L. M. Charbonnel de Salles, lieutenant général d’artillerie, chevalier de l’ordre royal et militaire de St Louis, grand’ croix de la Légion d’honneur, et pour marraine Dame Suzanne Trulard, veuve Marinet."

 

Geneviève-Marie-Thérèse-Jeanne (1926), 525 kg, donne le sol.

 

Quant à la troisième, c’est la pièce la plus honorée du groupe, celle qui est si fière de porter le titre de "cloche de la Mission". Pour elle, de nombreux souscripteurs enthousiastes d’Is et de Marcilly ont vidé leur tirelire, gens issus des familles modestes comme des plus fortunées, enfants, hommes, femmes, de tous âges, associations : que d’empressement et de générosité !... C’est que le métal requis pour la voir naître (alliage de 78% de cuivre et 22% d’étain : proportion correspondant au meilleur résultat pour la fusion du métal et pour la bonne sonorité de la cloche) coûtait cher. Sortie de la célèbre fonderie Paccard d’Annecy*, elle pèse 525 kg et donne la note sol. C’est en l’an de grâces 1926 qu’elle arriva dans notre ville, destinée à venir s’intercaler entre la grosse cloche ré et la petite cloche si bémol, pour un accord mineur ré sol si bémol, harmonieux et puissant**.

* De cette fonderie célèbre étaient déjà sortis Françoise Marguerite dite la "Savoyarde" du Sacré-Coeur de Montmartre (18 835 kg), le carillon de Chaumont et "Jeanne d’Arc", le magnifique bourdon de la cathédrale de Rouen (20 000 kg !)
Nota bene : Deux des plus grosses cloches connues : celle du Kremlin à Moscou pesant 201 206 kg, mais aujourd’hui déposée, et le gros bourdon de Notre-Dame de Paris d’un poids de 17 170 kg !
** Les cloches des carillons sont accordées et leur tracé suit les lois de l’acoustique, leur diamètre augmentant avec la gravité du son recherché. Chaque cloche émet un son complexe avec une note fondamentale accompagnée de ses harmoniques.
La hauteur du son varierait en fonction inverse de la racine carrée du poids de la cloche.

 

 

 

 

 

 

église d'Is sur Tille
ensemble ouest et clocher
photo prise sans doute avant 1905
idem pour les 3 suivantes

http://www.culture.gouv.fr/documentation/merimee/FRANCE/com-102.htm

 

Dans le culte catholique, les cloches sont solennellement bénies ou baptisées lors de leur mise en place et reçoivent un nom de saint, ainsi qu’un parrain et une marraine, ceci afin d’être adaptée à leur vocation. Vous êtes aujourd’hui invités, vous tous Issois, au baptême de Geneviève Marie Thérèse Jeanne, en cette journée paroissiale du dimanche 25 juillet 1926 où rien ne sera négligé pour en assurer la splendeur.

Huit jours avant la date de la cérémonie, dès son arrivée dans notre ville, quelle effervescence autour de la "cloche de la Mission" : on veut la voir de près, suspendue à son échafaudage provisoire !

C’est un défilé ininterrompu de paroissiens... Qu’elle est belle ! et si artistiquement ciselée aux effigies du Christ, de la vierge Marie, de Ste Geneviève, de Ste Thérèse de l’enfant Jésus, de Ste Jeanne de Chantal et de la marque des fondeurs ! Comme vigoureux semble le lourd battant intérieur suspendu au cerveau-calotte par une puissante bélière afin de mettre en vibration le métal, dans un mouvement impressionnant de balancier, pour que résonne la voix d’airain dans la grande cage de pierre du clocher !

En même temps, clergé, séminaristes, sacristines, jeunes filles de l’Association Jeanne-d’Arc, se hâtent de parer l’église aux couleurs de la Vierge, du Pape et de la France...Quelle fièvre, quelle impatience !

 

église d'Is sur Tille - vue intérieure du bas-côté sud et de la nef, vers le nord-est

 

Enfin arrive le jour attendu. A 10 heures précises, Sa Grandeur Mgr Landrieux, tout juste rentré d’un voyage fatigant à Chigago (quel honneur, ce déplacement jusqu’à Is-sur-Tille !), fait son entrée dans l’église, précédé d’un long cortège d’enfants de choeur et accompagné des Missionnaires, le R.P. Charpenet et le R.P. Guinot, ainsi que de M.M les Vicaires Généraux Marigny et Perrenet.

Tous gagnent le choeur où un trône aux riches tentures rouges frangées d’or attend Mgr l’Evêque. M. le Chanoine Constant, assisté de diacre et sous-diacre, est à l’autel qui a reçu une exquise décoration florale. La cérémonie du matin, alors, peut démarrer : marche solennelle et sonnerie "À l’Etendard" par la fanfare des Violettes, messe à 3 voix de L. Perosi et Tollite hostias à 4 voix mixtes de Saint-Saëns par le talentueux choeur paroissial, prêche en chaire du R.P Guinot qui explique le langage et la fonction de la nouvelle cloche, puis sortie de Monseigneur l’Evêque qui quitte l’église, accordant aux enfants sa bénédiction, aux accents de la fanfare qui forme la haie sur son passage. Va alors suivre un dîner privé pour 70 convives : Monseigneur et le clergé, parrain et marraine de la cloche, membres du Conseil paroissial, présidents et membres des Comités des oeuvres, délégués cantonaux de l’Union des Catholiques...

 

 

 

 

 

 

 

église d'Is sur Tille
vue intérieure de la nef, vers le choeur

 

Pendant ce temps, on s’amasse dans l’église, devenue trop petite pour l’occasion (de mémoire d’homme, il n’y eut jamais pareille affluence !)... et enfin, à 15 heures, le "baptême" de la cloche commence dans un magnificat entonné par le choeur paroissial et continué par la foule. Et tous les regards alors convergent vers celle pour qui tous sont là. Qu’elle est resplendissante dans sa jolie robe blanche ajourée sur fond bleu, suspendue à son échafaudage tapissé de lierre et piqué de roses !

 

la nef, vue de l'entrée

 

La cérémonie va se dérouler selon un rite majestueux, tenant compte des instructions du Pontificat : lavage de la cloche avec une eau bénite spécialement pour cet usage, onctions avec les Saintes Huiles, 7 sur la paroi extérieure puis 4 à l’intérieur, bénédiction de l’encensoir fumant d’encens et de thym et placé sous la cloche pour que des parfums la remplissent.

Ensuite Sa Grandeur "donne la voix" à la cloche : il tire trois coups de battant en l’honneur de la Sainte Trinité et invite le parrain, Monsieur Edouard Delaunay, et la marraine, Madame Louise Courtois Bazin, à faire de même*, puis il dit la signification de la cloche dans le langage de la liturgie et la splendeur de sa voix qui parle à nos âmes ..., il dit aussi sa gratitude pour le geste des paroissiens désireux de conserver vivant le souvenir d’une Mission** fécondée par la grâce de Dieu, et il en profite pour évoquer notre patrie sournoisement attaquée par la franc-maçonnerie, le pire des ennemis de l’Église, et par le poison d’un laïcisme destructeur qui a chassé Dieu de l’école et de l’âme des petits enfants...

Suit un déferlement d’applaudissements venus de la foule, vite comprimés : on est dans une église ! et c’est alors la fin de la grandiose cérémonie : salut solennel, hymne des cloches, cantate de Bach "Sonnez cloches bénies", distribution des traditionnelles dragées par le parrain et la marraine... La semaine qui suivra verra la nouvelle venue prendre place auprès de ses soeurs...

* Au Moyen-Age, cela s’appelait "donner la parole aux cloches".
** Cette grande Mission, prêchée par les Révérends pères Charpenet, Guinot et Bauquis, avait été clôturée le jour de Noël 1925 et avait été à l’origine d’une grande souscription populaire.

 

Is sur Tille - place de l'hôtel de ville
Notez la présence du tambour de ville !

 

Aujourd’hui, écoutons chanter l'église Saint Léger... Régulièrement, en son clocher, se lève une mer d’harmonie, union d’ondes sonores, d’une absolue précision, qui flotte, ondule, tourbillonne, s’étend, se gonfle : c’est la voix des cloches, dans l’annonce d’événements tristement graves ou joyeusement gais, rituels ou exceptionnels. Il leur faut s’adapter aux circonstances : tintements légers pour l’angélus, appels engageants pour les messes, glas lugubres et lents, envolées carillonnantes et joyeuses pour les mariages, les baptêmes ou les fêtes. La vibration de chaque cloche monte droite, pure, isolée des autres ; puis, peu à peu, enflant leur voix, toutes trois se fondent, se mêlent, s’enlacent, s’effacent l’une dans l’autre dans un superbe concert.
Vous y voyez sauter les octaves et éclater des trilles resplendissants. Vous pouvez suivre leur conversation, alors ne vous privez pas de cette féerie auditive...

 

Sources : Bulletins paroissiaux de l’année 1926 et "Histoire d’Is-sur-Tille" par Mochot, chapitre "Cloches"

 

la mairie et l'église, de nos jours

 

Source: http://www.is-sur-tille.com

 

 

 

https://www.stleger.info