septembre 1919 - l'autre mort d'Auguste

 

En août 1914 et dans les semaines qui suivirent, les combats qui ont opposé l'armée française et l'armée impériale allemande ont été effectués dans le cadre d'une "guerre de mouvement" au cours de laquelle se sont succédé marches et contre-marches, attaques et retraites. Les militaires faisant fonction d'officier de l'état-civil se trouvaient généralement au sein de l'état-major du régiment, pas nécessairement en tête mais pas non plus à l'arrière des troupes.

La guerre aux frontières fait rage. Dans les deux camps, les hommes tombent en masse. Le recensement des pertes, tués et blessés, est compliqué par les mouvements des troupes. Les périodes de repos sont rares. L'appel des hommes pas toujours facile. Lors de ces appels, ceux qui répondent "présents" ne savent pas toujours ce qu'il est advenu de leurs camarades manquants (...)

Les troupes manoeuvrant généralement en ligne, quelques fois en tirailleurs, des hommes tombaient, tués ou pas, alors que certains de leurs camarades poursuivant leur avance ou leur retraite, étaient à leur tour mis hors de combat ou faits prisonniers. Les "témoins" des premiers morts étaient ainsi dans l'impossibilité de faire (par deux) la déclaration légale de décès auprès des autorités compétentes. Il arriva que - en France ou en Belgique - des populations civiles restées chez elles ont ramassé les dépouilles de soldats morts, quand ce fut possible les ont identifiées, ont rapporté les décès aux autorités civiles (ou religieuses) parfois présentes, les ont fait enregistrer et ont procédé aux inhumations.

La brutalité de ces premiers combats ont également via des bombardements, des "marmitages", des explosions ou des incendies fait disparaître des hommes au sens propre. La forme de guerre qui suivit, la guerre de position (ou guerre de tranchées), ne permit pas d'avantage de mieux enregistrer les actes de décès.

Plusieurs problèmes découlèrent de cet état de faits :
- Comment faire le point sur les pertes réelles et leurs natures ?
- Comment "officialiser" certains de ces décès ?
- Comment faire le point sur les disparitions ?

Les fiches des soldats "Morts pour la France" mises en ligne sur le site Mémoire des Hommes proposent toute une variété de conditions de décès.
Parmi les plus fréquentes figurent : Tué à l'ennemi, Mort de blessures de guerre, Mort de maladie, Mort en captivité, Mort lors d'une tentative d'évasion, Disparu lors d'un naufrage, Disparu au combat... Ces mêmes fiches indiquent pour chacun comment fut rendu "officiel" le décès et où il fut enregistré.

 

la fiche d'Auguste

 

La plupart des décès survenus dans les ambulances (antennes médicales de la zone des combats) ou dans les hôpitaux militaires de l'avant, à la suite de blessures ou de maladie contractée au front, ont fait l'objet de déclarations auprès d'un officier de l'état-civil militaire ou auprès de la mairie du lieu, quand il en existait encore une, puis lesdites déclarations ont été transmises pour enregistrement à la mairie du dernier domicile connu du défunt (...)

Des soldats dits "Tués à l'ennemi" ont pu faire l'objet d'un acte de décès établi dans les formes par un officier de l'état-civil quand deux témoins du trépas pouvaient apposer leur signature à l'acte, ledit acte étant transmis pour transcription à la mairie du dernier domicile connu.
Bien des soldats "tués à l'ennemi" n'ont pu faire l'objet de la rédaction d'un acte de décès "règlementaire", faute des deux témoins. Ils ont cependant été rayés des effectifs quand pouvait avoir été récupérée leur plaque d'identité (plaque "unique" en maillechort comportant les prénom, nom, classe, lieu de recrutement et n° de matricule de son titulaire). Des hommes ont également été physiquement annihilés lors d'explosions, de glissements de terrains... Des officiers de l'état-civil ont pu également être tués et des registres de l'état-civil militaires dûment remplis perdus avec eux...

Afin de pouvoir rendre patente la mort de ceux n'ayant pu faire l'objet d'un acte de décès "normal", il a fallu recourir à des décisions de justice. Ce fut le Tribunal d'Instance dont relevait le domicile de chacun de ceux qui étaient concernés, qui fut sollicité. Une procédure standardisée fut mise en place. Les décisions de justice étant par la suite transmises aux mairies concernées.
Ces décisions de justices furent souvent primordiales. Elles ont permis de régler des problèmes de succession (héritages), de transmission de patrimoine, de gestion d'entreprises, sans oublier le remariage de veuves, la reconnaissances d'enfants comme Pupilles de la Nation...

 

6 septembre 1919 - jugement du Tribunal de Cholet

Jugement déclarant décès de Jaud

"(...) Et attendu que le sieur Jaud Auguste Charles Marie, né à Montigné sur Moine le treize mai 1881, fils de Auguste et de Marie Dobigeon, époux de Bousseau Marcelline Marie Mélina, profession de ---------, domicilié à Montigné sur Moine, est décédé comme soldat au 77e d'infanterie et mort pour la France à Zonnebeke le douze novembre mil neuf cent quatorze

Que ce décès est attesté par un acte de disparition et une liste d'inhumation d'origine allemande et confirmé par ce fait…/… Requiert qu'il plaise au Tribunal… déclarer que le sieur Jaud sus-nommé, est décédé et mort pour la France… et dire que le jugement à intervenir tiendra lieu d'acte de décès et qu'il sera transcrit (dans les registres de la commune de Montigné sur Moine)

Cholet, le 6 septembre 1919"

D'où cette indication sur sa fiche de Mémoire des Hommes :

Le verso de ce document reprend les termes du jugement, à quelques mots près, pour lui donner force d'exécution :
"(...) Attendu que le décès du sieur Jaud paraît établi d'une façon certaine et qu'il y a lieu de le déclarer constant, en en fixant la date au douze novembre 1914 (...)"

"Ainsi fait et prononcé le six septembre mil neuf cent dix neuf en audience publique du Tribunal civil de première instance de Cholet, tenue par Messieurs (suivent les noms du Président, de son adjoint, des juges, du Procureur de la République, de son assistant et du commis-greffier)"
Au-dessous : "Visa pour timbre et enregistré à Cholet le vingt-deux septembre 1919
Gratis
"

 

Pour certaines des familles, ne pas pouvoir se recueillir devant une tombe était insupportable. C'est une des raisons qui ont conduit le gouvernement français de l'époque à faire déposer à l'Arc de Triomphe de Paris celui qui devait représenter tous ces inconnus, ces "sans tombe identifiée", ces "vrais disparus" mais toujours présents.

 

 

 

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