"La barbarie a réussi
à établir son règne.
Ne vous faites aucune illusion.
Cest le règne de lenfer. "
Lettre de Joseph Roth à Stefan Zweig (1933)
Propos recueillis dans l'Humanité du 18 mars 1998
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Le camp de Mérignac
"C'était un petit
camp, entouré d'une haute palissade, de fils barbelés
et de miradors.
Presque rien à manger. Aucune hygiène. Pas
d'infirmerie. Un camp de passage. Je n'y ai jamais vu d'Allemands.
Uniquement des Français.
Un soir, profitant d'une alerte aérienne, Maurice et Marcel
ont essayé de s'évader. Marcel a réussi. Mais
Maurice a été repris et enfermé dans la baraque
aux otages.
Les policiers nous ont battus pour avoir des renseignements sur
Marcel.
Un jour, comme je leur disais que j'étais trop jeune pour
être enfermée, l'un d'eux a dit: 'De toute façon,
tous les juifs seront déportés."
Le zèle de Maurice Papon
"Maurice Papon a
aussitôt envoyé à la Gestapo un avis de recherche
du "Juif Zyguel Marcel".
Pendant ce temps, au camp, nous étions séparés
les uns des autres. Quand j'ai revu mon frère Maurice,
c'était le jour du départ pour Drancy. J'ai
demandé à être avec lui. Les gardiens nous ont
menottés l'un à l'autre pendant tout le voyage.
Dans mon compartiment, l'inspecteur en civil a dit : "Si vous avez
des cartes d'alimentation, vous pouvez me les donner. Vous n'en aurez
plus besoin."
L'arrivée à Drancy
"Notre père est
arrivé, catastrophé. C'était épouvantable
de nous retrouver ici...
Le camp était immense, une vraie fourmilière. Ça
circulait dans tous les sens. Les gens arrivaient, repartaient. Une
agitation incroyable. Au bout de cinq jours, on a été
envoyés vers Pithiviers. Là, on dormait sur de la
paille. On a rapidement été couverts de
puces."
Le départ vers Auschwitz
"A la sortie de Pithiviers,
les flics français fouillaient les bagages et ramassaient tout
ce qui les intéressait.
A la gare, on a été remis aux Allemands. Ils avaient
des listes sur lesquelles ils pointaient nos noms avant de nous faire
monter dans les wagons à bestiaux. Très
brutalement.
Mon père, mon frère et moi, nous avons
été mis ensemble. Pas ma soeur. Je l'avais
aperçue, de loin, à la sortie du camp. Je ne l'ai plus
jamais revue."
Le train de la mort
"On était une
centaine. Il fallait se relayer près de deux petites
fenêtres fermées avec des barbelés. Rien à
manger. Un fût en métal, pour faire ses besoins, qu'on
devait vider par la fenêtre. Il en tombait autant dedans que
dehors...
A deux ou trois reprises, les Allemands ont ouvert les portes des
wagons et autorisé deux ou trois personnes à aller
chercher de l'eau à l'unique robinet de la gare. Pour mille
personnes... Et tout le monde n'avait pas un
récipient."
Le camp de la mort
"Dans une petite gare,
Eichtal, les Allemands ont ordonné aux hommes valides de
descendre, environ 150.
Le train est reparti, avec les femmes, les vieillards et les enfants.
De ce moment-là, je n'ai plus connu de l'allemand que des cris
et des insultes. Ponctués par des coups. Trois ans de
"Zwangsarbeitslager" (camp de travaux forcés nazi), avec la
faim, le froid, le vent glacial... je ne sais pas comment, à
mon âge, j'ai pu survivre.
Mon frère et moi étions chargés, le soir,
d'enterrer les camarades morts dans la journée. J'ai pris
leurs cadavres nus dans mes bras.
Lors de l'appel, certains ne pouvaient plus se lever. Ils savaient
qu'ils allaient mourir. Ils s'accrochaient à nos pyjamas.
Un jour, mon père souffrant a été envoyé
dans un soi-disant "camp sanitaire". Par dignité, on a fait
semblant d'y croire. On s'est dit "Au revoir, à
bientôt". Mais on savait...
La marche de la mort
"Début 1945, les
Allemands ont décidé d'évacuer le camp où
nous nous trouvions : Auschwitz III.
On entendait les bombardements tout proches. Ils ont distribué
une boule de pain et un peu de margarine à chacun. Rien de
plus pendant douze jours de marche.
On n'avait pas le droit de s'écarter du rang, ni de
s'arrêter, même pour faire ses besoins. Le moindre
traînard était immédiatement
exécuté.
Chaque jour, quatre-vingts camarades mouraient.
Un jour, quelqu'un m'a prévenu que mon frère ne pouvait
plus se relever. Il n'en pouvait plus. Il m'a dit: '"Laisse-moi,
sinon nous mourrons tous les deux."
Finalement, je ne sais comment j'ai réussi à le
persuader : il s'est levé comme un automate. Et nous sommes
arrivés à Buchenwald.
La résistance y était bien organisée. En avril,
quand les Américains sont arrivés, le camp venait
d'être libéré par les armes.
Nous n'avons pas tué les nazis : nous les avons remis vivants
aux Alliés."
Les Allemands
étaient chez moi Personne ne m'a
demandé J'ai changé
cent fois de nom Un vieil homme dans
un grenier Hier encore nous
étions trois Le vent souffle sur
les tombes
Emmanuel d'Astier de La Vigerie
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tiré de http://users.skynet.be/pierre.bachy/Shoah.html