Les tisserands en cave

 

 

 

 

En hommage aux "tisserands en cave" de Cholet et d'ailleurs, qui vécurent, travaillèrent et peinèrent tout au long du XIXe siècle.
Artisans courageux et fiers, épris de liberté, passionnés par leur métier, ils ne furent bien souvent que des souffre-misère.

René Berger

 

1865 - 1875
Le tisserand an cave disparaît et le tic-tac de son métier est remplacé par le bruit assourdissant des métiers mécaniques.
Les rouets à filer, les "travouils", les châtelets, les ourdissoirs, les poellettes... ont cessé de vivre.

 

la dernière maison de tisserand de St Léger sous Cholet,
au centre du vieux bourg
photo prise en 2001, avant sa rénovation

 

l'habitat  

Les maisons, en rez-de-chaussée surélevé, avec quelques marches de pierre enjambant souvent le caniveau, sont construites en schiste du pays.
Toutes les maisons sont orientées au midi pour assurer un meilleur éclairage.

Au rez-de-chaussée une seule grande pièce, de 20 ou 25 m2, où s’entassent les quelques meubles, les lits et les ustensiles de cuisine. C’est la promiscuité.

Dans le sol, une trappe s'ouvre sur un escalier donnant accès au sous-sol, la "cave", généralement partagée en deux pièces : la réserve de bois, la "resserre", et l’atelier, la "boutique".
Des petites fenêtres à quatre vitres dispensent un éclairage parcimonieux. Le sol est en terre, toujours humide, et les variations de température rendent les fils cassants. Cette humidité rend l’atmosphère malsaine, ce qui n’empêche pas le tisserand de chanter.

 

la blanchisserie de la Rivière Sauvageau, à Cholet,
actuel Musée du Textile

 

le travail  

L’épouse, ou le fils de 10 ans, aide au rouet, dévide les épelles (bobines garnissant les navettes).
On assiste parfois à des concours de vitesse, pour l’émulation, entre le garçon qui "dévroille" (dévide l’écheveau utilisé pour l’épelle) et le père ou l’aîné qui tisse un "paré" (deux mouchoirs).
Un coup de "bandoue" (latte séparant deux rangées de fils de la chaîne) sanctionnera le perdant.

Lorsque la pièce (18 douzaines) est achevée, le tisserand s’octroie deux jours de "repos". Pas un vrai repos. En fait, il charge son "travail" dans un sac qu’il prend sur son dos. Et il va le porter, à pied, chez le patron, le négociant. Puis il revient à la boutique avec une pièce nouvelle, et, dans la poche, le maigre salaire de son travail.

Le lendemain, la "noueuse", sa femme le plus souvent, noue les fils de la nouvelle pièce mise sur le métier, tandis que le tisserand trouve une courte détente dans son petit jardin.

On travaille beaucoup pour gagner peu.

 

à nouveau la blanchisserie de la Rivière Sauvageau, à Cholet

 

le mode de vie  

Les familles de tisserands, souvent nombreuses, vivent entassées dans l’unique pièce de la maison.

Dès qu’il fait beau, et que vient la belle saison, on mange dehors, sur le "pas de la porte" ou en groupe. Le soleil et la lumière, constrastant avec le clair-obscur de la boutique, éblouissent et font cligner les yeux des tisserands.

On mange la soupe, puis des légumes tirés du bouillon, le fricot dans une "crôle", écuelle de terre cuite ou assiette creuse en terre, ou un pot. C’est le fricot à sauce, mais un bien maigre fricot.
La viande n’apparaît sur la table que quelques jours par an, aux grandes fêtes. Mais à Pâques, à moins d’un total dénuement, on sert la soupe grasse.
Le "fricot" sec se mange sur le pain, avec le couteau pour couper chaque bouchée.

Le beurre, la tartine beurrée avec un fruit du jardin, remplace le fromage cher et rare.

Comme boisson, de l’eau que l’on va quérir à la fontaine communale avec la bue, cruche à trois anses.

 

le Musée du Textile, à Cholet
http://www.ville-cholet.fr/

 

 

un bourg de tisserands :
La Romagne
 

La Romagne est un petit village à une dizaine de kilomètres de St Léger.
Ce rimiau, qui parle d'usines... qui à leur tour se sont tues..., est extrait de "Coutumes, légendes et rimiaux des Pays d'Anjou."

 

Qué tchi, qué tâ, qué tchi, qué tâ...!
Dans tot’ les rues, dans tot’ les v’nelles
Dans les racoins, par ci par là
Les métchiers dévroîllent les épelles.

Dans tchan paydji, y a bein trente ans,
J’vous parl de ça avant la djerre
On gn’y trouvait que des tchiss’rands
Guichés en cave d’ssos la terre.

Ils s’tenaient là tôt l’long daujour
Poussant torjou leu navettes
Ne s’permettant que d’faire un tour,
"Le tour d’aubourg" leu journée faite.

A travailler is n’gagnaient rein
Vingt sous, trent sous dans leu journée
Ils s’nourrissaient avec d’au pain
Et un p’tchit d’beurr pour la graissée.

On pouvait bein r’garder partôt
Dans les pâillas’ dans les tchirettes,
En d’sous l’foudjet, dans l’pus p’tchit pot !
Y avait point d’sous dans les cachettes !

C’était la vraie miser’ j’vous djis
Tchi s’tenait dans tot’ les batchisses
Tot l’mond craydjait dans l’paradjis,
Et on n’d’mandait point qu’ça fignisse.

A c’t’heure c’est bien un p’tchit changé
Les tchiss’rands n’sont pus dans les caves.
Qué tchi ! qué ta ! s’est envolé
Et les yeux sont un peu moins caves.

L’usine est là - et nuit et jour -
Tot’ ses courroies, tot’ ses machines
Tour’n sans arrêt, font mill’tours -
Et à son tour courb’ les échines.

Par d’sus les toits, ben aplatchis
Et d’sous leu tuil’ ou sal’ ou rouges,
L’église dresse ses grands murs gris
Ses deux grouss’ tours carrées et lourdes.

Félix Landreau

 

Source :
"Marie-Jeanne du Tisserand ou Les souffre-douleur des Mauges
Histoire d'une région, d'une époque, d'un métier
"
un livre social et romanesque de René Berger
Editions du Petit Pavé, BP 17 - Brissac Quincé
49 320 St Jean des Mauvrets

   

 

 

 

Les maisons de tisserands
Le coeur en cave

 

 

 

Le coeur de ces maisons, c'est la cave. C'est là que le tisserand préservait son fil de la cassure par une humidité dosée tant bien que mal. C'est là que, courbé sur son métier, il s'abîmait les yeux à la lumière inégale d'un simple soupirail.

L'origine des maisons de tisserands se perd dans la nuit des temps. Combien y en a-t-il eu dans le Choletais ? Des milliers ? Des dizaines de milliers peut-être... Toujours est-il qu'après la tourmente révolutionnaire, de riches négociants ont relancé le textile et remis sur pied nombre de ces modestes habitations dont les planchers et charpentes de bois alimentaient si bien les incendies. (...)

 

 

Certains quartiers ont conservé -ou vu reconstituer- leurs alignements pittoresques de maisonnettes et de jardinets potagers mitoyens. L'habitat est regroupé, parfois collectif, car si le tisserand travaillait seul sur son métier, il avait besoin d'aide pour manoeuvrer les pesants rouleaux de tissu.

Traditionnellement, la façade de sa maison présente des ouvertures basses et étroites, avec jambages et arcs en brique, un petit escalier aux marches de granit, et un sous-sol à demi enterré accessible de l'extérieur. "Les métiers à tisser, explique Louis-Emmanuel Gaillard, étaient installés dans les caves pour des raisons d'équilibre hygrométrique, pour éviter que les fils ne se cassent ou ne s'élongent. Inconvénient : il y faisait sombre."

 

 

Pour faire entrer le plus de lumière possible dans ces caves, elles étaient percées de soupiraux en trémies et les maisons étaient orientées au midi. Au-dessus, deux pièces, où vivait toute la famille, quelquefois deux générations ensemble. Les tisserands vivaient chichement, mais préservaient leur autonomie grâce à leurs petits jardins de légumes parallèles, accessibles par des impasses et équipés de latrines et d'un puits commun.

Pour voir ces maisons aujourd'hui devenues coquettes, mais dont certaines sont encore dans leur "jus", il faut aller flâner à travers ces rues de Cholet dont les noms évocateurs fleurent bon la nostalgie : Saint Bonaventure, les Grands Jardins, les Blanchisseurs, la Thomasserie, les Deux Ponts, le Calvaire, les Bourgniers, les Câlins... Et le passé ressurgit, fait de dur labeur et de craintes ancestrales...

 

Source :
Pays de Cholet Magazine, octobre 2002
Charles Vincent et Cécile Langlois

 

 

  

 


vers le mouchoir rouge

 


vers le musée du textile

 


vers le musée de la chaussure

 


vers les célébrités du Choletais     

 

 


vers St Léger sous Cholet