la éfenestration de

Saint éger sous euvray

 

 

Le jeune homme bien mis qui comparaît ce 23 janvier 1929 devant les Assises de Saône-et-Loire a sur la conscience le meurtre de sa jeune femme de 20 ans. Il l’a tuée en la jetant par la fenêtre...

Quand ils sont sortis, bras dessus bras dessous, de la mairie de Villapourçon (Nièvre) où ils venaient de contracter mariage, le 21 avril 1923, François Poignant et Lucie Martin pouvaient apparaître comme un couple idéal. Il avait 25 ans et portait beau ; il avait un métier sérieux (il était caviste à Saint-Léger-sous-Beuvray) ; et elle était belle et très jeune : 15 ans et demie. Ce mariage-là avait revêtu les atours du vrai bonheur.

Mais chassez le naturel, il revient au galop. Si la jeune mariée semblait douce, la réputation du jeune homme n’était pas vraiment sans tache. Il avait un peu la bougeotte, ayant déjà tenu, à 20 ans, trois ou quatre emplois, et dans des contrées parfois éloignées du Morvan, avant de revenir à Saint-Léger-sous-Beuvray, la commune où il était né. Il avait été manoeuvre chez un charpentier, puis batelier… Il ne semblait pas se plaire longtemps chez le même patron.

Cela, on en conviendra, n’est pas très grave. Ce qui l’était davantage, c’est que François Poignant avait laissé, un peu partout où il était passé, la réputation d’un homme violent, brutal et, comme on disait à l’époque, intéressé. C’est-à-dire près de ses sous.
Cela pour dire que le couple idéal qui sortait de la mairie de Villapourçon le 21 avril 1923 n’était pas aussi idéal que ça. Lucie Martin allait très vite l’apprendre à ses dépens.
Et d’un : son bel homme buvait. Chez lui et au bistrot.
De deux : il était autoritaire.
De trois : il se révéla pingre à l’excès avec sa jeune femme.
Et de quatre, il était brutal. Brutal en paroles et brutal en gestes.
Et c’est cet homme-là qu’avait épousé un jour du printemps 1923 Lucie Martin.

Combien de temps la lune de miel dura-t-elle ? Quelques semaines ? Quelques mois ? En tout cas moins de quelques années puisque, 5 ans et 3 mois après le jour de l’union, François Poignant tuait Lucie Martin en la défenestrant. C’était le 16 août 1928.

Les époux vivaient à Saint-Léger-sous-Beuvray. Ce jour-là, Lucie Martin l’avait passé chez elle avec sa soeur Marie-Louise qui était venue prendre une semaine de vacances auprès d’elle. Le 16 août, les deux jeunes femmes dînèrent ensemble vers 19 heures, avant que François Poignant ne fût rentré du travail (plus exactement du bistrot). Puis, comme il faisait beau, Lucie et Marie-Louise décidèrent d’aller faire une petite promenade. Lucie ferma la maison à clé et mit la clé en un endroit convenu entre elle et son mari. François Poignant rentra vers 21h30. La maison était fermée. Il engagea la conversation avec un voisin, M. Thomas, et, tout en discutant, se mit à chercher la clé. L’alcool ayant un peu embrumé sa vision des choses, il ne put mettre la main sur elle. L’irritation, puis la colère, montèrent en lui. Là-dessus, alors qu’il est déjà un peu "chaud", voilà que son épouse et sa soeur réapparaissent. M. Thomas est toujours là. Cela n’empêche pas Poignant de prendre sa femme à parti et de l’invectiver :
- Où as-tu mis la clé ?
- Là où on la met d’habitude.
- Eh bien ! elle n’y est pas !
- Ah bon ?
Lucie se rend à la cachette et... trouve la clé. Elle ouvre la porte et rentre dans la maison avec sa soeur, tandis que Poignant fait encore deux minutes de conversation au voisin. Puis il entre à son tour. Et il monte.
Il monte, car le domicile des époux Poignant est une maison haute. La pièce où ils vivent et où ils mangent,et même où ils dorment, surplombe la cour de 7 mètres environ.

En arrivant à l’étage, l’homme est de très mauvaise humeur. Avec l’épisode de la clé, il a un peu perdu la face. En plus, il n’a pas mangé et il est déjà 21h30.
Il bouillonne à l’intérieur et un peu à l’extérieur ; il commence à transpirer ; il va donc ouvrir la fenêtre. Pendant ce temps-là, sa jeune épouse vaque à ses occupations. Ou fait semblant de vaquer. L’atmosphère est lourde ; Lucie s’attend à des violences.
Passent quelques minutes. Devant le mutisme de son mari, Lucie décide de se déshabiller pour se mettre au lit. C’est alors qu’intervient Poignant :
- Apporte-moi du vin ! ordonne-t-il.
Lucie répond calmement que… le litre de vin est sur la table et qu’il n’a qu’à se servir.

Cette fois, ça ne passe pas.
Poignant se lève, avance vers Lucie, lui administre deux maîtresses gifles, lui donne des coups de poing, la prend à bras-le-corps, la renverse sur le lit en continuant à la frapper, lui déchire sa chemise…
Lucie parvient à se dégager, saute en bas du lit, se met à courir dans la pièce, cherche à se sauver, mais Poignant réussit à fermer la porte à clé avant qu’elle ne l’ait atteinte.
Puis il attrape sa femme, continue à la rouer de coups, l’approche de la fenêtre, qu’il avait ouverte quelques instants auparavant et, attrapant Lucie par la taille, il la soulève et la précipite par la fenêtre.
Sept mètres plus bas, la tête de la jeune femme heurte le sol.

Poignant se précipite dans l’escalier. Sans doute est-il en train de réaliser qu’il vient de commettre une très grosse bêtise. Quand il arrive près du corps, celui-ci est inanimé. L’homme prend sa femme dans ses bras, remonte à l’étage et l’étend sur le lit.
Lucie ne donne plus signe de vie. Poignant tente tout de même de la ranimer. Mais c’est peine perdue. Lucie Poignant, née Martin, ne revient pas à elle.
L’enquête établira que la jeune femme est morte environ une demi-heure après avoir été défenestrée, des suites de multiples lésions occasionnées par cette chute, notamment dans la région du crâne.

François Poignant a été arrêté dans la foulée de son crime, par les gendarmes de Saint-Léger-sous-Beuvray. Les enquêteurs furent tout de suite convaincus de ses responsabilités dans cette affaire, même s’il tenta de présenter cette mort violente comme un accident.
François Poignant fut donc mis en accusation et incarcéré en préventive. Il arriva devant les Assises queque huit mois après les faits, le 23 janvier 1929.

L’accusé s’y présenta sous son meilleur jour. "Poignant, écrira le chroniqueur du "Courrier de Saône-et-Loire", est très proprement vêtu d’un complet de velours ; sa physionomie est plutôt sympathique et, à le voir entre les gendarmes, on ne dirait certainement pas le brutal et le violent présenté par l’accusation".

A la barre, le président l’interroge sur son curriculum vitae, ses précédents emplois, ses rapports avec ses anciens employeurs et sur "sa" guerre de 14.
Né en 1897, François Poignant a été mobilisé au début de l’année 1917, mais il n’a jamais été envoyé au front. C’est curieux, mais c’est comme ça.
Puis viennent les questions, plus intéressantes, de ses rapports avec la victime.
Sur la façon dont ils se sont connus, on n’apprendra rien, mais sur leur cohabitation, beaucoup. Plusieurs témoins évoqueront les scènes de ménage, les cris, les coups même que recevait Lucie. On entendra dire que le mari violent refusait jusqu’au pain à sa femme. Il sera aussi question de divorce.

Peu avant le drame, Lucie Martin avait manifesté son intention de se rendre à Paris. Et puis, il y avait cette confidence, faite par la victime le jour même du drame à une amie : "Je ne sais pas ce qui va se passer ce soir ; j’ai un pressentiment que mon mari va me tuer." Le mari, lui, il nie sans relâche, comme il a fait pendant toute l’enquête ; il parle de suicide : "Ma femme s’est jetée par la fenêtre, je n’ai rien pu faire".

S’il n’y avait pas eu de témoin, cette version des faits aurait pu trouver acheteur, mais la soeur de la victime était là, qui avait presque tout vu, et son témoignage pesa lourd dans la balance.
Aussi M. Pépin, procureur de la République, n’eut-il pas besoin d’être très long pour expliquer aux jurés ce qu’il pensait de la culpabilité de l’accusé : "Le 16 août, Lucie Martin sentait la mort rôder autour d’elle, tonna-t-il ; l’homme le plus sanguinaire, le plus féroce, a toujours un moment de regret. Vous, accusé Poignant, votre crime accompli, vous n’éprouvez pas un sentiment de remords... Par votre indifférence, par votre cynisme, vous avez scandalisé tout le monde, même les gendarmes." Et de requérir les travaux forcés à perpétuité.

Me Menand, du barreau d’Autun, grand avocat s’il en fut, "affronta bravement la lutte" (la formule est du chroniqueur judiciaire du "Courrier"). Il ne dissimula pas la gravité de l’acte abominable commis par son client. Pour sauver ce qui pouvait l’être, il s’immisça habilement dans les interstices d’incertitude laissées libres par l’accusation.
D’abord, il dégagea le sceptre noir de la préméditation, puis il montra ce que pouvait avoir d’accidentel, dans une certaine mesure, le geste mortel de Poignant.

La messe était dite. Les jurés se retirèrent et revinrent assez vite avec un verdict de culpabilité. Sans plus. La Cour condamna François Poignant à 12 ans de travaux forcés.

pcc : MICHEL LIMOGES
le Journal de Saône et Loire - 21 mars 2010

 

 

 

 

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