Les évasions de acques Douelle
août 1771 et janvier 1772

 

 

A la droite de la mairie de Saint Léger de Balson, face à l'église, se trouvait le siège de la maison de justice du château de Castelnau de Cernès dont il subsiste encore la geôle d'où s'est évadé Jacques Douelle le 26 janvier 1772. La prison occupait les sous-sols voûtés de cette maison, éclairés par deux soupiraux. Cette construction, en cours de réparation, abritait encore, il y a peu, un restaurant : "le Relais des Chasseurs".

 

 

 pour découvrir la carte de Cassini (fin du XVIIIe)

 

Voici un fait qui s'est passé en ces lieux, raconté de 2 façons différentes :

 

Texte transmis par M. Bancheraud

 

Jacques Douelle était une sorte de marginal sans profession, âgé de 22 ans et vivant à Laulan, sur la paroisse de Léogeats. Il était nous dit-on "atruandi à mandier pour amasser sa vie..."

A mendier, certes, mais aussi à voler. Par le plus grand des hasards, il s'était fait prendre à la suite d'un vol qu'il avait commis à Triscos, sur la paroisse de Balizac.

Il y avait volé, entre autres choses, un gilet rouge un peu trop voyant. Il l'avait revêtu, un certain dimanche pour aller à la messe à Léogeats. Il se trouva que ce jour là, par un hasard à peine croyable, le propriétaire du gilet vînt assister au même office alors que ce n'était absolument pas sa paroisse.

La victime partit chercher du renfort et Douelle fut capturé par un commando formé par les victimes de ses exactions, et ceci dans des conditions absolument rocambolesques qu'il serait trop long de rapporter ici.

Le 13 août 1771, sous bonne escorte, il fut conduit devant le juge de Castlnau. Mais comme la prison de St Léger était pour lors occupée, Douelle fut conduit à celle de Cazeneuve qui se trouvait dans le bourg de Préchac. Dans la nuit du 23 au 24 août, il s'en évada en forçant la porte de sa cellule dont il avait tordu le verrou jusqu'à le sortir de son logement creusé dans la pierre. Ce Jacques Douelle devait être une forte nature...

Le 7 octobre, il fut repris par la maréchaussée et reconduit en sa prison entre deux cavaliers. Celle de St Léger s'étant libérée dans l'intervalle, il y fut transféré afin de faciliter l'instruction de son procès.

Le dimanche 26 janvier 1772, à la sortie de la messe paroissiale, coup de théâtre ! Jacques Douelle s'était encore évadé. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Que s'était-il donc passé ?

Louis Bourdet, le geôlier, nous le raconte le lendemain :

"Hier, jour de dimanche, ayant porté audit prisonnier son pain et de l'eau, ayant bien clos et fermé les prisons, (je suis allé) entendre la sainte messe... et à (mon) retour, (j'apprends) que ledit Douelle a arraché une barre de fer qui fermoit une lucarne qui donnoit le jour auxdites prisons, (alors) que tous étaient à entendre la sainte messe..."

L'enquête qui s'ensuivit nous apprend que la lucarne "est à dix pieds ( 3m 20 environ) de hauteur du sol et il paroit impossible qu'un homine pu y monter sans échelle."

Mais Douelle était plein d'invention. Avec la paille abondante qu'on lui avait fournie pour son couchage, il avait tressé une corde et utilisant ses deux sabots enfoncés à force dans les anfractuosités du mur, il s'était fait un escalier pour atteindre l'ouverture et desceller la barre de fer insuffisamment engagée dans une pierre jugée trop "molle".

Dès lors, l'évasion ne fut plus qu'un jeu d'enfant puisque, la lucarne franchie, Douelle s'était retrouvé sensiblement au niveau du sol extérieur.

Est-il besoin de décrire l'émotion que cette spectaculaire évasion put soulever dans St Léger ? En tout cas, il est bien probable que les prisonniers suivants ont disposé de moins de paille pour leur couchage, payant ainsi par un moindre confort les audaces de Jacques Douelle dans lesquelles ils n'étaient pourtant pour rien. Ainsi vont les choses en ce bas monde...

 


 

Texte écrit par M. Jean Dartigolles 1997
"Marsau - Histoire d'une famille de laboureurs
au quartier de Triscos, commune de Balizac (33)
Deux siècles de vie quotidienne 1610-1829"

 

Le lendemain de la SAINT JEAN 1771, alors que tout le monde était au champ, un quidam s'introduit chez Arnaud MARTIN, habitant à TRISCOS, et lui vole un gilet rouge en toile de Cadix presque neuf, mais ne touche à rien d'autre.

Cet évènement fait évidemment l'objet de nombreux commentaires, mais personne n'a rien vu ni remarqué, et l'on ne sait trop de quel côté orienter les recherches. Pas content, mais finalement résigné, Arnaud MARTIN finit par faire son deuil de son gilet.

Or, voilà que le dimanche 11 août suivant, la fantaisie prend à MARTIN d'aller entendre la messe à LEOGEATS.
Et là, oh surprise ! il voit son gilet sur les épaules du dénommé MAURUGON, valet à FOND de BAQUEY. Son sang ne fait qu'un tour, il se précipite et le prend au collet.

Non, MAURUGON n'a ni acheté ni volé ce gilet, mais il a simplement surpris Jacques DOUELLE, un jeune plus ou moins marginal habitant LAULAN, en train de le cacher dans une grange.
Il n'a rien dit, mais il l'a tout simplement emprunté, ce jour, pour venir à la messe en sa paroisse. Il ne fait d'ailleurs aucune difficulté pour le restituer à MARTIN qui s'en revient à TRISCOS tout réjoui de cette heureuse coïncidence. Mais à peine arrive-t-il chez lui qu'il découvre sa famille en pleine effervescence. Tandis qu'il entendait la messe à LEOGEATS, tous les siens s'étaient rendus à l'office de BALIZAC. Pendant ce temps, il n'y avait donc plus personne à la maison, ni dans tout le quartier d'ailleurs, puisqu'il n'était pas question que quiconque puisse manquer la messe.

Et à leur retour, les siens avaient trouvé un volet du côté nord du logement fracturé. De l'extérieur, on avait entamé au couteau le montant de bois dans lequel pénétrait le verrou intérieur, et, l'ayant libéré, le volet s'était ouvert sans résistance.

Toute la famille était en train de procéder à l'inventaire des objets volés. Il manquait 15 écus de 6 livres chacun, cachés dans une armoire, 4 grandes serviettes, une nappe et 4 chemises d'homme. De plus, on avait manifestement cherché à forcer la serrure du coffre de l'épouse d'Arnaud MARTIN, sans pour autant y être parvenu. Au surplus, on leur avait mangé une bonne part de la cruchade destinée à leur repas de midi.

Mais dans le même temps, des clameurs s'élevaient de la maison voisine où Antoine GUICHENEY et sa famille, revenant eux aussi de la même messe, venaient de découvrir que leur habitation avait, elle aussi, été cambriolée, le voleur étant entré par un passage pratiqué dans le mur mitoyen commun avec les MARTIN. Chez les GUICHENEY, le vol était moins conséquent. On leur avait pris un morceau de lard de trois à quatre livres, une vieille culotte et une chemise d'homme.

La nouvelle se répandit aussitôt comme une traînée de poudre. Mais voici que l'on recueille très vite un renseignement important. Marie DUPRAT, épouse de Guillaume CASTAGNET, était restée ce jour-là dans son lit pour cause de maladie. Elle habitait au quartier de MOULIEY. Or voilà que, pendant que tous les siens étaient à la messe, elle entend du bruit à sa porte, laquelle s'ouvre, et elle voit entrer... Jacques DOUELLE qu'elle reconnaît formellement. Surpris de trouver quelqu'un dans une maison qu'il croyait déserte, il fait aussitôt retraite et s'enfuit vers TRISCOS. Marie DUPRAT en est sûre, elle l'a vu par sa fenêtre.

Ce témoignage important, rapproché de l'affaire du gilet, désigne aussitôt le coupable. MARTIN et GUICHENEY prennent la tête d'une troupe formée des hommes de TRISCOS et partent en campagne à la recherche de DOUELLE. Ils se rendent à LAULAN d'où il est originaire, mais ils ne l'y trouvent pas.

Cependant, ils ont alerté beaucoup de monde, et le lundi leur parvient un renseignement leur faisant connaître que DOUELLE est en train de dormir dans une grange à FOND de BAQUEY. Les voilà aussitôt repartis, et ils l'y trouvent. Le réveil est plutôt rude, d'autant qu'il porte la chemise de GUICHENEY...

Il reconnaît l'avoir volée, ainsi que le pantalon, mais, connaissant les lieux mieux que les Balizacais, il profite de la confusion pour s'enfuir dans les bois en dévalant la pente en direction du CIRON. Il a toute la meute des hommes à ses trousses criant "Aoû boulure !" (Au voleur) à qui mieux mieux.

Il tente de passer l'eau au barrage du moulin de CAUSSARIEU, mais là, le dénommé LAPIN, un homme de BUDOS, "allerté à la clameur publique" s'interpose devant lui, permettant aux Balizacais de le reprendre. On le ramène à la grange où il restitue ce qui reste du lard de GUICHENEY.

Mais il prétend n'avoir rien volé d'autre, ce qui ne fait pas du tout l'affaire de MARTIN. On le ramène à TRISCOS sous bonne escorte. Là, il reconnaît être venu une première fois, fin juin, pour voler le gilet, puis une seconde fois, la veille, après sa tentative infructueuse à MOULIEY. En le fouillant, on trouve sur lui une clé dont une dent est fraîchement cassée et qui a bien pu servir dans la tentative de forcer le coffre de l'épouse de MARTIN.

L'affaire est entendue. On le conduit à SAINT LEGER pour l'enfermer dans la prison de la juridiction de CASTELNAU. Cette prison était située dans les caves du Parquet qui ne sont autres que celles de l'actuel restaurant du village.

Mais là, les choses se compliquent. Devant tant de preuves réunies sur la tête d'un délinquant que les victimes elles-mêmes viennent livrer, ces messieurs de la Justice sont bien d'accord pour l'incarcérer. Mais la prison est pleine (il semble bien qu'en tout et pour tout, elle ait offert deux places).

Qu'à cela ne tienne, il y a une place de libre à la prison du Château de CASENEUVE, ce n'est pas la même juridiction, mais après tout, c'est le même seigneur. On conduit donc DOUELLE à CASENEUVE où il est incarcéré le 13 août.

On a tout de même procédé à un premier interrogatoire de l'accusé, ce qui nous permet de nous faire une idée sur son compte. Il a 22 ans, il habite LAULAN, ainsi que nous le savions déjà, il a perdu ses père et mère en bas âge, et, n'ayant aucune profession : "il se seroit atruandy à mendier pour amasser sa vie"

Tel est donc le personnage. Or, le 24 août, à 7 heures du matin, coup de théâtre : DOUELLE s'est évadé !

Jean LOUIS, geôlier de CASENEUVE, se précipite chez Me Joseph DARTIGOLLES, juge civil et criminel du lieu, en son domicile au bourg de PRECHAC. Ce prisonnier qu'on lui avait confié, il dit l'avoir soigneusement "tenu clos et fermé" jusqu'à la veille au soir. Mais dans la nuit :

"ledit prisonnier ayant enlevé les gonds du bas de la porte, et par des efforts des plus vigoureux, il a entraîné ladite porte d'en bas en dedans... quoique garnie d'une grosse et belle serrure et verrouil en dehors ; il a plié et forcé ledit verrouil qui a laché la porte en dedans (ce qui) luy a donné la lissence de passer par dessous et s'est évadé..."

C'était faire montre d'une force peu commune qui aurait mérité d'être appliquée à de meilleures activités...
Inutile de dire l'émoi que suscita un pareil évènement. On envoya des courriers dans toutes les directions pour alerter les juridictions voisines et même bien au-delà.

DOUELLE finit par être repris et ramené à la prison de CASENEUVE (réparée entre temps) par deux cavaliers de la maréchaussée, le 27 octobre suivant. De là, il fut ensuite transféré à SAINT LEGER dès qu'une place s'y trouva disponible afin qu'y fût instruit son procès.

A quelque temps de là, le 26 janvier 1772, un dimanche matin, Louis BOURDET, geôlier de SAINT LEGER :

"ayant porté audit prisonnier son pain et de l'eau, ayant bien clos et fermé les prisons, auroit été entendre la Sainte Messe en la paroisse dudit St LEGER, et à son retour, il auroit été instruit que ledit DOUELLE avoir arraché une barre de fer qui fermoir une lucarne qui donnoit le jour auxdites prisons, étoit sorty, et s'estoit évadé sans que personne fut pour lors à portée de l'arrêter, estant tous à entendre la Sainte Messe."

DOUELLE s'était encore évadé ! Et une fois encore, toute la justice entra en effervescence. Accompagné de son greffier, du procureur d'office et du geôlier, le juge se rendit sur les lieux et entreprit une enquête approfondie. Nous ne la suivrons pas dans son détail car cela nous entraînerait réellement très loin, mais il faut tout de même dire ce qui s'était passé.

La porte de la cellule fut trouvée fermée et ne portait aucune trace d'effraction. Par contre, une grosse barre de fer, d'environ 65 cm de long et de 15 cm de circonférence, avait été descellée du soupirail éclairant le local. Encore fallait-il l'atteindre car il était situé à plus de 3 m du sol. Mais DOUELLE était doté d'un bel esprit d'invention. Il avait réussi à insérer en force chacun de ses sabots entre des pierres un peu disjointes de la muraille et s'en était servi comme autant de marches d'escalier afin d'atteindre la lucarne.

De plus, avec la paille abondante qu'on lui avait fournie pour son couchage, il avait tressé une sorte de corde qui lui avait permis de s'assurer pendant qu'il travaillait au descellement de la barre de fer.

Et là, les circonstances lui avaient été favorables car cette barre n'était scellée dans la pierre que de 7,5 cm, dans une pierre qui, de surcroît, était "molle et sans consistance". Au moyen d'un fragment de pierre dure dégagé du mur, il avait ainsi déchaussé la grosse barre de protection et n'avait plus eu qu'à se glisser à l'extérieur. Ce fut pour lui un jeu d'enfant, d'autant plus que la prison étant souterraine, la lucarne, vers l'extérieur, affleurait au niveau naturel du terrain.

DOUELLE fut repris, plus tard, jugé et condamné. La morale était sauve. Mais cette anecdote illustre bien l'insécurité qui pouvait régner parfois dans les campagnes. Les modes de fermeture des maisons rurales étaient des plus sommaires et n'offraient aucune garantie sérieuse.

Par ailleurs, les braves gens qui disposaient de quelques dizaines de livres d'argent provenant de la vente de leur résine, ou d'un animal, ou encore d'une coupe de bois, ne disposaient d'aucun lieu de sûreté où ils auraient pu les déposer en attendant d'en trouver l'usage. Ceci explique bien souvent de modestes achats de terres quelquefois difficilement exploitables dont on se demande bien ce qu'ils pouvaient en faire. C'étaient des sortes de "placements relais" d'inspiration sécuritaire. La démarche devient évidente lorsqu'on les voit revendre ces quelques friches ou bouts de landes au moment, par exemple, d'acheter une paire de boeufs.

C'était en quelque sorte la fuite devant le bas de laine et l'application d'une vieille habitude, celle de ne point conserver d'argent à la maison. Il est bien évident que DOUELLE n'aurait jamais pu mettre la main sur les 15 écus d'Arnaud MARTIN s'ils avaient été investis dans un petit bien, et Dieu sait s'il y en avait de modestes, parfois quelques mètres carrés tout au plus. 

  

 

 

 

 

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