"Justes de France" honorés

 

"En honorant ceux qui ont refusé de se plier à la fatalité de la volonté exterminatrice de l´idéologie nazie, la médaille des Justes contribue à rétablir l´Histoire dans sa vérité."

Simone Veil

 

Yad Vashem, le mémorial de la Shoah en Israël, avait identifié, au 1er janvier 2006, à travers toute l’Europe, plus de 21 000 personnes - dont 2 646 en France - auxquelles un hommage est rendu dans le cadre d'un projet créé par une loi de 1963. Ce sont les "Justes parmi les nations".
Ces "Justes" reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur et une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : "Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier".

Six millions de juifs, dont 1,5 million d'enfants, furent assassinés pendant la Shoah dans les pays occupés par l’Allemagne nazie.
Une grande partie de l’Europe est alors sous la domination nazie et la majorité des Etats et des peuples garde le silence sans intervenir et, pire encore, certains collaborent avec les assassins. Cependant, quelques-uns, au risque de leur propre liberté ou même de leur vie, tendent une main secourable pour sauver des enfants ou des familles juives.
Le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes, faute de témoignages.
Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. Tous considèrent n'avoir rien fait d'autre que leur métier d'homme. Ils doivent servir de phares aux nouvelles générations.

Parmi eux ont été nominés en 1993 et honorés en 1995 :

GARNAUD Auguste - Saint-Léger-de-la-Martinière - Deux-Sèvres - Poitou-Charentes
GARNAUD Marie-Louise - Saint-Léger-de-la-Martinière - Deux-Sèvres - Poitou-Charentes
PELLETIER Jacques - Saint-Léger-de-la-Martinière - Deux-Sèvres - Poitou-Charentes
PELLETIER Louise - Saint-Léger-de-la-Martinière - Deux-Sèvres - Poitou-Charentes

Cette page leur est dédiée.

le site : http://www.yadvashem-france.org

A noter qu'en 1989 Mme Zoé DAVID, maire honoraire de Saint-Léger (06), avait reçu des mains de M. Itzhäk AVIRAN, ministre plénipotentiaire d'Israël en France, la Médaille des Justes.

 


 

André Pelletier, cousin / Pierre et Louis Pelletier / Jacques Pelletier, dit Jacquet / un cousin / Louise Pelletier
devant : Jean Lazare

 

 

Article de la Nouvelle République du Centre-Ouest, daté du mardi 27 juin 1995

 

des Justes parmi les Nations

Deux couples de Saint-Léger-de-la-Martinière, qui avaient caché des enfants juifs sous l'Occupation, seront à l'honneur à titre posthume, demain, à l'ambassade d'Israël.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-dessous un extrait du livre "Les Enfants cachés de la Résistance", de Jean-Marie Pouplain, aujourd'hui décédé - Geste Editions - 1998 :

"Le 4 mars 1943, une lettre du préfet des Deux-Sèvres au chef du SD à Poitiers, consécutive à un rapport de gendarmerie du 27 février, signalait l'arrivée à Coulon, village du Marais Poitevin, de sept juifs expulsés de la zone côtière de Charente-Inférieure, aujourd'hui Maritime.

Parmi ces personnes, il y avait une famille composée des parents et de leurs trois enfants : M. Albert Lazare, préparateur en pharmacie mais qui apparaît sous l'appellation de "manoeuvre agricole", ce qui est le signe tangible que la nécessité de survie entraînait bien des reconversions, son épouse Lucie et les trois enfants Micheline, Colette et Jean. Originaires de Metz, ils étaient arrivés pendant l'exode de 1940 au Gué-d'Alleré, petit village de 450 habitants à 15 kilomètres de La Rochelle. Ils y avaient été accueillis très chaleureusement et des aides spontanées leur avaient été proposées, tant de la part du curé que des instituteurs "laïques convaincus et militants". Jean Lazare précise que "personne ne se souciait de notre religion" et qu'il régnait "une remarquable sollicitude". Malgré le déracinement, M. et Mme Lazare "ont cru pouvoir établir une vie presque normale et s'installer mieux dans un village rural où ils se rendraient utiles". En effet, Mme Lucie Lazare connaissait l'allemand et pouvait aider la secrétaire de mairie et les familles réfugiées qui avaient des parents prisonniers et devaient, pour des raisons administratives, se servir de celte langue. M. Lazare, quant à lui, s'était mis à la recherche d'un emploi et "il (avait) appris aussi à jardiner et obtenait l'usage de sillons dans un champ en échange de services".

Mais, comme partout ailleurs, les mesures d'ordre antisémite sont parvenues à la mairie de ce village. Recensement des personnes et des biens, marquage:des pièces d'identité avec le npon "Juif", avis d'interdiction de travail professionnel ou d'emploi rémunéré, saisie des avoirs bancaires et des véhicules pour ceux qui en avaient, remise de trois étoiles jaunes par personne contre délivrance d'un point textile, enfin toutes les dispositions, prises conjointement, même si elles n'étaient pas concomitantes, par les autorités allemandes et, le plus souvent, par l'État français, arrivaient sans problème jusqu'à la plus petite commune de France.

Pourtant, une mesure particulière survint qui concerna la famille Lazare, mais aussi d'autres personnes qui vinrent, de ce fait, en Deux-Sèvres. Ce fut la disposition allemande qui interdisait les zones côtières aux Juifs jusqu'à une distance de trente kilomètres du littoral. Une première injonction de partir fut faite par des agents de la Gestapo assistés d'un interprète qui s'était présenté comme s'appelant Kieffer, originaire de Sarreguemines et connaissant bien Metz, ville d'origine des Lazare. Cette première incursion s'accompagna de l'enlèvement de leur voiture personnelle et du vol d'argent et de différents objets. Puis, après la réception de l'ordre d'expulsion, une autre visite domiciliaire se produisit alors que M. Lazare était parti chercher un nouvel endroit où habiter, qui allait être le village de Coulon. Cette fois-ci, encore, des objets furent dérobées à Mme Lazare, terrorisée parce que seule devant cette incursion policière.

C'est donc après ces évènements que M. et Mme Lazare et leurs enfants arrivèrent à Coulon au cours du mois de février 1943. Ils s'installèrent rue du Four, dans une maison à deux niveaux disposant d'un jardin, et M. Albert Lazare s'efforça de recréer un cadre de vie le plus normal possible compte tenu des circonstances. Jean Lazare fut scolarisé dans la classe de M. Rouger alors que sa plus jeune sœur allait à l'école des filles, voisine de celle des garçons puisque seul le bâtiment de la mairie les séparait. Sa sœur aînée, quant à elle, avait été admise dans un établissement niortais. Les parents Lazare et leurs enfants ne portaient pas habituellement l'obligatoire étoile jaune quant ils étaient à Coulon, mais chacun d'entre eux en avait une cousue sur un vêtement au cas où il aurait été nécessaire de l'arborer. Dans les souvenirs de cette époque, il semble que les relations aient été moins chaleureuses et l'ambiance plus tendue que dans leur précédente résidence. L'accumulation des mesures vexatoires et tyranniques, l'idée d'être toujours sur des listes détenues par une administration qui était le bras séculier de la persécution, constituaient certainement des éléments qui n'étaient pas pour rendre l'atmosphère respirable. Il y avait pourtant, dans une maison voisine, une famille Boyer dont la fille, Annie, était très attentionnée, mais c'est surtout les instituteurs, M et Mme Rouger, qui apparaissent comme ayant été très près de la famille Lazare. Malgré une vie qui essayait de paraître normale, Jean Lazare garde le sentiment que ses parents "se tenaient en permanence sur leurs gardes". C'est certainement pour cette raison qu'ils s'étaient procuré, par un moyen qui n'a pas été rapporté, de faux papiers d'identité au nom d'une famille Lafond originaire de Nantes.

Cependant, la marche des événements se poursuivait malgré les précautions et les inquiétudes. Le 30 janvier 1944, pendant le repas du soir, des gendarmes vinrent avertir, ce qui constituait certainement une dérogation aux ordres reçus, qu'ils allaient revenir pour arrêter les parents et les enfants Lazare. Tout de suite, Annie Boyer et M. Rouger furent avertis afin de voir ce qu'il était possible de faire. La fuite de M. Lazare fut envisagée mais, comme son épouse était enceinte de sept mois et que lui-même avait une santé précaire, ce projet n'eut pas de suite. Par contre, les trois enfants, Micheline, Colette et Jean furent immédiatement emmenés à l'école de garçons par M. Rouger, en passant par l'arrière de leur habitation et par les jardins, afin de dissimuler leur .départ. Là, avec aussi le concours de l'institutrice Mme Mathé, ils ont été cachés toute la nuit dans les combles de cette école, en attendant qu'une décision soit prise à leur égard.

Quelques heures après, le 31 janvier 1944, à 0 heure 30 ainsi que le précise le procès-verbal, les gendarmes de la brigade de Niort revinrent pour procéder à l'arrestation de la famille Lazare, ainsi d'ailleurs que de deux autres personnes considérées comme juives et résidant à Coulon. Entre temps, le docteur Forget, qui exerçait dans ce village, avait été alerté, et les forces de gendarmerie durent constater que M. et Mme Lazare possédaient un certificat médical les déclarant intransportables. Dans le même procès-verbal, les gendarmes durent également constater que les enfants avaient été soustraits à l'arrestation. Dans la soirée de ce même jour, à 18 heures 30, la gendarmerie établit un nouveau document qui indiquait que M. Albert Lazare et son épouse Lucie Lazare avaient été transférés à l'hôpital de Niort pour y être internés sous surveillance policière.

Pendant ce temps, les trois enfants Lazare étaient toujours dissimulés dans les combles de l'école de garçons de Coulon. M. Rouger, qui avait été instituteur à l'Enclave de la Martinière, dans le pays mellois, avant d'être nommé dans le Marais Poitevin, avait envoyé une de ses filles, Jeanne, rencontrer une personne qu'il connaissait dans ce village. Jeanne Rouger partit donc vers Melle, peut-être en car, ce souvenir étant toutefois incertain, mais ce qu'elle se rappelle parfaitement, c'est qu'elle fit à pied, la nuit tombée, à travers les champs et les bois, le trajet de Melle à l'Enclave de la Martinière, ce qui représente environ cinq kilomètres. Arrivée à l'Enclave, elle se rendit à la ferme de M. Jacques Pelletier, que lui avait indiquée son père, au lieu-dit la Bertramière, et donna les raisons de sa visite tardive. Sans hésiter, M. Jacques Pelletier et son épouse Louise acceptèrent de recevoir le garçon, Jean Lazare, regrettant seulement de ne pas pouvoir les prendre tous les trois. Dès le lendemain matin, Jacques Pelletier alla voir un de ses voisins, M. Auguste Garnaud, qui habitait au Quaireux, à peu de distance de la Bertramière, pour lui demander s'il accepterait de recueillir les deux autres enfants, Micheline et Colette. Là encore, l'acceptation fut sans réserve et Jeanne Rouger put revenir à Coulon pour apporter la nouvelle.

La nuit du 31 janvier au 1er février 1944, Micheline, Colette et Jean Lazare furent emmenés à Glandes, petit hameau dépendant de la commune de Coulon mais distant d'environ deux kilomètres du village lui-même. Ils furent accueillis chez Mme Marie-Paule Moinard, qui les installa dans une pièce située au-dessus de sa petite épicerie. M. Maurice Moinard, son fils, précise que Jean Lazare, qui avait peut-être pris froid dans le grenier de l'école, toussait assez fréquemment et, afin que les clients de l'épicerie ne se posent pas de questions, il se mettait un édredon sur le visage pour étouffer le bruit.

Mais il fallait à présent trouver un moyen pour conduire clandestinement à l'Enclave de la Martinière les trois enfants qui se trouvaient sous le coup d'un mandat d'arrêt. Là encore, ce fut la nuit que s'effectua le voyage. Il y avait à Coulon un marchand de bière et de charbon qui s'appelait Gédéon Pipet et qui disposait d'un petit camion équipé d'un gazogène. Des tonnes furent montées dans le camion el recouvertes de fagots. C'est dans cet abri précaire et improvisé que se glissèrent les trois enfants, et Jean Lazare se rappelle qu' "il faisait nuit et froid" ; mais il a aussi le souvenir de Mme Louise Pelletier qui l'a accueilli dans ses bras quand ils sont arrivés à l'Enclave de la Martinière. Après avoir rajouté du charbon de bois dans le fourneau de son gazogène, M. Pipet continua sa route et alla déposer Micheline et Colette Lazare au Quaireux, chez M. et Mme Auguste Garnaud.

Le sauvetage des enfants avait été réalisé. À présent, la vie allait se poursuivre dans une apparente tranquillité malgré les pesanteurs douloureuses consécutives aux jours passés. Jean Lazare fut tout de suite intégré à la vie campagnarde grâce à la chaleur de l'accueil de Jacques Pelletier, appelé familièrement "Jacquet" ou Raoul, de son épouse Louise et de leurs enfants Louis et Pierre. Il se souvient qu'ils l' "ont cajolé et adopté comme un nouveau fils et frère", mais aussi "des grandes rôties (tartines grillées au feu de bois) el du chocolat, en place du déjeuner - repas que les autres avaient et qui n'était pas (dans son) habitude".

 

 

Ses sœurs bénéficiaient de la même qualité d'hébergement chez M. et Mme Auguste Garnaud où Jean Lazare allait les voir environ une fois par semaine. Elles étaient très entourées par toute la famille et les deux filles de la maison, Louisette et Yvonne - appelée "Vonette" - qui étaient sensiblement de leur âge. Jean Lazare se rappelle ses visites au Quaireux où, en plus de la chaleur humaine qui y régnait, il découvrait chez Auguste Garnaud la séduction d'une culture protestante qu'il n'avait jamais encore côtoyée. "La bibliothèque de M. Garnaud était très riche" et celui-ci parlait beaucoup avec son jeune visiteur, s'intéressant à son travail scolaire et accompagnant "ses occupations agricoles de multiples réflexions et citations". Il se souvient aussi des soirées passées au coin du feu avec les membres de la famille et les voisins, ainsi que des réfractaires au STO qui se cachaient dans les granges.

Sous le nom de Lafond, réfugié de Nantes, Jean Lazare allait à l'école du village où l'instituteur, M. Contre, satisfait de ses résultats, voulait le faire passer en sixième. Il fallut bien lui dire quelle était la véritable situation et les choses en restèrent là, toujours protégées par le silence et la discrétion. En effet, à l'Enclave de la Martinière, personne n'était au courant, à l'exception du maire et plus tard de l'instituteur, de la véritable identité des enfants. Même s'il y avait des questions qui restaient sans réponse, toute la population demeurait dans une expectative prudente, tant vis-à-vis des enfants Lazare que pour les nombreux réfractaires qui logeaient et se déplaçaient de ferme en ferme. Micheline et Colette Lazare, quant à elles, ne pouvaient pas poursuivre leur scolarité, le niveau de l'école primaire étant dépassé pour elles.

Mme Louise Pelletier et M Auguste Garnaud s'étaient rendu à Niort et avaient pu prendre contact avec M. et Mme Lazare détenus l'un et l'autre à l'hôpital. Mme Lucie Lazare venait de donner le jour à une petite fille, Danielle, et Mme Pelletier se souvenait que la chambre où elle se trouvait était gardée par un policier. Pour approcher Albert Lazare, M. Garnaud s'était fait passer pour un membre du personnel chargé de l'entretien. Par ce subterfuge, il avait pu rapporter aux enfants des lettres de leur père où, dans l'une d'entre elles, celui-ci disait à son fils que "quoi qu'il arrive (tu) ne dois pas (te) faire justice (toi)-même à l'encontre de ceux qui ont fait le mal". Auguste Garnaud avait aussi reçu en dépôt différents papiers et objets qu'il avait cachés dans un vieux chêne têtard et "cabourne", c'est-à-dire dont le tronc était creux.

 

 

Pendant ce temps, les événements poursuivaient leur cours et la fin de l'été 1944 vit le reflux des troupes d'occupation et la libération du département des Deux-Sèvres, célébrée le 6 septembre, Le 14 septembre, Jean Lazare se souvient d'avoir vu Annie Boyer arriver en tandem depuis Coulon où il revint avec elle. Le lendemain, il put enfin se rendre à l'hôpital pour y voir son père qui était très souffrant, ainsi que sa mère, toujours très fatiguée après la naissance de sa fille Danielle. Micheline et Colette Lazare étaient également revenues à Niort et, le 17 septembre, ils apprirent le décès de leur père. Avec l'aide de personnes de Niort, M. et Mme Mayoux, qui avaient gardé le contact avec elle, Mme Lucie Lazare et maintenant ses quatre enfants purent s'installer dans un logement de la rue de la Poste.

Ainsi se terminait pour cette famille un temps d'exode et de persécution au cours duquel un enchaînement d'assistance et de générosité lui évita de basculer dans le gouffre sans espoir de la déportation, même si la fin de leur histoire fut marquée par les signes de la mort mais aussi de la naissance. M. Jacques Pelletier et Mme Louise Pelletier, M. Auguste Garnaud et Mme Marie Garnaud ont reçu la Médaille des Justes à titre posthume, le 28 juin 1995."

 

"Je vous salue, vous qui dormez
Après le dur travail clandestin
Imprimeurs, porteurs de bombes, déboulonneurs de rails, incendiaires
Distributeurs de tracts, contrebandiers, porteurs de messages
Je vous salue, vous tous qui résistez, enfants de 20 ans au sourire de source
Vieillards plus chenus que les ponts, hommes robustes, images des saisons
Je vous salue au seuil du nouveau matin.
"

Robert Desnos (1900-1945)

 

dernière photo connue de Robert Desnos
au camp de concentration de Terezin - 1945

 

erci de fermer l'agrandissement.

 

 

 

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