le abatteur nvolontaire

 

Le cousin Charles est tout surpris de voir une voiture tourner dans sa cour, et encore plus en me reconnaissant :
- Content de te voir, moun piti, c'est gentil de me rendre visite.
- Ma tournée du jour s'est terminée plus tôt, et j'en profite pour venir.
- Viens donc te rafraîchir et me raconter les nouvelles !

Nous voici dans la grand-pièce-cuisine-séjour-salon, devant un verre de vin de la vigne voisine. Titrant sept degrés au maximum, il aurait défié les alcootests s'ils avaient existé ! Mais il aurait aussi défié les teinturiers et leurs composés éthyléniques nique nique, car les taches étaient violettes et bio !

Après une conversation nourrie des évènements familiaux, des conditions de mon métier, de la santé des uns et des autres et des aléas de la récolte du potager, je le sens distrait et songeur :
- On dirait que tu es préoccupé ?
- Ah oui ! Je vais te dire, je ne sais pas quoi te donner à emporter !

Telles étaient les habitudes et coutumes. Les visiteurs ne repartaient pas les mains vides, c'était le remerciement de la visite effectuée.
Il va falloir que j'en parle aux syndicats des commerçants, ils vont bien trouver moyen d'en tirer profit. Non ? Il vaut mieux laisser tomber ? Bon, d'accord.

- Mais, Georges, je suis venu pour te voir, et le plaisir est entier, même si je n'emporte rien.
- C'est vrai, mais ça m'embête, et j'ai beau chercher, je ne trouve pas.
- Ne t'inquiète pas de ça, je reviendrai te voir quand même.

Et tout d'un coup, réaction vive du bonhomme !
- Je sais ce que je vais te donner !
- Encore une fois, Georges, ne te donne pas de peine.
- Tu as encore un quart d'heure ?
- Oui, je n'ai pas de rendez-vous en vue.
- Alors, écoute-moi bien, tu vas faire ce que je te dis, tu me poseras des questions plus tard. Tu vas remonter le chemin par lequel tu es venu, en marchant jusqu'à la grande haie que tu verras sur ta droite, à environ 150 mètres. Là, tu tourneras à droite et tu t'engageras dans le sentier, jusqu'au trou dans le buisson que tu vois par cette fenêtre. Et là, tu t'arrêteras de manière que je t'apercoive d'ici, et tu ne bougeras plus avant que je te crie : "Avance" !

Son discours et son attitude sont nets, malgré le bon sourire emperlant son visage, et côté "Mystère, y es-tu ?", pas la peine de discuter, le mieux est d'exécuter.
Donc je remonte le chemin avec un lourd paquet de questions me chatouillant le cervelet. Ah, la haie, à droite, jusqu'au trou. Il est là, j'avance d'un petit pas pour être visible, et j'ai l'impression que la trotteuse de ma montre dépose un préavis de grève !
A peine le temps de me dire que je fais un beau couillon dans la nature que j'entends : "Avance" ! Ce que je fais.

Au troisième pas, un coup de fusil me cloue, je n'ai même pas le réflexe de me jeter par terre, et j'entends une voix :
- N'aie pas peur ! Tout va bien !
Alors je me tourne pour apercevoir le cousin courant vers moi avec un fusil dans la main droite et un lapin de garenne dans la gauche.

Je le regarde arriver, l'air bête, avec l'envie de me pincer et essayant de recompter les trois petits verres de vin rouge bus un quart d'heure plus tôt. Mais non, je ne suis pas saoul, et Georges rigole franchement de l'effet produit :
- Sans le savoir, tu as fait le rabatteur !
- Le rabatteur ?
- Eh oui, voilà plusieurs jours que je le voyais de ma fenêtre rôder dans le secteur, ce lapin, et j'ai fini par repérer son gîte !
- Mais... et le fusil ? Tu ne l'avais pas en sortant !
- Tu vois cet arbre ?
- Bien sûr.
- Il est creux en partie, c'est là que je cache le fusil !

Savez vous que je suis rentré ce soir-là, vraiment heureux, avec mon lapin ?

vécu aux Chaumes d'Abzac, en juin 1974

 

 

Merci, Jay  

 

 

 

 

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