le carnet-souvenir d'Antoine Fabre
mort le 12 novembre 1914, comme Auguste

 

Né en 1883 - mort le 12 novembre 1914, comme Auguste Jaud - à Zillebeke, près de Zonnebeke, en Belgique, après avoir souffert avec le 81e Régiment d'Infanterie pendant deux mois.
Il avait 31 ans et laissait sa femme, qu'il appelle Titine dans le carnet, et deux enfants, Marcelle et Pierre, surnommé tantôt Pierrot, tantôt Yo-Yo, qui avait 5 ans à l'époque.

 

mobilisation [départ de Toulouse]

"Qui comprendra jamais, à moins de l'avoir ressentie, l'émotion qui étreint le coeur d'un père de famille qui quitte les siens peut-être pour toujours, quelle angoisse et quel serrement de coeur pour ce soldat que le devoir appelle. Lorsque arrive la minute de la séparation... un instant des sanglots, qui malgré les apparences, me serraient à la gorge quand je vous ai quittés après vous avoir embrassés tous les trois et quand je suis passé devant chez mes parents que je n'ai pas voulu réveiller, malgré mon vif désir de les embrasser aussi une dernière fois.
Enfin la réaction s'est produite en arrivant à la gare où j'ai rejoint celui qui m'avait appelé et combien j'aurais voulu, comme j'en voyais d'autres, pouvoir vous embrasser une dernière fois avant de m'embarquer.
Nous voilà en route à 6h 43.
Sur tous ces ponts que nous traversons, on voit des mouchoirs s'agiter et du train qui nous emporte s'élève un immense cri de haine invincible de "A Berlin ! Mort à Guillaume !"
Nous marchons à raison de 20 kilomètres à l'heure, nous prenons des mobilisés dans toutes les gares du parcours et partout nous revoyons le même air résolu chez ceux qui vont nous accompagner et le même regard attristé quand les yeux ne sont pas encore rouges des larmes versées de femmes qui sont venues jusqu'au train pour ne les quitter qu'au dernier moment.
Voilà 10h du matin, nous rentrons à Carcassonne, nous en repartons à 10h ¼, nous admirons un moment la vieille cité avec ses tours et ses créneaux historiques, puis cela disparaît et nous n'apercevrons plus rien de bien intéressant jusqu'à ce que nous traversions que des vignes sur tout le parcours. Comme j'ai été déçu, je m'attendais à voir des vignobles bien entretenus et je n'ai vu que d'immenses champs de vigne au ras de terre sans être comme dans la Haute-Garonne montés sur fil de fer et puis pleines d'herbe.
Ah quel changement complet, nous longeons les salins, nous voyons rangés au bord de la voie dans les champs de la banlieue (…) les chasseurs d'Afrique (…)
Nous voici à la caserne, ici tout est sans dessus dessous, à cause du départ du régiment de deuxième ligne, néanmoins je donne mon livret et me voilà incorporé. Je ressors pour chercher de quoi coucher car il n'y a, paraît-il, pas de quoi loger tous ceux qui arrivent. Malgré mes demandes, je ne trouve pas de chambre et me dirige vers la caserne, prêt à coucher à la belle étoile, dans la cour, comme font beaucoup de mes collègues. Heureusement un soldat de la 27e Cie m'indique son lit ..., étant de garde au poste et son lit étant libre ; tant bien que mal sur une paillasse de paille, je passe ma première nuit."

 

 

 

samedi 5 septembre 1914 [dernière page du carnet d'Antoine]

"Au réveil, revue du capitaine en tenue de départ pour les hommes désignés. On me remet une lettre bien mignonne de Reine avec une carte arrivée hier de toi, me demandant à quand une lettre ?
Tu deviens d'une exigence, il est vrai que tu n'avais pas encore reçu les deux que j'ai données à Mme Ramond, mais depuis vendredi, je t'en ai adressé 5, et 4 ou 5 cartes. Je crois que tu ne te fâcheras pas et, sans me flatter, les pages sont garnies, je crois que tu ne me traiteras pas de flemmard.
10 heures, je vais comme hier manger 2 oeufs en omelette à la cantine, tu vois que nous nous soignons !
Qui sait si Firmin a voulu dire ce samedi, il n'est pas encore venu et Reine, dans sa lettre, ne m'en parle pas du tout. Comme il se confirme que nous ne partirons pas avant cette nuit, j'espère encore.
J'étais en train de déjeuner et je terminais quand je vois Firmin qui vient me relancer à la cantine, tu peux t'imaginer si je suis content ! J'ai eu de vos nouvelles par lui. Comme on l'attend à midi moins le ¼ pour déjeuner, je l'accompagne, mais auparavant, je lui ai fait voir ma chambre et j'en ai profité pour lui faire soupeser mon sac et mon fourniment, il pourra te dire comme c'est léger.
J'ai rendez-vous avec lui à 6 heures moins le ¼, si nous sommes encore là, imagine-toi un peu ce que je ne donnerais pas pour ne pas partir avant la nuit prochaine, enfin, attendre, à ce soir ?
Je lui donnerai ce carnet, tu pourras, si cela ne t'ennuie pas trop, t'amuser à le lire. Dans tous les cas, je compte que tu me le plieras pour que je le retrouve à mon retour."

 

 

  

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