"Appartient
au 11e génie. Le voilà dans la région de
Massiges, au nord de Ville sur Tourbe. Les lignes
françaises et les lignes boches sont très
rapprochées et la guerre de mines bat son plein. Le sapeur
TERRIER est employé à creuser des sapes, des galeries
souterraines, à préparer des chambres de mines. Et ce
travail se fait à proximité des galeries souterraines
de l'adversaire dont on entend le sourd travail. Chaque jour, des
explosions se produisent, ensevelissant les occupants, bouleversant
les travaux de l'ennemi, creusant des entonnoirs
"
extrait du discours d'Eugène
Perrussot
"La guerre des tranchées est un combat
continuel sur toute la longueur du front. Son intensité est
variable sur la ligne de feu, qui peut s'étaler sur
près de 450 kilomètres. Les secteurs s'embrasent
là où l'un des adversaires emporte un succès
partiel, en grignotant une position qui, souvent, à peine
conquise, est aussitôt perdue.
Dans cette guerre, les deux parties sont terrées et l'action
du fusil et de la mitrailleuse ne peut être effective que si
l'ennemi se décide à sortir de son trou et à
donner l'attaque.
L'artillerie a une action plus efficace, mais elle nécessite
l'emploi du téléphone pour le réglage du tir, et
la dépense en munitions n'est pas toujours en rapport avec le
résultat obtenu.
Aussi, pour atteindre l'ennemi jusque dans sa tranchée se
sert-on de petits canons et d'obusiers permettant de lancer à
de petites distances des projectiles chargés
d'explosifs.
Toutefois, dès l'instant où les
tranchées ennemies ne sont plus distantes que d'une centaine
de mètres, la vraie guerre des tranchées commence.
On exécute des sapes, qui permettent de s'avancer à
couvert vers l'adversaire, en faisant appel aux troupes du
génie.
Tous les 30 mètres, les tètes de sape sont
reliées par des parallèles. Lorsque les sapes arrivent
suffisamment près de l'ennemi pour que celui-ci puisse
arrêter les travaux de pelletage en lançant des grenades
ou des bombes, les sapeurs creusent une galerie de mine pour
disposer, sous la tranchée ennemie, un fourneau d'explosifs
qui peut dépasser 50 tonnes !
Ces fourneaux, dont l'importance de la charge
varie avec la profondeur et le terrain, sont en général
placés sous un saillant ou sous des points
particulièrement tenus (abri de mitrailleuse, fortin...)
L'explosion des fourneaux donne le signal de l'attaque, en même
temps qu'elle produit dans le sol des entonnoirs devant
détruire les organes de flanquement de l'adversaire et faire
brèche dans le réseau de barbelés qui
protège son front. Ces entonnoirs sont immédiatement
occupés et fortifiés à l'aide de gabions ou de
sacs que les sapeurs remplissent de terre.
On y installe - en théorie - une mitrailleuse en attendant que
les sapeurs relient cet entonnoir au réseau de
tranchées par un boyau de liaison.
Le travail des sapeurs, lorsqu'ils creusent
leurs tunnels souterrains, provoque des chocs sourds qui mettent en
alerte ceux de la tranchée à faire sauter, lesquels
leur envoient leurs propres sapeurs. Il est arrivé que les
deux équipes se rejoignent dans un même tunnel, et
s'entretuent à l'arme blanche, quelques mètres sous le
champ de bataille."
"Histoire de la Première
Guerre mondiale" par Pierre Ripert
Ode aux Sapeurs du
Génie
"Pendant plus de quatre ans, les armées
françaises, toujours sur la brèche, dans les situations
les plus critiques, ont fourni un effort gigantesque. Toutes les
armes ont contribué à la victoire, mais les sapeurs
du Génie peuvent être fiers du grand rôle qui
leur a été confié et de la large part qui leur
revient dans le succès final
/
Les Régiments du Génie, avec
ses leurs compagnies et leurs détachements (cyclistes,
projecteurs, etc) ont été répartis dans toutes
les armées. Aussi, faire l'historique des Régiments du
Génie reviendrait à écrire toute la campagne.
Dans toutes les grandes batailles, dans les
plus petites opérations de détail, sur tout le front
français, des Vosges à la mer du Nord, de la Marne
à l'Escaut, parfois même sur le front italien, nous
retrouvons des sapeurs
/
Et chaque fois ce sont de
nouvelles pertes pour les Régiments (du Génie), mais
chaque fois grandit l'auréole de gloire qui s'épanouira
pleinement le jour de la Victoire.
De par son rôle, le Génie ne peut
pas, comme bien d'autres armes, combattre par grandes unités.
Bien souvent les actions d'éclat des petits
détachements, les hauts faits individuels, sont passés
inaperçus, noyés qu'étaient les sapeurs dans la
masse des combattants, mais ils n'en ont que plus de valeur parce
qu'accomplis simplement par devoir, par abnégation.
Tous les traits d'héroïsme connus
et récompensés ne sont en effet qu'une bien faible
partie de ceux qui sont à l'actif des sapeurs du
Génie
/
A tout instant le sapeur, sans se soucier
du danger, ne songe plus qu'à la mission délicate qui
lui est confiée
Qu'il vienne du Massif Central, de la
Savoie, des plaines de la Bourgogne ou de la Côte-d'Or, qu'il
soit cultivateur, ouvrier, homme de lettres, une fois consacré
"sapeur"
, le jeune homme savait qu'il devait être
infatigable, courageux, insouciant de la mort qui le guetterait
à chaque minute.
Il savait que ses anciens, les pontonniers de
la Bérésina, les sapeurs de Malakoff et de
Sébastopol, avaient en lettres d'or gravé leur nom dans
l'Histoire, il voulait simplement se montrer digne d'eux.
Et pendant quatre années sous les obus
et engins de toutes sortes qui semaient la mort, bravant les
intempéries, sans trêve, toujours prêts à
tout, les sapeurs ont lutté, méritant de voir inscrits
sur leur drapeau les noms de toutes les fameuses batailles de la
Grande Guerre
/
Toutes ces magnifiques pages de gloire dont
l'ensemble constitue la grande épopée française
sont écrites avec le sang de nos morts."
Préface de l'historique du
4e Régiment du Génie
La Compagnie 27 / 5 du 11e Régiment du
Génie est à Ville sur Tourbe, dans la Marne, vers
Sainte-Menehould, probablement dès la fin décembre
1914, appuyant la 3e Division d'Infanterie Coloniale (DI). Celle-ci
se compose des 3e, 7e, 21e et 23e Régiments d'Infanterie
Coloniale (RIC).
A partir du fin mai 1915 et jusqu'à fin août 1915, cette
Compagnie du Génie (dans laquelle sert le sapeur Claude-Marie
Terrier) assiste dans les travaux logistiques la 30e DI
composée des 40e, 55e, 58e et 61e Régiments
d'Infanterie (RI).
Elle est aidée par la Compagnie 22 / 3 du 1er Régiment
du Génie.
Ville sur Tourbe, ouvrage
Pruneau, mai à août 1915
|
"En mai 1915, l'ennemi entreprend l'attaque
de Ville sur Tourbe, qu'il convoitait depuis fort longtemps.
Depuis plus de huit mois, il ne cessait de bombarder avec une
impitoyable obstination cet infortuné village, dont il avait
fait une ruine sinistre parmi la floraison de ses vergers.
Les tranchées allemandes qui l'avoisinaient étaient
dominées par deux collines crayeuses que nous occupions.
Celles ci étaient sillonnées de tranchées
rejoignant le village par des boyaux et constituaient une solide
défense pour la tête de pont que nous avions
établie sur la rive nord de la Tourbe. A l'est s'allongeaient
les tranchées du Calvaire.
Les Allemands souhaitaient plus
particulièrement conquérir la colline de l'ouest. De
là, ils auraient commandé tout notre système de
défenses et de communications.
Aussi, attachaient-ils à leur attaque projetée une
extrême importance. Afin de mieux s'y entraîner, ils
l'avaient même "répétée" dans ses moindres
détails derrière leurs lignes, à la façon
d'une pièce de théâtre.
Le 15 mai, à 6 heures du soir, les
soldats des 3e et 7e régiments coloniaux se préparaient
au service de nuit quand trois mines, bourrées de vingt tonnes
d'explosifs, sautèrent.
Propagée à travers le sol, la formidable explosion vint
bouleverser nos tranchées, dont deux se fermèrent comme
un tombeau sur leurs défenseurs. Les entonnoirs étaient
profonds de vingt mètres et larges de cent. En même
temps, pour arrêter tout secours, une tempête de
mitraille balayait nos chemins d'approche.
Les marsouins valides sautèrent sur les
armes.
Déjà, une colonne allemande, forte de deux
bataillons, assaillait les lignes du 7e régiment colonial et
occupait bientôt notre saillant défendu par une sorte de
blockhaus, l'ouvrage Pruneau.
Le régiment fut décimé et perdit presque
tous ses officiers. Heureusement le 3e régiment colonial lui
dépêcha un bataillon en renfort. Bientôt, une
vigoureuse contre-attaque délogeait l'ennemi d'une partie des
positions par lui conquises.
Toutes nos batteries se mirent à
tonner.
Le combat s'étendit et sa violence s'accrut. L'ouvrage
Pruneau tomba entièrement aux mains d'une puissante colonne
allemande. Énergiquement chargée par un bataillon
du 3e régiment colonial, cette colonne résista
opiniâtrement et nous infligea de grosses pertes.
Mais rien ne put avoir raison du sang-froid ni
de la résolution inébranlable de nos troupes.
Aidé par des bombardiers du génie, le lieutenant
Paucol, du 3e régiment colonial, avance malgré tous les
obstacles, et occupe un vaste entonnoir.
Grâce à la connaissance du secteur qu'ont les chefs,
grâce à un rapide ravitaillement en grenades et surtout
à la crânerie et à la ténacité des
marsouins, une grande partie de l'ouvrage Pruneau est enfin
réoccupée.
De son côté, le lieutenant
Lefebvre (3e Colonial) s'est porté avec une compagnie vers le
saillant nord de l'ouvrage. Ses hommes se déploient hardiment.
Un tir foudroyant de mitrailleuses les accueille.
Sans se décourager, le lieutenant rassemble les hommes valides
dans une tranchée qu'il a pu atteindre, et se prépare
à y recevoir l'inévitable contre-attaque. Soudain,
coupés de leurs positions de départ par un terrifiant
tir de barrage, les Allemands lèvent les mains : cinq cents
d'entre eux se rendent. Et nous avons la joie de délivrer une
douzaine de coloniaux, cernés depuis plusieurs heures, qui
avaient décidé de lutter jusqu'à la mort.
Les Allemands laissaient plus de mille cadavres sur le terrain. Mais
nos pertes étaient à peu près égales."
texte extrait du remarquable site
http://www.chtimiste.com
"Après quelques jours de repos et
d'instruction, le 55e Régiment d'Infanterie va remplacer dans
le secteur de Ville sur Tourbe - Bois d'Hauzy, une partie des troupes
de la division coloniale ; d'abord en deuxième ligne, il
relève, le 1er juin, en première ligne, le 61e
régiment d'infanterie.
Le secteur de Ville sur Tourbe, dévolu
au régiment, se divise en trois sous-secteurs :
- Le sous-secteur Est subit en
général peu de pertes : les tranchées
ennemies y sont éloignées de 300 à 400
mètres.
- Le sous-secteur Nord, dit "du Calvaire", a
à subir de nombreux bombardements, peu meurtriers
d'ailleurs.
- Le sous-secteur Ouest comprend l'ouvrage
Pruneau. C'est de beaucoup le plus exposé au tir de
l'artillerie et de l'infanterie ennemies. Les pertes y sont
beaucoup plus élevées que dans les deux autres
sous-secteurs.
Le 15 mai, alors que le secteur de Ville sur
Tourbe était occupé par un régiment d'infanterie
coloniale, l'ennemi fit exploser trois grosses mines ; les explosions
ouvrirent largement la terre et formèrent trois
cratères dénommés par la suite : cratère
Est, du Centre, Ouest.
L'ennemi et nous occupons chacun les
lèvres opposées des cratères, et c'est ainsi
qu'en certains endroits les postes allemands ne sont pas à
plus de 15 à 20 mètres des nôtres. II en
résulte des combats fréquents de grenades et de bombes.
La mousqueterie est presque nulle ; ce sont surtout les obus,
torpilles, les bombes et les grenades qui sont employées dans
les actions de chaque jour.
De nombreux cadavres ennemis n'ont pu être ensevelis ; il
commence à faire chaud ; l'odeur qui se dégage est
pénible à supporter malgré toutes les mesures
d'assainissement.
Chaque soir, à la tombée de la
nuit, l'ouvrage Pruneau devient un véritable enfer; mais
chacun, malgré les pertes, animé de cet esprit
d'endurance et d'abnégation qui nous a donné la
victoire, maîtrise ses nerfs, se dépense sans compter et
fait preuve d'un irrésistible mordant.
Le 61e régiment d'infanterie vient
occuper le secteur de Ville sur Tourbe dans la nuit du 5 au 6 juin et
libère le 55e régiment d'infanterie qui prend alors
trois jours de demi-repos dans les cantonnements et bivouacs de
Malmy, Montremoy, Berzieux, Dommartin-sous-Hans, ferme Araja."
Historique du 55e RI
"La 30e D.I. doit relever dans le secteur de
Ville sur Tourbe la 3e Division d'Infanterie Coloniale. Le 28 (mai
1915), le régiment se porte vers le nord et occupe la
côte 138 (sud de Virginy), Berzieux et la ferme Araja.
Après une journée consacrée aux reconnaissances
en première ligne, la relève s'effectue.
Le 40e RI occupe : le bataillon Santini : Massiges ; le bataillon Rey
: Virginy ; le bataillon Malandrin : la côte 138.
Le 3 juin a lieu une relève à
l'intérieur du régiment : le bataillon Malandrin
relève à Virginy le bataillon Rey qui passe en
première ligne à la place du bataillon Santini ;
celui-ci se porte à la côte 138 où il occupe les
emplacements laissés libres par le bataillon
Malandrin.
Le 6 juin, le bataillon Santini va relever le
bataillon du 58e R.I. qui occupe Melzicourt-bois-d'Hauzy : les
bataillons Rey et Malandrin relevés par le 58e vont cantonner
le 10e à Dommartin-sous-Hans, le 2e à
Courtémont.
Le soir du 9 juin, la 59e brigade prend définitivement le
secteur de Ville sur Tourbe ; le 40e, après avoir
relevé ce jour-là, le 61e R.I. alternera
désormais avec le 58e jusqu'au 8 août.
Le secteur de Ville sur Tourbe est assez
délicat, surtout au centre (Calvaire) et à gauche
(ouvrage Pruneau) : dans ce dernier sous-secteur, nos lignes forment
un saillant, à quelques mètres des lignes ennemies.
Les Allemands bombardent journellement ces deux sous-secteurs par
obus de gros calibre et par torpilles. Le régiment pendant son
passage dans ce secteur subit des pertes assez
sérieuses.
Le 10 juin, à 17 h 30, un orage
épouvantable éclate, la pluie inonde les
tranchées ; l'alerte est donnée à gauche
(ouvrage Pruneau) : une violente fusillade et une canonnade intense
se déclenchent de part et d'autre. Le calme renaît
bientôt, mais les tranchées sont dans un état
lamentable ; par suite du bombardement et surtout de la pluie, la
plupart des parapets sont éboulés ; des poches d'eau se
sont formées, rendant la circulation impossible.
Les jours suivants sont employés à remettre en
état tranchées et boyaux, mais ce travail n'est pas
encore terminé lors de la relève par le 58e, le 13
juin.
Les cantonnements de repos sont
Courtémont, Berzieux, Malmy et le Bois d'Hauzy. Les
périodes de repos sont de quatre jours, celles de
tranchées de quatre jours également. Le 8 août au
soir, le 40e quitte le secteur et va cantonner à
Maffrécourt et Berzieux."
Historique du 40e RI
Mort pour la France
à l'ouvrage Pruneau
|
Eugène Perrussot, dans son discours
au pied du Monument aux Morts de Saint Léger, explique :
"C'est au moment d'une relève, à l'instant où il
quittait ses galeries pour aller au repos, que le sapeur TERRIER a
été tué d'une balle en plein front, face
à l'ennemi, le 12 août 1915.
Par une étrange coïncidence, pendant que TERRIER Claude
occupait les tranchées de Ville sur Tourbe, son vieux
maître était à la côte 196 (butte du
Mesnil), non loin de Ville sur Tourbe."
"L'an mil neuf cent quinze, le douze du mois
d'août, à dix neuf heures du soir ; étant
à l'ouvrage du Pruneau, commune de Ville sur Tourbe, Marne
;
Acte de décès de Terrier Claude Marie, sapeur
mineur à la Cie 27/5 du 11e régiment du Génie,
N° Mle 8684, cultivateur âgé de vingt trois ans,
né le sept août mil huit cent quatre vingt douze
à Matour,
/
domicilié en dernier lieu
à Saint Léger sous la Bussière
/
Mort pour la France à l'ouvrage du Pruneau, commune de
Ville sur Tourbe, le douze août à dix neuf heures du
soir.
A été atteint d'une balle à la tête et est
mort sur le coup.
|
Fils
de Joseph (Terrier) et de Dargaud Jeanne Marie,
domiciliés à Saint Léger sous la
Bussière (1)
/
Conformément
à l'article 77 du Code civil, nous nous sommes
transportés auprès de la personne
décédée et assuré de la
réalité du décès.
Dressé par nous Simon, Capitaine Commandant ;
Officier de l'état civil, sur la déclaration
de Brunet Louis, Sergent, et de Pierredon Alfred, Caporal,
tous deux à la Cie 27/5 du 11e Génie,
témoins qui ont signé avec nous après
lecture.
L'acte de décès ci-dessus a été
transcrit le vingt eux septembre mil neuf cent quinze,
à deux heures du soir, par nous Joseph Plassard,
Conseiller Général, maire de Saint
Léger sous la Bussière."
Inhumé à la
nécropole nationale de Sainte Menehould Tombe
N°2091. Son nom est inscrit sur la tombe familiale,
entre ses deux parents, au cimetière de Saint
Léger.
(1) Joseph Terrier est
né vers 1857, il décède le 24 janvier
1921 "dans sa 64e année". Son épouse, Marie
Dargaud, est née vers 1862 ; elle
décède le 15 juillet 1929 "à
l'âge de 67 ans". Claude-Marie Terrier a une
sur, née vers 1894, prénommée
Jeanne-Françoise, décédée le 1er
février 1942.
|
Les clichés qui suivent sont de
Daniel Lefèvre - Merci, Daniel !
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