"Est
un jeune bleuet de la classe 1915. Il est plein de vaillance. Il
appartient à une belle et brave famille qui compte 12 enfants.
Déjà l'aîné est parti et a gagné la
Croix de guerre et de nombreuses citations. Il veut aussi faire comme
son frère. Il veut faire honneur à sa famille et
à son pays. Affecté au 133e régiment
d'infanterie, il eut une courte et belle carrière. Il fut
tué au combat de la Somme le 28 juillet 1916, montrant qu'un
bleuet a l'âme d'un héros."
Il est né le 28 mai 1895 à
Matour. Ses parents se nomment Claude Terrier (né en 1860 -
mort en 1910) et Joséphine Châtelet (née en 1863
- morte en 1935). La classe 1915 dont il fait partie est
incorporée dès l'âge de 19 ans le 15
décembre 1914. Joanny rejoint le 133e régiment
d'infanterie. De janvier à juin 1915, il combat sur le front
des Vosges. :
Sur la fiche remplie au régiment
après sa mort, nous apprenons qu'il est tué "aux
Combats de la Somme à Hem".
L'historique du 133e RI raconte les
circonstances de ces combats :
"Venant de Lorraine, le régiment avait
débarqué, dans la nuit du 26 au 27 juin, à
Breteuil. Il cantonna dans la région, à Esclainvillers
et Folleville
Ces localités des plateaux de la Somme, construites en
pisé, paraissent pauvres et délabrées. Elles
manquent d'eau, si bien que les voitures du bataillon faisaient trois
kilomètres pour en chercher. Pendant la quinzaine
passée là, on n'en reprit pas moins l'instruction des
unités
/
Entre temps, le 1er juillet, la grande
offensive franco-anglaise sur la Somme avait commencé. Du haut
de la vieille tour de Folleville, on embrassait l'arrière de
la bataille : on apercevait les trains qui se succédaient
méthodiquement dans les deux sens, des divisions de cavalerie
qui se rapprochaient. Le soir, on voyait passer de nombreux
avions qui rentraient avec leur phare allumé à l'avant,
grosses lucioles dont le bourdonnement égal et vigoureux
donnait confiance. A la nuit, le ciel s'illuminait du feu d'artifice
des obus et des fusées.
Et tous les regards se tendaient vers l'horizon embrasé,
fournaise gigantesque où bientôt le régiment
entrerait à son tour.
Le 19 (juillet), le 133e se rendit par
étapes à Rumigny. De là, il fut
transporté en camions dans la région de Bray-sur-Somme.
Pendant tout le trajet, nos soldats purent constater quelle
activité régnait à l'arrière du front,
pendant une action de ce genre.
De chaque côté de la grand'route d'Amiens à
Saint-Quentin, c'étaient des enfilades ininterrompues de
voitures, de camions, de fantassins, de cavaliers, se
déroulant comme les maillons d'une chaîne sans fin qui
serait engrenée par un mouvement de dents invisibles. Il y
avait quelque chose de mécanique dans la progression de ces
interminables convois !
Au loin, on entendait le roulement puissant et
continu de notre artillerie. De son côté, à
plusieurs reprises, l'ennemi bombarda nos cantonnements : c'est ainsi
que des pièces à longue portée lancèrent
quelques obus à Neuville-lès-Bray, au moment où
l'on débarquait. Pas d'abri ! Tant pis ! Contre mauvaise
fortune on fit bon coeur. Il y eut d'ailleurs peu de victimes.
Quel contraste entre ce paysage et celui des Vosges ! On était
d'ailleurs dans la zone de bataille : villages à demi
ruinés et vides d'habitants, maisons incendiées, routes
défoncées. Le bombardement avait transformé la
campagne en une terre de morne désolation.
En fin de journée, le 21 juillet, on
quitta la région de Bray-sur-Somme. Après avoir
croisé des convois d'artillerie, on traversa les ruines de
Suzanne. A gauche, s'étendait un vaste camp avec une foule
grouillante d'hommes, de chevaux, de voitures, de locomotives. Des
saucisses surgissaient à droite et à gauche.
(1)
De partout, en plein "bled", étaient établies des
batteries d'artillerie lourde. Des tranchées, anciennes
positions de repli, zébraient le sol de leurs
traînées crayeuses. On suivit le bord assez
escarpé du plateau que creuse la vallée de la Somme,
et, vers le soir, on arriva au moulin de Fargny, au milieu de
batteries de 75, qui, de tous côtés, aboyaient
rageusement.
(1) Ce terme d'argot de poilus
désigne les ballons captifs d'observation allemands. Le
"Drachen-Ballon " est de forme allongée, d'où le nom de
"saucisse" que les soldats donnèrent à cet engin. (note
MG)
Dans la nuit, le 133e releva le 11e bataillon
de chasseurs alpins sur les positions atteintes, le 21, en fin de
combat, entre la route Curlu-Hem et la route
Maricourt-Péronne.
Les renseignements sur le front exact
étaient des plus vagues. Les chasseurs, qui avaient eu
à subir une violente contre-attaque, étaient
accrochés à hauteur d'une vaste carrière
à gauche du bois de Hem. Ils tenaient, à gauche, les
deux lèvres de cette carrière ; à droite, ils
n'en tenaient que la lèvre ouest.
Les Allemands occupaient l'autre partie transformée en un
ouvrage que le plan directeur a baptisé "Tatoï" du nom du
château du roi de Grèce récemment
incendié.
La relève en pleine nuit, sous des tirs
de barrage extrêmement violents, fut très dure. La
tête d'une section de la 9e compagnie fut écrasée
par un gros obus. Les deux artilleries continuèrent à
tirer jusqu'au matin. Les Boches arrosaient sans trêve les
lignes tenues par l'infanterie française, d'où ils
savaient que de nombreux assauts allaient partir. Le régiment
mit en première ligne, à droite, le 2e bataillon
(commandant Thouzelier) ; à gauche le 3e (commandant Boudet,
puis capitaine Piébourg). Le 1er bataillon resta en
réserve à la tranchée de Gingembre.
L'attaque devait, d'après le plan primitif, être reprise
au bout de deux jours, mais des remaniements successifs dans l'ordre
de bataille, comme l'entrée en ligne du 7e corps et le
glissement à gauche du 20e, obligèrent à la
retarder.
Cette attente prolongée dans des trous d'obus ou des
carrières, sous le bombardement continu de l'artillerie
allemande, qui, après la surprise du début de juillet,
s'était ressaisie et renforcée, fut très
pénible.
Les pertes quotidiennes faisaient tondre les effectifs ; les
communications avec la première ligne étaient
très précaires (2) et constamment prises sous
les barrages. Aussi le ravitaillement arrivait-il assez mal ; la
soif surtout, sous le soleil que la craie réverbérait,
tenaillait les hommes dont la poussière et la fumée des
explosions séchaient la gorge. On souhaitait impatiemment que
la reprise de l'attaque eût lieu le plus tôt possible.
(3)
(2) "Les survivants se rappellent le
sinistre boyau de Sauve-qui-peut constamment battu, jalonné de
cadavres, qui s'arrêtait d'ailleurs, inachevé, en plein
"bled", obligeant à franchir 200 mètres, au pas de
course, à découvert."
(3) "Il convient de citer
l'héroïsme de deux équipes de braves de la 6e
compagnie, conduits par les héroïques sergents Bouron et
Couard : en l'absence de brancardiers, ils partirent, pendant la nuit
du 20 au 21, pour relever des blessés dont on entendait les
cris en avant de nos lignes. Ils ramenèrent ainsi plusieurs
chasseurs, recueillis presque jusque sous les parapets allemands, les
sauvant à coup sûr, car les malheureux n'auraient pas
tardé à succomber à leurs blessures
déjà anciennes."
On acceptait du reste de bon coeur souffrances
et privations, car on savait qu'à l'autre aile du front,
à Verdun, les camarades enduraient de pires souffrances : ils
n'avaient pas, eux, le réconfort de se sentir soutenus par une
nombreuse et puissante artillerie, qui dominait celle de l'ennemi ;
obligés de rester sur la défensive et d'attendre
anxieusement la nouvelle ruée boche, ils comptaient sur les
camarades pour obliger l'Allemand à relâcher son
étreinte.
Chaque obus qui tombait sur nous dans la
carrière de Hem, c'était un obus de moins pour
écraser Verdun ; chaque homme de renfort appelé sur la
Somme, pour résister ou contre-attaquer, était un homme
de moins sur la Meuse.
Aussi la contre-préparation incessante
et meurtrière ne faisait qu'exciter une ardeur plus
fiévreuse. On reliait les trous d'obus en parallèles de
départ, on aménageait dans les carrières de
vagues abris pour les munitions, les postes de secours, les P.C. On
termina, la nuit, le boyau de Sauve-qui-Peut. On poussa des
reconnaissances, afin de préciser le front tenu par l'ennemi
(4), et nous capturâmes des prisonniers des 101e et 102e
de réserve saxons.
(4) "L'ennemi, rejeté de sa
première position et n'ayant pas terminé l'arrangement
de la deuxième sur la crête Maurepas-Cléry,
s'était accroché désespérément aux
bois, carrières, chemins creux, anciens abris d'artillerie qui
se trouvaient entre ces deux positions. Il n'y avait pas de
ligne continue et nette ; de là pour notre artillerie
d'ailleurs très puissante, de grosses difficultés. On
ne savait pas exactement ce qu'il fallait battre et l'on faisait du
tir sur zone assez imprécis ."
Enfin, le 29 juillet, vers 22 heures, arriva
brusquement en première ligne l'ordre d'attaque pour le
lendemain, au petit jour. Le jour "1" serait le 30 ; l'heure "H", 5
heures 45. Notre artillerie se taisait et ce silence
inaccoutumé étreignait les coeurs."
"Lan mil neuf cent seize, le dix du mois
de septembre, à quatorze heures trente minutes, étant
à Suzanne (Somme). Acte de décès de Terrier
Joanny, n° Mle 10 702, soldat de 2e classe à la 6e
Compagnie du 133e Régiment dInfanterie, âgé
de vingt et un ans
Mort pour la France au combat de la Somme,
le vingt huit juillet mil neuf cent seize, à quatorze heures ;
le lieu dinhumation na pu être
indiqué
"
Un mois et treize jours sécoulent
entre la mort de Joanny et la rédaction de lacte.
Celui-ci est rédigé à Suzanne, village meurtri
de la Somme, à près de 10 km en arrière de Hem
(aujourdhui Hem-Monacu) où a été
tué le Bleuet Terrier.
L'acte de décès de Joanny Terrier
est transcrit le 20 novembre 1916 à Saint Léger.
Au bas de la pierre tombale, sur le caveau de la famille Terrier -
Châtelet au cimetière de Saint Léger, est inscrit
"A la mémoire de Joanny Terrier, Mort pour la France,
1895-1916".
Plus haut, son portrait sur une plaque émaillée, avec
ses simples mots "A notre frère".
https://www.stleger.info