À
La Lande-Saint-Léger, la confrérie de
charité - dont les membres sont appelés
"charitons" - demeure, encore aujourd'hui, une
présence discrète mais bien réelle.
Leur rôle est simple et essentiel : accompagner les
familles endeuillées et participer aux offices, selon
une tradition vieille de plusieurs siècles en
Normandie.
Dans l'Eure, ces confréries ont
particulièrement bien résisté aux
aléas de l'histoire et connaissent même, par
moments, des renaissances collectives.
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Des
origines anciennes, des indices
locaux
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À
défaut d'un acte fondateur conservé pour La
Lande-Saint-Léger, plusieurs indices solides
attestent l'ancienneté locale.
La
bannière "1933"
Une
bannière conservée porte la date de 1933.
Dans le monde des charités, ces dates signalent
souvent une réfection ou un renouvellement (et non la
création), pratique fréquente depuis les
réorganisations post-Révolution et au fil des
relances paroissiales.
Une
photographie antérieure à 1921
Un
cliché du début du XXe siècle, pris par
l'ancien maire Honoré Petel ( 1921), montre
déjà une bannière (sans date apparente)
et atteste l'existence de la charité bien avant 1933.
point
rouge : l'ancienne mairie de La Lande - point bleu :
l'ancien mur de la cour de l'école
pour un agrandissement, cliquer ici 
Un
plan du XVIIe siècle
Une
parcelle y est mentionnée comme "Charité
d'Hébertot", très probablement en lien avec
Saint-André-d'Hébertot, paroisse voisine du
Pays d'Auge où l'on sait les charités actives
depuis l'époque moderne.
Cette mention toponymique suggère la présence
et la notoriété d'une charité dans
l'environnement immédiat de La Lande dès
l'Ancien Régime.
Pris ensemble, ces éléments dessinent une
continuité : la charité existait
déjà avant 1921, a connu un jalon en 1933
(nouvelle bannière), et s'inscrit dans un paysage
régional où les confréries sont
attestées depuis le Moyen-Âge, avec de forts
pics de création aux XIVe-XVe siècles et des
reconstitutions au XIXe siècle.
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À
quoi sert une confrérie de charité
?
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En
Normandie, la charité est une association paroissiale
de laïcs chargée, bénévolement,
d'assurer les inhumations, de soutenir les familles en deuil
et de servir aux offices (processions, grandes
fêtes).
Les confrères portent traditionnellement un chaperon
brodé, encadrent le convoi funèbre, et
disposent d'attributs comme la bannière, la croix,
parfois des torchères pour les veillées.
Selon les usages, un tintenellier (ou cliqueteux) ouvrait
autrefois la marche avec une clochette.
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La
Lande-Saint-Léger dans son contexte
diocésain
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Dans
l'Eure, les charités ont été dissoutes
pendant la Révolution (décret du 18 août
1792), puis reprises au début du XIXe siècle
(arrêté de l'an X - 1801 et règlement de
Mgr Bourlier, évêque d'Évreux).
Après un tassement dans l'entre-deux-guerres, un
grand renouveau a été impulsé par le
congrès de Giverville (1947) et la création
d'une Union diocésaine qui fédère et
soutient les confréries : rassemblements, statuts
types, bulletin (Les Tintenelles), concours de
tintenelles, etc.
Les
rencontres se poursuivent encore au XXIe siècle. Il
est donc très probable que la charité de La
Lande-Saint-Léger ait été
concernée par ces mouvements de
réorganisation.
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Une vie
fraternelle, des règles, des
offices
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Comme
ailleurs dans l'Eure, une charité fonctionne avec des
officiers élus (maître, échevins,
prévôts), un règlement
(assiduité, tenue), et parfois un système
d'amendes en cas de manquement.
Chaque confrérie garde ses particularités, car
le cadre est avant tout paroissial. Les femmes prennent
aujourd'hui une place accrue dans la vie fraternelle, reflet
d'une adaptation des usages.
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Aujourd'hui
: une tradition qui tient
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Quelques
charitons sont encore actifs à La
Lande-Saint-Léger.
C'est typique de l'Eure, où l'on dénombre
encore une centaine de confréries et plus d'un
millier de frères et surs de
charité.
Leur présence, même réduite, demeure un
socle de solidarité locale et une mémoire
rituelle précieuse pour la commune.
choeur de
l'église de La Lande - les torchères
utilisées par les charitons lors des
processions
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Les
charitons, la peste et l'arbre des
morts
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Les
confréries de charité ont souvent vu le jour -
ou se sont renforcées - à la suite des grandes
épidémies de peste.
À ces époques de terreur où la
population fuyait les villages, les charitons étaient
parmi les rares à rester pour soigner, ensevelir et
prier.
Leur dévouement a forgé leur réputation
d'hommes de foi et de courage silencieux.
Dans bien
des paroisses normandes, un if était alors
planté au centre ou à l'entrée du
cimetière.
Cet arbre, à la fois symbole d'éternité
et protection contre les miasmes, était censé
purifier l'air et éloigner la contagion.
Sa sève toxique passait pour absorber les "mauvais
souffles" issus des fosses.
À
La Lande-Saint-Léger, un if remarquable, toujours
visible aujourd'hui, fut planté en 1633, à la
suite d'une grande épidémie de peste qui
frappa la région.
C'est dans ce contexte que la charité locale aurait
pu se structurer, ou du moins affermir son rôle
d'assistance et d'ensevelissement.
Ainsi, l'arbre et la confrérie forment un même
symbole : celui d'une protection spirituelle et terrestre au
cur du cimetière.
Stéphane
Tassel - octobre 2025