Pendant
près d'un siècle, à La Lande, l'église
paroissiale fut le cur battant du village - un chantier
permanent, une source de fierté, mais aussi un gouffre
financier que les générations successives de
curés, marguilliers, maçons et dévots
tentèrent sans relâche de faire tenir debout et de
magnifier.
Tout y passait. Les cloches,
d'abord. On les descendait, on les refondait, on les remontait avec
force suif, cordes, ferrures et clous. À plusieurs reprises,
des fondeurs furent appelés de Pont-Audemer pour refaire le
battant de la grosse cloche ou rehausser le beffroi, parfois à
grand frais. Il fallait du charbon pour la fournaise, du bois pour
cuire les moules, de la bourre, du métal, de la cire, de la
poix. Chaque opération impliquait plusieurs hommes, des
chevaux, du vin, et des journées entières de
dépenses. Il arrivait même qu'un clerc se rende à
Rouen pour faire bénir le nouveau calice ou le ciboire, avec
mission de les rapporter par diligence.
Quand ce n'étaient
pas les cloches, c'était la toiture qui menaçait de
s'écrouler. Les couvreurs, souvent venus de Pont-Audemer ou de
Lisieux, se relayaient pour poser tuiles, essentes et chanlattes,
soutenus par les charpentiers du pays. On refaisait les planchers, on
réparait les chéneaux, on montait des échelles
jusqu'au clocher pour inspecter le faîtage. La tour,
fidèle sentinelle du ciel normand, exigeait qu'on la
blanchisse, qu'on la soutienne, qu'on la scelle de plomb et de
foi.
Mais le joyau de
l'église, son trésor visible, était sans
conteste le maître-autel et son retable. En 1692, on
commença par commander quelques ais de bois, presque
timidement. Puis, d'année en année, la contre table
prit forme, confiée à un menuisier puis à un
sculpteur réputé. Les paroissiens, soucieux de
beauté, mirent la main à la poche. En 1705, un
excédent de recettes fut affecté à son
achèvement ; en 1715, la dorure acheva d'en faire une
uvre d'art. Draps liturgiques, tentures, pavillons
brodés au-dessus du tabernacle vinrent l'enrichir. À
côté, une exposition du Saint-Sacrement fut
commandée pour les grandes fêtes, et des chandeliers
dorés vinrent encadrer le marchepied.
Le mobilier, lui aussi,
témoignait d'une vie paroissiale animée. On fit refaire
les bancs du chur, les armoires de la sacristie, des coffres
à double serrure pour y placer les vases sacrés,
parfois même un petit tronc pour recueillir l'aumône. On
construisit une chaire, puis on la renforça de clous et de
ferrures. Des escaliers, des crochets, des barres et des pentures
venaient sans cesse compléter l'ordinaire d'une église
en perpétuel ajustement.
Les objets liturgiques -
calices, ciboires, burettes, bénitiers, goupillons - faisaient
l'objet d'une attention méticuleuse. Un simple goupillon, mal
entretenu, pouvait être remplacé pour quelques sols,
tandis qu'un calice d'argent coûtait jusqu'à 70 livres.
On en faisait venir de Rouen, parfois de Honfleur, parfois même
de plus loin, et les paroissiens se cotisaient pour le transport, les
bénédictions, et les orfèvres.
L'éclairage, enfin,
absorbait sa part de bougies, de chandelles et de cierges. On
achetait des livres de cire, on faisait fondre les restes, on
fournissait du suif pour la lanterne du clocher, des verres pour la
lampe du chur. Le tout sous l'il sévère de
l'archidiacre, qui, à plusieurs reprises, ordonna la
fabrication d'une bannière, l'ajout d'une fenêtre, ou la
remise en état d'un bénitier trop
vétuste.
Et puis, il y avait les
textiles. Chaque génération laissait son lot de
chasubles neuves, d'aubes brodées, de draps pour les morts, de
rubans liturgiques, de nappes de communion. Le linge de
l'église - souvent refait, réparé,
raccommodé - devenait un fil ténu entre les vivants et
les disparus, entre les grandes fêtes et les jours
ordinaires.
Parfois, les comptes
mentionnaient des dépenses inattendues : un procès
à Rouen concernant un trésor disputé, les frais
d'un prédicateur venu pour l'Avent, ou encore les
journées d'hommes envoyés planter des pommiers dans la
cour du presbytère. L'église était aussi un
espace de justice, de mémoire, et de
transmission.
Ainsi se lisait, en creux
des registres, une histoire tissée de foi, de boue, de cierges
et de sueur. Une histoire silencieuse, mais obstinée. Celle
d'un village qui, siècle après siècle, avait mis
tout son cur à faire tenir son clocher debout, pour que
sonner les cloches soit toujours un acte
d'espérance.
plan de 1690
où est inscrit "le Trésor de la Lande"
(plan disponible sur le site des archives de l'Eure, dans
"cartes anciennes")
c'est la 1re carte de la Lande, dessinée par les
arpenteurs de Cassini
|

même
plan de 1690 - on voit la position de la parcelle où
est inscrit "le Trésor de la Lande"
elle avait une surface de 3,5 acres, soit environ 1,5
hectare
|
Chapitre II - Le
grand retable du maître-autel
(1692-1715)
|
C'est
une uvre qui ne dit pas son nom, mais qui porte encore la
lumière d'un siècle : le grand retable du
maître-autel, conçu entre 1692 et 1715. Trente
années de patience, de gestes invisibles, de copeaux
tombés sur la pierre froide de l'église de La
Lande.
Tout commence modestement,
en 1692, par quelques planches de bois, des " ais " et des "
fonçailles " achetés pour une contre table. On paie un
menuisier pour deux jours de travail, puis
le silence. Rien ou
presque pendant plus d'une décennie. L'ouvrage sommeille, ou
manque de fonds.
Mais l'an 1704 marque un
tournant. On fait appel à un sculpteur, qui réclame 160
livres pour son uvre. C'est une somme considérable -
preuve que l'on ne veut plus d'un simple décor, mais d'un
véritable retable sculpté. L'année suivante,
l'archidiacre de Pont-Audemer, François Lerebours,
reçoit les comptes : un excédent de 539 livres 9 sols
peut désormais être employé à " achever la
contre table ". L'autorité religieuse donne son aval, la
communauté acquiesce : l'uvre peut
renaître.
Les années suivantes
sont une suite de paiements répartis, de menuiseries
ajoutées, de bois façonnés. En 1706, le
menuisier reçoit 50 livres 8 sols, le sculpteur 50 livres. En
mai 1707, nouveau miracle comptable : 463 livres de recettes
excédentaires sont, à nouveau, allouées à
ce chantier jamais refermé. Le retable devient, au fil des
ans, une affaire collective - le témoignage d'une
communauté pieuse et opiniâtre.
En 1708, on règle
encore 75 livres au sculpteur. Le tabernacle se dote d'un marchepied,
d'une serrure neuve, et même d'un élément
d'exposition pour le Saint-Sacrement. En 1709, les derniers
versements sont effectués : 37 livres 13 sols pour solder ce
qui reste.
Puis vient la touche finale,
éclatante : en 1715, on commande la dorure du retable. Le
devis s'élève à 520 livres 10 sols - une somme
presque trois fois supérieure au prix initial de la sculpture.
Dorure à la feuille, sans doute ; travail d'orfèvre,
peut-être ; mais surtout, acte de foi : l'autel du Seigneur
devait resplendir comme jamais.
Deux ans plus tard, en 1717,
on y ajoute encore un pavillon de toile au-dessus du tabernacle.
C'est un geste discret, mais plein de dignité : comme un voile
posé sur la mémoire d'un siècle de travail. Un
linceul d'étoffe pour une uvre née dans l'ombre
et terminée dans la lumière.
Chapitre III - Le
vicaire, l'ombre discrète du clocher
|
L'église
de La Lande vivait au rythme des cloches, mais aussi à l'ombre
d'un homme discret : le vicaire. Sans faste, sans bruit, il occupait
un logement sobre mais entretenu avec soin par les marguilliers et
les paroissiens. Les registres en gardent les traces pudiques, page
après page.
Vers 1685, on mentionne la
construction d'une maison pour loger le vicaire. Le chantier est
modeste, mais essentiel : du plâtre, du ciment, de la chaux. On
commande des tables pour la sacristie, on répare les poutres,
on ajuste les huisseries. Le tout est confié à un
maçon local, puis à un couvreur appelé à
maintenir l'étanchéité du toit.
On y apporte aussi de la
vaisselle liturgique : deux burettes, un bénitier, parfois un
goupillon. La maison n'est pas un lieu de confort, mais un lieu de
fonction. Le vicaire y veille sur les objets sacrés, il y
prépare ses offices, il y reçoit les
paroissiens.
Les années suivantes,
on équipe la maison avec soin : planches, soliveaux, poutres,
bancs. En 1686, on plante même un verger : quatorze
journées de travail pour installer un demi-cent de pommiers,
témoignage d'un attachement profond à la terre. Cette
maison n'est pas seulement un lieu de passage : c'est une
demeure.
Les frères Baudoin,
charpentiers du cru, fournissent les ais nécessaires à
la structure. Le maréchal, de son côté, forge les
ferrures. Le mobilier s'enrichit de chandeliers en bois, de corniers,
de coffres à deux clés.
En 1688, l'archidiacre
ordonne l'installation d'un balustre pour séparer le
chur du grand autel et de nouvelles tables de communion. Ces
décisions ne concernent pas directement la maison, mais
témoignent d'un souci d'ordre liturgique - dont le vicaire est
le garant discret.
Ainsi, dans l'ombre du
clocher, le vicaire de La Lande occupait une position stable,
essentielle et respectée. Ni riche, ni glorifié, mais
enraciné. Il partageait la vie des paysans, priait à la
lumière d'une lampe à suif, mangeait des pommes de son
jardin, et gardait l'église comme on garde un
feu.
article de
Paris-Normandie de 1949
|
Chapitre IV - Fils
sacrés, le linge de l'église
|
Dans
la pénombre de la nef, sous les voûtes où montait
parfois l'odeur âcre du suif, une autre lumière
persistait - plus discrète, mais tout aussi sacrée :
celle des textiles liturgiques. Aubes, chasubles, étoffes,
parements, linge d'autel ou draps pour les morts, tous ces tissus
formaient une garde-robe sacrée que l'on entretenait avec une
ferveur silencieuse.
Il y avait d'abord les
aubes, blanches, sobres, essentielles. Dès 1641, on en
confectionne. On achète 5 aunes de toile, du fil, parfois de
la dentelle. Une couturière en coud la forme, la fignole, la
remet aux marguilliers. En 1656, deux nouvelles aubes sont cousues,
puis à nouveau en 1687, lorsque l'une commence à se
faner sous la lumière des cierges.
Les chasubles apparaissent
dès 1653 : une blanche pour les grandes fêtes, une noire
pour les défunts. Chacune est accompagnée de manipules,
d'étoffes violettes ou rouges, parfois bordées de
rubans dorés. On commande du tissu à Rouen, du galon,
de la frange, parfois du camelot blanc. Un jour, même, on
envoie chercher une étoffe spéciale pour doubler le
devant d'autel de la Vierge.
En 1694, les registres
mentionnent la confection des robes des clercs : onze livres sont
consacrées à leur garniture. Plus tard, un antiphonaire
est recouvert d'une étoffe neuve ; les marguilliers exigent
que rien ne soit présenté au chur sans avoir
été remis en état.
Il y avait aussi le linge
des morts. On achète un drap noir, on raccommode le vieux "
drap des morts " pour quelques livres, comme en 1719. Ce linge
funèbre, posé sur le cercueil dans la nef, traversait
les générations. Lavé, rapiécé,
béni, il disait quelque chose de la continuité fragile
entre les vivants et ceux qui ne sont plus.
On n'oubliait pas les
purificatoires, les napperons, les étoles, les tuniques, les
corporaux. Chaque élément avait sa fonction, chaque fil
son sens. Le linge servait à essuyer le calice, à
couvrir le tabernacle, à orner la chape. Il fallait du ruban,
du coton, parfois du savon pour le blanchir, de la colle pour le
raidir, et toujours, toujours, la main patiente d'une femme du
village pour le coudre, le border, l'aimer.
Et dans les grandes
dépenses, celles qu'on hésitait à inscrire trop
vite, il y avait parfois des surprises : une frange pour la
bannière, un devant d'autel en velours, une chape neuve ou
encore des surplis à faire en hâte avant une visite
d'évêque. Même les mouchettes - ciseaux pour les
mèches de cierges - faisaient partie de ce trésor
textile.
Ainsi, dans le silence
feutré de l'église, les linges disaient ce que les voix
n'osaient pas : la persévérance, la décence,
l'attente du sacré. Ces tissus, cousus à la main,
portés par des prêtres oubliés, lavés par
des femmes pieuses, formaient le trousseau invisible de
l'éternité.
Chapitre V - Vitres
et clarté, ou l'art de contenir le
vent
|
Il
ne faisait jamais tout à fait chaud dans l'église de La
Lande. Les murs épais et les tuiles jointes retenaient un peu
les bourrasques, mais la lumière, elle, avait besoin de
passages. Alors, on avait percé des fenêtres. De
modestes ouvertures, orientées selon le chur, parfois
doublées de grilles. Et sur ces fenêtres, on avait
posé du verre - ce miracle transparent que le vent adore
briser.
Presque chaque année,
les registres rappellent que les vitres étaient à
refaire. Parfois une simple fissure, parfois une lanterne à
raccommoder, parfois même une fenêtre entière
à reprendre sur ordre de l'archidiacre. On appelait alors le
vitrier, un homme de patience et d'adresse, payé en livres et
en sols, mais aussi parfois en vin ou en
hébergement.
Dès 1632, les
premières mentions apparaissent : " aux vitres ". En 1638, un
vitrier est payé pour avoir réparé plusieurs
carreaux, sans doute soufflés par une tempête ou fendus
par le gel. On note encore une lanterne refaite, des vitres remises
en plomb, des gonds forgés pour maintenir le tout en place. Un
gond cassé, et le chur s'ouvrait au vent du
pays.
En 1710, l'archidiacre exige
qu'on ouvre une nouvelle fenêtre dans le chur, sans doute
pour y faire entrer davantage de lumière. Un maçon est
chargé de percer la pierre, un serrurier de forger la grille,
un vitrier d'y ajuster le verre. Tout est
consigné.
Vers 1698, les comptes
indiquent des travaux " tant du chur que de la nef ", preuve
que les vitres anciennes, soufflées, devaient être
presque toutes reprises. Le verre, fragile par nature, était
soumis aux caprices du climat et au rythme des saisons. Il fallait
parfois plusieurs jours pour tout ajuster.
Mais malgré leur
modestie, ces vitres étaient précieuses. Elles
laissaient passer la lumière des matines, le pâle
éclat des vêpres d'hiver, la clarté voilée
des enterrements. Elles filtraient le monde extérieur, sans
jamais le faire disparaître tout à fait. Elles faisaient
de l'église un refuge sans l'isoler de la vie.
Et dans leur transparence
résidait un secret que les paysans connaissaient bien : la
clarté ne va jamais sans entretien. Il fallait réparer,
sans cesse, recoller les morceaux, poser du mastic, nettoyer les
bords, resouder les plombs. Comme pour la foi.
Chapitre VI -
Procès, prédicateurs et
imprévus
|
Tous
les ans, les comptes de l'église de La Lande se suivaient,
presque monotones. Chandelles, cierges, tuiles, bois, vitres. On
réparait, on remplaçait, on commandait. Et puis,
parfois, entre deux lignes ordinaires, surgissait l'imprévu.
Un incident, un conflit, une visite d'importance. Quelque chose qui
brisait le rythme régulier du sanctuaire.
Parmi les plus anciens
registres figure une mention presque inquiétante : "Pour
fruits et salaires de justice du procès intenté
concernant le trésor, tant à Pont-Audemer qu'à
Rouen."
Le mot est
lâché : procès. Sans plus de détails, les
marguilliers évoquent une affaire de justice liée au
trésor de l'église - peut-être un
différend sur des biens, une contestation de donation, ou un
conflit de compétence. Le fait même que l'affaire ait
été portée jusqu'à Rouen, au-delà
des juridictions locales, indique sa gravité. La paroisse dut
sans doute mobiliser ses moyens pour se défendre,
rémunérer des officiers, se rendre en
ville.
Mais l'église de La
Lande n'était pas seulement un lieu de conflit -
c'était aussi un lieu d'éloquence et de persuasion.
Chaque année, aux temps liturgiques forts, on faisait venir un
prédicateur. On lui offrait quelques pièces pour ses
sermons d'Avent ou de Carême, et parfois, un repas frugal ou
une bouteille de vin. Ces hommes de parole, souvent formés
dans les grands séminaires de Rouen ou de Lisieux, venaient
ranimer la foi des fidèles, rappeler la menace de l'enfer, la
beauté du renoncement, ou l'espoir de la
résurrection.
Les marguilliers, en bons
gestionnaires, notaient scrupuleusement : "Au prédicateur tant
pour l'Avent que pour le Carême
"
Mais d'autres
dépenses surgissaient aussi, moins saintes, mais tout aussi
nécessaires : le port des saintes huiles depuis
l'évêché, la venue d'un orfèvre pour
estimer un calice, le déplacement d'un clerc pour
quérir des peintures, l'achat d'une serrure plus solide pour
protéger les coffres.
Et puis, les accidents de la
vie : un bénitier renversé, une clef perdue, une
planche pourrie, un battant de cloche fendu par le gel. Le quotidien
d'un édifice vivant.
Un jour, même, on nota
dans le livre : "Pour 40 arbres plantés au
cimetière."
Une dépense modeste,
mais qui en disait long : l'église préparait l'avenir
des morts.
À travers ces lignes,
on devine une réalité bien plus complexe que celle d'un
simple lieu de culte. L'église de La Lande était une
institution vivante, plongée dans son siècle, prise
entre liturgie et justice, entre sermons et procès, entre le
ciel et les hommes.

Chapitre VII - Le
champ et l'autel : l'église au rythme de la
terre
|
A
La Lande, comme dans tant de villages normands de l'Ancien
Régime, l'église n'était pas seulement un lieu
de culte, elle était aussi un acteur du monde rural. Son
activité était profondément enracinée
dans le sol, les saisons, les métiers agricoles. Et cela se
lisait, chaque année, dans les registres du
trésor.
Au-delà des cierges,
du calice ou des vitres, on trouve des mentions étonnantes :
"Pour 14 journées d'hommes à planter des pommiers",
"Pour un demi-cent de pommiers", "Pour le charroi et les chevaux",
"Pour 2 chapes, un drap des morts et une étole noire
et
du vin aux valets du tuilier".
Ces lignes racontent une
autre église, plus terrestre. Car l'église de La Lande
possédait des terres - champs, vergers, parfois bois ou
jardins. Ce patrimoine, souvent issu de donations pieuses, permettait
à la paroisse de subvenir à ses besoins, de financer
l'entretien du bâtiment, de loger le vicaire, voire de soutenir
les pauvres.
Les marguilliers,
élus ou désignés parmi les paroissiens, avaient
la responsabilité de gérer ce "trésor" -
c'est-à-dire l'ensemble des biens et recettes de la fabrique
paroissiale. Leur mission était à la fois
matérielle et spirituelle :
- Percevoir les revenus (rentes, fermages, offrandes)
- Organiser les réparations et les achats liturgiques
- Tenir la comptabilité à jour
- Répondre aux demandes du clergé et de
l'archidiacre.
Et ce trésor, souvent
conservé dans un coffre à deux serrures, n'était
pas seulement un lieu de dépôt d'argent : c'était
le cur administratif de la paroisse. On y gardait les titres de
propriété, les baux des fermiers, les contrats
passés avec les artisans. Les clés en étaient
confiées à deux hommes distincts pour éviter
toute fraude. Ce système, vieux de plusieurs siècles,
garantissait un fonctionnement relativement autonome
mais
toujours sous le regard du diocèse.
Les travaux agricoles
liés à l'église étaient donc nombreux :
on labourait les terres du presbytère, on récoltait les
pommes du verger, on entretenait les arbres du cimetière. Des
journaliers étaient parfois payés à la
journée - non pour leur foi, mais pour leurs bras. Le bois
abattu à Saint-Léger servait aux portes de
l'église ; les chevaux du village transportaient tuiles et
chaux depuis Pont-Audemer ou Cormeilles.
Les échanges entre
sacré et profane étaient constants. Le vitrier dormait
peut-être dans la grange du presbytère. Le peintre,
logé dans la maison du vicaire, payait son séjour par
quelques retouches au tableau de saint Sébastien. Et les
pauvres, eux, recevaient en aumône des "livres" notées
dans les marges des comptes, comme un rappel que l'église
était aussi leur refuge.
Ainsi se mêlaient,
à La Lande, la glaise et la grâce. Le champ nourrissait
l'autel, et l'autel bénissait le champ.
Chapitre VIII - Le
trait du trésor et les terres de la
fabrique
|
Parmi
les biens notables du Trésor de La Lande figurait ce que l'on
appelait autrefois le trait du trésor - une portion de
dîmes perçues sur une terre particulière de la
paroisse, située vers la forge Patin. Ce trait, d'une certaine
étendue, rapportait chaque année à la paroisse
les dîmes des récoltes de blés, seigles, orges,
avoines, pois gris, pois verts et vesces uniquement, extraits de
cette zone bien définie.
Le 10 juillet 1781, ces
dîmes furent affermées pour un an à
Jean-François Auzerais, moyennant la somme de 550 livres. Deux
ans plus tard, le 29 juillet 1783, le même trait fut de nouveau
mis en adjudication selon les formes d'usage. Le prix resta
inchangé, mais le bail précisa que le fermier ne devait
en aucun cas porter atteinte aux droits que le curé de La
Lande conservait sur ledit trait. Il fut également
stipulé que le sieur preneur serait tenu de s'acquitter de la
taille, des accessoires et des corvées des chemins auxquels le
trésor pourrait être assujetti.
L'importance croissante de
ce revenu se confirma le 28 juillet 1789, lorsque Claude Bordelle
s'en rendit adjudicataire contre la somme de 1 050 livres - presque
le double du tarif initial. Le trésor possédait
également, toujours dans la paroisse, un petit labour de trois
acres et demie, loué en 1784 pour 199 livres. Ces terres et
revenus complétaient utilement les ressources du
trésor, permettant à la fabrique de financer non
seulement les besoins spirituels, mais aussi matériels et
agricoles de la paroisse.
Épilogue -
L'église, mémoire de pierre et
d'ardoise
|
Il
suffit d'ouvrir un vieux registre d'église pour entendre le
pouls d'un village. À La Lande, entre les années 1630
et 1720, ce pouls bat dans les marges d'un compte, dans le prix d'un
clou, dans la trace d'un procès ou d'un pommier planté
près du presbytère.
Ce n'est pas une chronique
glorieuse. Ce n'est pas l'histoire des rois, ni celle des saints.
C'est l'histoire du réel, obstinée, discrète,
profonde - l'histoire d'un monde organisé autour de son
clocher, où chaque pierre, chaque étoffe, chaque
chandelle disait quelque chose du temps qui passe, du divin qu'on
cherche, de la communauté qu'on tisse.
L'église rurale de La
Lande n'était pas un sanctuaire figé. Elle était
un chantier vivant, un lieu de dépense autant que de
prière. Chaque génération y apposait sa marque :
une lanterne changée, un vitrail réparé, une
cloche fondue, un arbre planté. Le trésor paroissial,
ce mot qui peut faire rêver aujourd'hui, n'était pas un
coffre d'or : c'était un équilibre fragile entre le
ciel et la terre, une somme de décisions prises par des hommes
du pays, au nom de Dieu, mais avec les mains dans le plâtre, la
suie ou le livre de comptes.
La paroisse, en ces temps
d'Ancien Régime, était le socle du lien social. On s'y
mariait, on s'y confessait, on y bénissait les morts. Mais on
y comptait aussi les sols, les journées d'ouvriers, les
chandeliers rapiécés. La foi passait par l'intendance.
Et dans ce va-et-vient permanent entre le spirituel et le
matériel, le trésorier paroissial devenait gardien
d'une mémoire collective.
Chaque chandelle
allumée, chaque aube cousue, chaque cloche suspendue rappelait
que la beauté du sacré tenait au soin qu'on lui
portait. Et que ce soin - ce respect des lieux, des morts, du travail
bien fait - constituait une forme de prière en
soi.
Aujourd'hui,
peut-être, l'église de La Lande semble dormir. Ses bancs
sont vides. Le battant de sa cloche ne sonne plus que rarement. Mais
sous ses tuiles anciennes, dans le bois rongé du
confessionnal, dans le silence du tabernacle, vit encore
l'écho d'un peuple entier : ses gestes, ses offrandes, sa
patience, son humilité. Une mémoire de pierre et
d'ardoise.
des vues anciennes
des 2 villages
|
|
les 2
églises (cartes postales anciennes et vues
récentes)
|
|
des photos plus
récentes
|
|
erci
de fermer l'agrandissement sinon.
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