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compilation des données du Registre du Trésor de La Lande (XVIIe siècle)

 

 

Avant-propos

Ce registre du trésor de La Lande ne concerne que l'église Saint Pierre, son fonctionnement, son entretien.
Cette archive est accompagnée d'une synthèse de plusieurs pages réalisée dans la 2e moitié du XXe siècle qui reprend, année après année, les lignes les plus importantes : travail long et compliqué car, pour lire ces lignes, il faut être expert en paléographie.
En 2025, Stéphane Tassel a numérisé l'ensemble de cette synthèse et a rentré toutes les données sur ChatGPT.
Ci-dessous le fruit de ses travaux.

 

 

Chapitre I - Le trésor de La Lande (1630-1722)

Pendant près d'un siècle, à La Lande, l'église paroissiale fut le cœur battant du village - un chantier permanent, une source de fierté, mais aussi un gouffre financier que les générations successives de curés, marguilliers, maçons et dévots tentèrent sans relâche de faire tenir debout et de magnifier.

Tout y passait. Les cloches, d'abord. On les descendait, on les refondait, on les remontait avec force suif, cordes, ferrures et clous. À plusieurs reprises, des fondeurs furent appelés de Pont-Audemer pour refaire le battant de la grosse cloche ou rehausser le beffroi, parfois à grand frais. Il fallait du charbon pour la fournaise, du bois pour cuire les moules, de la bourre, du métal, de la cire, de la poix. Chaque opération impliquait plusieurs hommes, des chevaux, du vin, et des journées entières de dépenses. Il arrivait même qu'un clerc se rende à Rouen pour faire bénir le nouveau calice ou le ciboire, avec mission de les rapporter par diligence.

Quand ce n'étaient pas les cloches, c'était la toiture qui menaçait de s'écrouler. Les couvreurs, souvent venus de Pont-Audemer ou de Lisieux, se relayaient pour poser tuiles, essentes et chanlattes, soutenus par les charpentiers du pays. On refaisait les planchers, on réparait les chéneaux, on montait des échelles jusqu'au clocher pour inspecter le faîtage. La tour, fidèle sentinelle du ciel normand, exigeait qu'on la blanchisse, qu'on la soutienne, qu'on la scelle de plomb et de foi.

Mais le joyau de l'église, son trésor visible, était sans conteste le maître-autel et son retable. En 1692, on commença par commander quelques ais de bois, presque timidement. Puis, d'année en année, la contre table prit forme, confiée à un menuisier puis à un sculpteur réputé. Les paroissiens, soucieux de beauté, mirent la main à la poche. En 1705, un excédent de recettes fut affecté à son achèvement ; en 1715, la dorure acheva d'en faire une œuvre d'art. Draps liturgiques, tentures, pavillons brodés au-dessus du tabernacle vinrent l'enrichir. À côté, une exposition du Saint-Sacrement fut commandée pour les grandes fêtes, et des chandeliers dorés vinrent encadrer le marchepied.

Le mobilier, lui aussi, témoignait d'une vie paroissiale animée. On fit refaire les bancs du chœur, les armoires de la sacristie, des coffres à double serrure pour y placer les vases sacrés, parfois même un petit tronc pour recueillir l'aumône. On construisit une chaire, puis on la renforça de clous et de ferrures. Des escaliers, des crochets, des barres et des pentures venaient sans cesse compléter l'ordinaire d'une église en perpétuel ajustement.

Les objets liturgiques - calices, ciboires, burettes, bénitiers, goupillons - faisaient l'objet d'une attention méticuleuse. Un simple goupillon, mal entretenu, pouvait être remplacé pour quelques sols, tandis qu'un calice d'argent coûtait jusqu'à 70 livres. On en faisait venir de Rouen, parfois de Honfleur, parfois même de plus loin, et les paroissiens se cotisaient pour le transport, les bénédictions, et les orfèvres.

L'éclairage, enfin, absorbait sa part de bougies, de chandelles et de cierges. On achetait des livres de cire, on faisait fondre les restes, on fournissait du suif pour la lanterne du clocher, des verres pour la lampe du chœur. Le tout sous l'œil sévère de l'archidiacre, qui, à plusieurs reprises, ordonna la fabrication d'une bannière, l'ajout d'une fenêtre, ou la remise en état d'un bénitier trop vétuste.

Et puis, il y avait les textiles. Chaque génération laissait son lot de chasubles neuves, d'aubes brodées, de draps pour les morts, de rubans liturgiques, de nappes de communion. Le linge de l'église - souvent refait, réparé, raccommodé - devenait un fil ténu entre les vivants et les disparus, entre les grandes fêtes et les jours ordinaires.

Parfois, les comptes mentionnaient des dépenses inattendues : un procès à Rouen concernant un trésor disputé, les frais d'un prédicateur venu pour l'Avent, ou encore les journées d'hommes envoyés planter des pommiers dans la cour du presbytère. L'église était aussi un espace de justice, de mémoire, et de transmission.

Ainsi se lisait, en creux des registres, une histoire tissée de foi, de boue, de cierges et de sueur. Une histoire silencieuse, mais obstinée. Celle d'un village qui, siècle après siècle, avait mis tout son cœur à faire tenir son clocher debout, pour que sonner les cloches soit toujours un acte d'espérance.

 

 

plan de 1690 où est inscrit "le Trésor de la Lande"
(plan disponible sur le site des archives de l'Eure, dans "cartes anciennes")
c'est la 1re carte de la Lande, dessinée par les arpenteurs de Cassini

 

même plan de 1690 - on voit la position de la parcelle où est inscrit "le Trésor de la Lande"
elle avait une surface de 3,5 acres, soit environ 1,5 hectare

 

 

Chapitre II - Le grand retable du maître-autel (1692-1715)

C'est une œuvre qui ne dit pas son nom, mais qui porte encore la lumière d'un siècle : le grand retable du maître-autel, conçu entre 1692 et 1715. Trente années de patience, de gestes invisibles, de copeaux tombés sur la pierre froide de l'église de La Lande.

Tout commence modestement, en 1692, par quelques planches de bois, des " ais " et des " fonçailles " achetés pour une contre table. On paie un menuisier pour deux jours de travail, puis… le silence. Rien ou presque pendant plus d'une décennie. L'ouvrage sommeille, ou manque de fonds.

Mais l'an 1704 marque un tournant. On fait appel à un sculpteur, qui réclame 160 livres pour son œuvre. C'est une somme considérable - preuve que l'on ne veut plus d'un simple décor, mais d'un véritable retable sculpté. L'année suivante, l'archidiacre de Pont-Audemer, François Lerebours, reçoit les comptes : un excédent de 539 livres 9 sols peut désormais être employé à " achever la contre table ". L'autorité religieuse donne son aval, la communauté acquiesce : l'œuvre peut renaître.

Les années suivantes sont une suite de paiements répartis, de menuiseries ajoutées, de bois façonnés. En 1706, le menuisier reçoit 50 livres 8 sols, le sculpteur 50 livres. En mai 1707, nouveau miracle comptable : 463 livres de recettes excédentaires sont, à nouveau, allouées à ce chantier jamais refermé. Le retable devient, au fil des ans, une affaire collective - le témoignage d'une communauté pieuse et opiniâtre.

En 1708, on règle encore 75 livres au sculpteur. Le tabernacle se dote d'un marchepied, d'une serrure neuve, et même d'un élément d'exposition pour le Saint-Sacrement. En 1709, les derniers versements sont effectués : 37 livres 13 sols pour solder ce qui reste.

Puis vient la touche finale, éclatante : en 1715, on commande la dorure du retable. Le devis s'élève à 520 livres 10 sols - une somme presque trois fois supérieure au prix initial de la sculpture. Dorure à la feuille, sans doute ; travail d'orfèvre, peut-être ; mais surtout, acte de foi : l'autel du Seigneur devait resplendir comme jamais.

Deux ans plus tard, en 1717, on y ajoute encore un pavillon de toile au-dessus du tabernacle. C'est un geste discret, mais plein de dignité : comme un voile posé sur la mémoire d'un siècle de travail. Un linceul d'étoffe pour une œuvre née dans l'ombre et terminée dans la lumière.

 

 

Chapitre III - Le vicaire, l'ombre discrète du clocher

L'église de La Lande vivait au rythme des cloches, mais aussi à l'ombre d'un homme discret : le vicaire. Sans faste, sans bruit, il occupait un logement sobre mais entretenu avec soin par les marguilliers et les paroissiens. Les registres en gardent les traces pudiques, page après page.

Vers 1685, on mentionne la construction d'une maison pour loger le vicaire. Le chantier est modeste, mais essentiel : du plâtre, du ciment, de la chaux. On commande des tables pour la sacristie, on répare les poutres, on ajuste les huisseries. Le tout est confié à un maçon local, puis à un couvreur appelé à maintenir l'étanchéité du toit.

On y apporte aussi de la vaisselle liturgique : deux burettes, un bénitier, parfois un goupillon. La maison n'est pas un lieu de confort, mais un lieu de fonction. Le vicaire y veille sur les objets sacrés, il y prépare ses offices, il y reçoit les paroissiens.

Les années suivantes, on équipe la maison avec soin : planches, soliveaux, poutres, bancs. En 1686, on plante même un verger : quatorze journées de travail pour installer un demi-cent de pommiers, témoignage d'un attachement profond à la terre. Cette maison n'est pas seulement un lieu de passage : c'est une demeure.

Les frères Baudoin, charpentiers du cru, fournissent les ais nécessaires à la structure. Le maréchal, de son côté, forge les ferrures. Le mobilier s'enrichit de chandeliers en bois, de corniers, de coffres à deux clés.

En 1688, l'archidiacre ordonne l'installation d'un balustre pour séparer le chœur du grand autel et de nouvelles tables de communion. Ces décisions ne concernent pas directement la maison, mais témoignent d'un souci d'ordre liturgique - dont le vicaire est le garant discret.

Ainsi, dans l'ombre du clocher, le vicaire de La Lande occupait une position stable, essentielle et respectée. Ni riche, ni glorifié, mais enraciné. Il partageait la vie des paysans, priait à la lumière d'une lampe à suif, mangeait des pommes de son jardin, et gardait l'église comme on garde un feu.

 

 

article de Paris-Normandie de 1949

 

 

Chapitre IV - Fils sacrés, le linge de l'église

Dans la pénombre de la nef, sous les voûtes où montait parfois l'odeur âcre du suif, une autre lumière persistait - plus discrète, mais tout aussi sacrée : celle des textiles liturgiques. Aubes, chasubles, étoffes, parements, linge d'autel ou draps pour les morts, tous ces tissus formaient une garde-robe sacrée que l'on entretenait avec une ferveur silencieuse.

Il y avait d'abord les aubes, blanches, sobres, essentielles. Dès 1641, on en confectionne. On achète 5 aunes de toile, du fil, parfois de la dentelle. Une couturière en coud la forme, la fignole, la remet aux marguilliers. En 1656, deux nouvelles aubes sont cousues, puis à nouveau en 1687, lorsque l'une commence à se faner sous la lumière des cierges.

Les chasubles apparaissent dès 1653 : une blanche pour les grandes fêtes, une noire pour les défunts. Chacune est accompagnée de manipules, d'étoffes violettes ou rouges, parfois bordées de rubans dorés. On commande du tissu à Rouen, du galon, de la frange, parfois du camelot blanc. Un jour, même, on envoie chercher une étoffe spéciale pour doubler le devant d'autel de la Vierge.

En 1694, les registres mentionnent la confection des robes des clercs : onze livres sont consacrées à leur garniture. Plus tard, un antiphonaire est recouvert d'une étoffe neuve ; les marguilliers exigent que rien ne soit présenté au chœur sans avoir été remis en état.

Il y avait aussi le linge des morts. On achète un drap noir, on raccommode le vieux " drap des morts " pour quelques livres, comme en 1719. Ce linge funèbre, posé sur le cercueil dans la nef, traversait les générations. Lavé, rapiécé, béni, il disait quelque chose de la continuité fragile entre les vivants et ceux qui ne sont plus.

On n'oubliait pas les purificatoires, les napperons, les étoles, les tuniques, les corporaux. Chaque élément avait sa fonction, chaque fil son sens. Le linge servait à essuyer le calice, à couvrir le tabernacle, à orner la chape. Il fallait du ruban, du coton, parfois du savon pour le blanchir, de la colle pour le raidir, et toujours, toujours, la main patiente d'une femme du village pour le coudre, le border, l'aimer.

Et dans les grandes dépenses, celles qu'on hésitait à inscrire trop vite, il y avait parfois des surprises : une frange pour la bannière, un devant d'autel en velours, une chape neuve ou encore des surplis à faire en hâte avant une visite d'évêque. Même les mouchettes - ciseaux pour les mèches de cierges - faisaient partie de ce trésor textile.

Ainsi, dans le silence feutré de l'église, les linges disaient ce que les voix n'osaient pas : la persévérance, la décence, l'attente du sacré. Ces tissus, cousus à la main, portés par des prêtres oubliés, lavés par des femmes pieuses, formaient le trousseau invisible de l'éternité.

 

 

Chapitre V - Vitres et clarté, ou l'art de contenir le vent

Il ne faisait jamais tout à fait chaud dans l'église de La Lande. Les murs épais et les tuiles jointes retenaient un peu les bourrasques, mais la lumière, elle, avait besoin de passages. Alors, on avait percé des fenêtres. De modestes ouvertures, orientées selon le chœur, parfois doublées de grilles. Et sur ces fenêtres, on avait posé du verre - ce miracle transparent que le vent adore briser.

Presque chaque année, les registres rappellent que les vitres étaient à refaire. Parfois une simple fissure, parfois une lanterne à raccommoder, parfois même une fenêtre entière à reprendre sur ordre de l'archidiacre. On appelait alors le vitrier, un homme de patience et d'adresse, payé en livres et en sols, mais aussi parfois en vin ou en hébergement.

Dès 1632, les premières mentions apparaissent : " aux vitres ". En 1638, un vitrier est payé pour avoir réparé plusieurs carreaux, sans doute soufflés par une tempête ou fendus par le gel. On note encore une lanterne refaite, des vitres remises en plomb, des gonds forgés pour maintenir le tout en place. Un gond cassé, et le chœur s'ouvrait au vent du pays.

En 1710, l'archidiacre exige qu'on ouvre une nouvelle fenêtre dans le chœur, sans doute pour y faire entrer davantage de lumière. Un maçon est chargé de percer la pierre, un serrurier de forger la grille, un vitrier d'y ajuster le verre. Tout est consigné.

Vers 1698, les comptes indiquent des travaux " tant du chœur que de la nef ", preuve que les vitres anciennes, soufflées, devaient être presque toutes reprises. Le verre, fragile par nature, était soumis aux caprices du climat et au rythme des saisons. Il fallait parfois plusieurs jours pour tout ajuster.

Mais malgré leur modestie, ces vitres étaient précieuses. Elles laissaient passer la lumière des matines, le pâle éclat des vêpres d'hiver, la clarté voilée des enterrements. Elles filtraient le monde extérieur, sans jamais le faire disparaître tout à fait. Elles faisaient de l'église un refuge sans l'isoler de la vie.

Et dans leur transparence résidait un secret que les paysans connaissaient bien : la clarté ne va jamais sans entretien. Il fallait réparer, sans cesse, recoller les morceaux, poser du mastic, nettoyer les bords, resouder les plombs. Comme pour la foi.

 

 

Chapitre VI - Procès, prédicateurs et imprévus

Tous les ans, les comptes de l'église de La Lande se suivaient, presque monotones. Chandelles, cierges, tuiles, bois, vitres. On réparait, on remplaçait, on commandait. Et puis, parfois, entre deux lignes ordinaires, surgissait l'imprévu. Un incident, un conflit, une visite d'importance. Quelque chose qui brisait le rythme régulier du sanctuaire.

Parmi les plus anciens registres figure une mention presque inquiétante : "Pour fruits et salaires de justice du procès intenté concernant le trésor, tant à Pont-Audemer qu'à Rouen."

Le mot est lâché : procès. Sans plus de détails, les marguilliers évoquent une affaire de justice liée au trésor de l'église - peut-être un différend sur des biens, une contestation de donation, ou un conflit de compétence. Le fait même que l'affaire ait été portée jusqu'à Rouen, au-delà des juridictions locales, indique sa gravité. La paroisse dut sans doute mobiliser ses moyens pour se défendre, rémunérer des officiers, se rendre en ville.

Mais l'église de La Lande n'était pas seulement un lieu de conflit - c'était aussi un lieu d'éloquence et de persuasion. Chaque année, aux temps liturgiques forts, on faisait venir un prédicateur. On lui offrait quelques pièces pour ses sermons d'Avent ou de Carême, et parfois, un repas frugal ou une bouteille de vin. Ces hommes de parole, souvent formés dans les grands séminaires de Rouen ou de Lisieux, venaient ranimer la foi des fidèles, rappeler la menace de l'enfer, la beauté du renoncement, ou l'espoir de la résurrection.

Les marguilliers, en bons gestionnaires, notaient scrupuleusement : "Au prédicateur tant pour l'Avent que pour le Carême…"

Mais d'autres dépenses surgissaient aussi, moins saintes, mais tout aussi nécessaires : le port des saintes huiles depuis l'évêché, la venue d'un orfèvre pour estimer un calice, le déplacement d'un clerc pour quérir des peintures, l'achat d'une serrure plus solide pour protéger les coffres.

Et puis, les accidents de la vie : un bénitier renversé, une clef perdue, une planche pourrie, un battant de cloche fendu par le gel. Le quotidien d'un édifice vivant.

Un jour, même, on nota dans le livre : "Pour 40 arbres plantés au cimetière."

Une dépense modeste, mais qui en disait long : l'église préparait l'avenir des morts.


À travers ces lignes, on devine une réalité bien plus complexe que celle d'un simple lieu de culte. L'église de La Lande était une institution vivante, plongée dans son siècle, prise entre liturgie et justice, entre sermons et procès, entre le ciel et les hommes.

 

 

article de 1971

 

 

 

 

 

 

Chapitre VII - Le champ et l'autel : l'église au rythme de la terre

A La Lande, comme dans tant de villages normands de l'Ancien Régime, l'église n'était pas seulement un lieu de culte, elle était aussi un acteur du monde rural. Son activité était profondément enracinée dans le sol, les saisons, les métiers agricoles. Et cela se lisait, chaque année, dans les registres du trésor.

Au-delà des cierges, du calice ou des vitres, on trouve des mentions étonnantes : "Pour 14 journées d'hommes à planter des pommiers", "Pour un demi-cent de pommiers", "Pour le charroi et les chevaux", "Pour 2 chapes, un drap des morts et une étole noire… et du vin aux valets du tuilier".

Ces lignes racontent une autre église, plus terrestre. Car l'église de La Lande possédait des terres - champs, vergers, parfois bois ou jardins. Ce patrimoine, souvent issu de donations pieuses, permettait à la paroisse de subvenir à ses besoins, de financer l'entretien du bâtiment, de loger le vicaire, voire de soutenir les pauvres.

Les marguilliers, élus ou désignés parmi les paroissiens, avaient la responsabilité de gérer ce "trésor" - c'est-à-dire l'ensemble des biens et recettes de la fabrique paroissiale. Leur mission était à la fois matérielle et spirituelle :
- Percevoir les revenus (rentes, fermages, offrandes)
- Organiser les réparations et les achats liturgiques
- Tenir la comptabilité à jour
- Répondre aux demandes du clergé et de l'archidiacre.

Et ce trésor, souvent conservé dans un coffre à deux serrures, n'était pas seulement un lieu de dépôt d'argent : c'était le cœur administratif de la paroisse. On y gardait les titres de propriété, les baux des fermiers, les contrats passés avec les artisans. Les clés en étaient confiées à deux hommes distincts pour éviter toute fraude. Ce système, vieux de plusieurs siècles, garantissait un fonctionnement relativement autonome… mais toujours sous le regard du diocèse.

Les travaux agricoles liés à l'église étaient donc nombreux : on labourait les terres du presbytère, on récoltait les pommes du verger, on entretenait les arbres du cimetière. Des journaliers étaient parfois payés à la journée - non pour leur foi, mais pour leurs bras. Le bois abattu à Saint-Léger servait aux portes de l'église ; les chevaux du village transportaient tuiles et chaux depuis Pont-Audemer ou Cormeilles.

Les échanges entre sacré et profane étaient constants. Le vitrier dormait peut-être dans la grange du presbytère. Le peintre, logé dans la maison du vicaire, payait son séjour par quelques retouches au tableau de saint Sébastien. Et les pauvres, eux, recevaient en aumône des "livres" notées dans les marges des comptes, comme un rappel que l'église était aussi leur refuge.


Ainsi se mêlaient, à La Lande, la glaise et la grâce. Le champ nourrissait l'autel, et l'autel bénissait le champ.

 

 

Chapitre VIII - Le trait du trésor et les terres de la fabrique

Parmi les biens notables du Trésor de La Lande figurait ce que l'on appelait autrefois le trait du trésor - une portion de dîmes perçues sur une terre particulière de la paroisse, située vers la forge Patin. Ce trait, d'une certaine étendue, rapportait chaque année à la paroisse les dîmes des récoltes de blés, seigles, orges, avoines, pois gris, pois verts et vesces uniquement, extraits de cette zone bien définie.

Le 10 juillet 1781, ces dîmes furent affermées pour un an à Jean-François Auzerais, moyennant la somme de 550 livres. Deux ans plus tard, le 29 juillet 1783, le même trait fut de nouveau mis en adjudication selon les formes d'usage. Le prix resta inchangé, mais le bail précisa que le fermier ne devait en aucun cas porter atteinte aux droits que le curé de La Lande conservait sur ledit trait. Il fut également stipulé que le sieur preneur serait tenu de s'acquitter de la taille, des accessoires et des corvées des chemins auxquels le trésor pourrait être assujetti.

L'importance croissante de ce revenu se confirma le 28 juillet 1789, lorsque Claude Bordelle s'en rendit adjudicataire contre la somme de 1 050 livres - presque le double du tarif initial. Le trésor possédait également, toujours dans la paroisse, un petit labour de trois acres et demie, loué en 1784 pour 199 livres. Ces terres et revenus complétaient utilement les ressources du trésor, permettant à la fabrique de financer non seulement les besoins spirituels, mais aussi matériels et agricoles de la paroisse.

 

 

Épilogue - L'église, mémoire de pierre et d'ardoise

Il suffit d'ouvrir un vieux registre d'église pour entendre le pouls d'un village. À La Lande, entre les années 1630 et 1720, ce pouls bat dans les marges d'un compte, dans le prix d'un clou, dans la trace d'un procès ou d'un pommier planté près du presbytère.

Ce n'est pas une chronique glorieuse. Ce n'est pas l'histoire des rois, ni celle des saints. C'est l'histoire du réel, obstinée, discrète, profonde - l'histoire d'un monde organisé autour de son clocher, où chaque pierre, chaque étoffe, chaque chandelle disait quelque chose du temps qui passe, du divin qu'on cherche, de la communauté qu'on tisse.

L'église rurale de La Lande n'était pas un sanctuaire figé. Elle était un chantier vivant, un lieu de dépense autant que de prière. Chaque génération y apposait sa marque : une lanterne changée, un vitrail réparé, une cloche fondue, un arbre planté. Le trésor paroissial, ce mot qui peut faire rêver aujourd'hui, n'était pas un coffre d'or : c'était un équilibre fragile entre le ciel et la terre, une somme de décisions prises par des hommes du pays, au nom de Dieu, mais avec les mains dans le plâtre, la suie ou le livre de comptes.

La paroisse, en ces temps d'Ancien Régime, était le socle du lien social. On s'y mariait, on s'y confessait, on y bénissait les morts. Mais on y comptait aussi les sols, les journées d'ouvriers, les chandeliers rapiécés. La foi passait par l'intendance. Et dans ce va-et-vient permanent entre le spirituel et le matériel, le trésorier paroissial devenait gardien d'une mémoire collective.

Chaque chandelle allumée, chaque aube cousue, chaque cloche suspendue rappelait que la beauté du sacré tenait au soin qu'on lui portait. Et que ce soin - ce respect des lieux, des morts, du travail bien fait - constituait une forme de prière en soi.

Aujourd'hui, peut-être, l'église de La Lande semble dormir. Ses bancs sont vides. Le battant de sa cloche ne sonne plus que rarement. Mais sous ses tuiles anciennes, dans le bois rongé du confessionnal, dans le silence du tabernacle, vit encore l'écho d'un peuple entier : ses gestes, ses offrandes, sa patience, son humilité. Une mémoire de pierre et d'ardoise.

 

 

 

 

 

 

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