la fabrique de alles à ouer BERNARD-RONDEL
(1839-1914)

par Guy Friadt - février 2016

 

A Saint-Léger-aux-Bois, depuis toujours, l'agriculture est difficile, la météo n'est pas très favorable en raison des incertitudes climatiques. Le village, blotti entre la lisière de la forêt de Laigue et le long de la rivière Oise, reçoit d'abondantes pluies, voire des orages sévères et les hivers sont longs à l'abri de la forêt. Ainsi on comprend que la culture du chanvre ait fait la réputation de la commune au point d'être rebaptisée sous la révolution du nom de "La Chanvrière".
Ces conditions défavorables pour les rendements de l'agriculture ont favorisé la mise en place de productions artisanales telles que la fabrique à domicile de balles à jouer ou de brosses pour la brosserie LOONEN de Tracy-le-Mont, et précipité plus tard le départ vers l'industrie de nombre de paysans du village (usine Saint-Gobain, vitrage de Thourotte).

Ainsi l'artisanat s'est développé, avec notamment le travail à domicile pour nombre de brossiers et brossières (fourni par la brosserie de Tracy-le-Mont, elle aussi disparue dans la tourmente de la première guerre mondiale) mais aussi la fabrique de balles à jouer fondée en 1839 par DELAISSEMENT, reprise par la famille BERNARD-RONDEL.

 

 

Il n'y avait pas de brosserie à Saint-Léger ! Cependant, les gens de Saint-Léger travaillaient à la maison pour les brosseries de Tracy-le-Mont, hommes, femmes, et enfants. Trois brosseries ont été identifiées sur les recensements : LOONEN, COMMELIN et ROCHEREAU.

 

 

 


 

Clovis BERNARD, né le 3 février 1838 à Saint-Léger-aux-Bois, est manouvrier et bûcheron. Il épouse le 11 juin 1859 en l'église de Saint-Léger Elisabeth RONDEL, elle aussi fille du village, née le 20 avril 1837. Ils sont tous les deux issus de très anciennes familles de la commune.

 

Elisabeth RONDEL et Clovis BERNARD

 

La famille DELAISSEMENT, de son côté, fonde en 1839 une fabrique de balles à jouer à Saint-Léger-aux-Bois. Vers 1872, Clovis BERNARD et son épouse reprennent l'affaire. Sans doute dans un premier temps travaillent-ils dans leur maison, à l'angle de la Grande Rue et de la Rue d'Enfer, qui sera par la suite appelée "Rue de la Fabrique", comme en témoigne le panneau à l'angle de la maison, à droite sur cette carte postale :

 

 

Cette maison, dans l'alignement de la Grande Rue, sera détruite pendant la première guerre mondiale, comme près de 80% des maisons de Saint-Léger-aux-Bois occupée par l'armée française. Elle sera reconstruite, en retrait de la rue, en 1922, grâce aux dommages de guerre.

 

 

L'entreprise familiale se développe et Clovis BERNARD fait bâtir en 1906, Rue d'Enfer, alors rebaptisée Rue de la Fabrique, aujourd'hui Rue des Etangs, des immeubles pour abriter leur atelier et leur entrepôt. Ces bâtiments de pierres et de briques sont assez novateurs dans le village.
Ils sont toujours visibles aujourd'hui avec au-dessus de l'entrée principale la date de construction "1906". Ils ont été transformés en logements.

 

 

 

aujourd'hui la Rue des Etangs - les 2 bâtiments se font face 

La fabrique occupait les deux bâtiments en brique, en vis-à-vis sur la Rue de la Fabrique, avec parement en pierre de taille.

 

La Rue des Etangs en 2011

 

 

 

 

 

Les BERNARD travaillent en famille, le père Clovis et ses deux fils : Georges, né en 1860, et Restide, dit Aristide, né en 1867. 
Georges a eu deux filles : Georgina (c'est le 3e prénom de Pascaline, c'est ainsi qu'on l'appelait toujours) et Georgette.
Aristide a eu 2 fils : Roger né en 1892 et Raymond né en 1894, tous à Saint-Léger-aux-Bois.

Ils donnent du travail à façon à de nombreuses familles du village, en particulier les femmes, les "faiseuses de balles" comme on le trouve écrit dans des actes d'état civil, et les jeunes qui à la maison cousent les peaux de cuir et garnissent les petites balles ainsi obtenues de fougères séchées, de mousse végétale ou de sciure.

 

de gauche à droite : Aristide, Roger, Georges et Raymond BERNARD, avec les sacs remplis de balles à jouer

Aristide BERNARD, dit Restide, avec ses 2 fils Roger et Raymond et son frère Georges, posent devant la fabrique
La photographie est prise devant l'entrée de la fabrique, Rue d'Enfer, vers 1908.

 

A l'image du développement artisanal de la brosserie de Tracy-le-Mont, l'artisanat des balles à jouer a offert aux villageois principalement tournés vers la culture, avec sur Saint-Léger une prédominance de celle du chanvre, une source de revenus complémentaires plus sûre, non soumise aux aléas climatiques hélas fréquents sur notre village coincé entre la forêt de Laigue et la rivière Oise.

 

 

 


 

 

Georges BERNARD, né le 16 décembre 1860, est désigné comme employé de commerce puis comptable. Il épouse le 30 mai 1883 à Saint-Léger Ezilda POIRET, née dans le village le 13 mai 1864. Ils auront deux filles : Georgina (Pascaline) et Georgette.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Georges et Ezilda

 

 

Aristide et Eugénie

 

Aristide BERNARD naît le 24 mars 1867. Il est le directeur de la fabrique de balles à jouer. Il épouse le 8 décembre 1891 à Saint-Léger Eugénie COLLAS, née à Compiègne le 16 décembre 1869. Ils vont avoir deux fils : Roger et Raymond. Tous deux fréquentent l'école de Saint-Léger-aux-Bois, dirigée par madame Marthe BONNART, et poursuivent des études au lycée à Compiègne. Ils font partie de "l'élite" du village et s'emploient à la fabrique en soutien de leur famille.

Mme Bonnard fut institutrice laîque à Saint-Léger pendant 25 ans

 

Attiré par l'industrie en pleine essor, Georges BERNARD, à partir de 1892 partira exercer son métier de comptable à la sucrerie de Voves, en Eure et Loir, puis il reviendra épauler son frère Aristide à Saint-Léger en 1898.

Les familles des deux frères BERNARD habitent au n° 3 et 4 de la Rue d'Enfer.

Aristide BERNARD décède en 1909 à St-Léger. Ses deux fils, Roger et Raymond, sont alors employés à la fabrique. Mais la première guerre mondiale se déclare en août 1914, et les deux jeunes gens répondent à la mobilisation générale et rejoignent leurs régiments. Tous deux disparaissent en mars 1915 dans les combats de l'Argonne. Leurs corps n'ont jamais été retrouvés. Leurs noms figurent sur le monument aux morts de St Léger.

Eugénie COLLAS, veuve d'Aristide BERNARD, aura longtemps espéré le retour de ses fils, officiellement portés disparus en 1922. Après avoir évacué pendant le conflit à Lacroix-Saint-Ouen, de retour à Saint-Léger-aux-Bois bouleversé par la guerre, elle cesse l'activité de la fabrique qui ne redémarrera pas après le conflit. Elle meurt à Saint-Léger en août 1929.
 

 

Aristide BERNARD
(1867-1909)

Georges BERNARD
(1860-1924)

Roger BERNARD
(1892-1915)

Raymond BERNARD
(1894-1915)

 

pour lire deux lettres de la maman de Roger et Raymond, datées de 1916, alors que ses deux fils était portés disparus depuis mars 1915 en Argone

pour voir la page sur les Poilus de Saint-Léger-aux-Bois, dont Roger et Raymond

 


 

 

Les balles à jouer étaient vendues localement mais aussi distribuées plus largement jusque dans le nord de la France comme en attestent des courriers à destination de Lille :

 

oblitération de 1900

 

La fabrique dispose d'un des trois numéros de téléphone de Saint-Léger et répond au n°3 à Saint-Léger-aux-Bois :   

 

 

 


 

médaille de bronze à l'Exposition régionale de Compiègne en 1877

 

L'Exposition régionale de Compiègne, regroupant 18 départements du nord de la France, s'ouvrit le dimanche 20 mai 1877. Elle dura plus de 3 mois, se clôturant le dimanche 2 septembre. La ville resta pavoisée mais de nombreuses averses gênèrent les festivités en plein air, ainsi que les exposants. Des trains spéciaux partaient de Paris, mais aussi de diverses villes du Nord.

"L'Écho de l'Oise", journal royaliste, s'enflammait pour le maréchal-président et allait publier un supplément quotidien relatant par le menu les festivités de cette exposition. L'inauguration le samedi 26 mai fut faite par le maréchal de Mac-Mahon (il avait la veille inspecté le chantier de l'Exposition universelle de Paris qui devait s'ouvrir l'année suivante).

Pour l'occasion, un bâtiment principal, dit Palais de l'Exposition, avait été construit. Le toit était en carton-cuir mais la façade servant d'entrée au grand pavillon avait belle allure.

 

1877 - Exposition de Compiègne - le Palais

 

 

l'entrée du Palais

 

L'exposition forestière occupait le grand Parc, à l'abri d'un chalet avec entrée sur le Rond-Royal. On y présentait toute la boissellerie, depuis le bois en grumes jusqu'aux ateliers des villages voisins : bois et brosses, jouets d'enfants, ainsi que toutes les productions issues de la forêt.

De nombreux concours se déroulèrent pendant ces trois mois : agricole, horticole, de pompes d'incendie…

Le dimanche 20 mai, c'est au Rond-Royal que l'on remit les récompenses aux lauréats agricoles, tandis que, dans la soirée, un feu d'artifice illuminait les rives de l'Oise.

Le dimanche 3 septembre 1877 le préfet TRIPIER présida la distribution des récompenses de l'Exposition régionale de Compiègne qui voulait prouver la vitalité de Compiègne et de toute la France du nord, et leur volonté de redressement, au lendemain de la défaite de "l'Année terrible", en 1870-1871.

 

La fabrique de balles à jouer BERNARD RONDEL de Saint-Léger-aux-Bois est distinguée d'une médaille de bronze dans la catégorie "Brosserie, éventails, objets de voyage, bimbeloterie et articles".

 

 

 

 

 

L'Écho de l'Oise du 14 mai 1877

 

Sources :

 

 


 

 

compléments

 

Le 7 juillet 1919, le préfet de l'Oise estime à 80% en moyenne le taux de destruction des maisons d'habitation à Saint-Léger. Les maisons détruites ne pouvaient être relevées par des familles touchées par le deuil, d'autres familles devront patienter plusieurs années pendant de longues démarches administratives réalisées au sein de la Coopérative de reconstruction avant de toucher un pécule comme "dommages de guerre" et pouvoir reconstruire ; d'autres encore quittent le village ayant perdu leur outil de travail, leurs chevaux, et s'installent en ville. La société coopérative de reconstruction de Saint-Léger fut l'une des premières mises en place.
Les fermes sont exsangues : troupeaux disparus, chevaux réquisitionnés par l'armée, champs non cultivables pendant plusieurs années avec interdiction de cultiver, ont entraîné la disparition de plusieurs exploitations dont les cultivateurs, soit trop âgés, soit embauchés par ailleurs, ont quitté la terre et parfois le village.
Certaines maisons n'ont pas été reconstruites à l'identique. C'est le cas de la maison BERNARD-BONNART, à l'angle de la Grande rue et de la rue d'Enfer, au centre du village. Un obus ayant détruit la maison initialement placée dans l'alignement de celles qui ont subsisté, elle fut reconstruite, avec l'aide partielle des dommages de guerre perçus, sur un plan plus moderne, laissant paraître un jardin sur le devant qui la mettait en valeur et, comble du modernisme, elle fut équipée d'un réseau électrique alors que l'électricité n'était pas encore arrivée jusqu'à Saint-Léger.

 

les balles à jouer de Ham-sur-Heure (Belgique)

"Si le village était une vraie ruche bourdonnante, c'était notamment grâce à l'activité développée autour de la fabrication des balles à jouer et à toute l'atmosphère qui s'en dégageait. Depuis quand jouait-on à la balle ? Petites balles dures pour le jeu de balle au tamis, diverses balles moins compactes pour la balle au long. Ces balles étaient achetées à l'extérieur du village, jusqu'au jour où, en 1850, un certain Alexis Lefèvre, originaire de notre localité, se rendit à Givet, dans les Ardennes françaises, pour y acquérir la technique de fabrication de ces balles. Cette fabrication devint bientôt importante et prospère. Les balles étaient vendues partout en Belgique, aussi bien en Wallonie qu'en Flandres et à Bruxelles. Les jeux de balles étaient très développés et faisaient l'objet de fédérations avec tournois et classements. Il n'était pas rare de posséder plusieurs équipes dans le village. Ainsi Jamioulx, avec moins de 800 habitants, comptait à une certaine époque deux équipes : "Jamioulx église" (la plus forte) et "Jamioulx place". Au Bourg, les joueurs ont collectionné les prix et distinctions dévolus à cette petite reine blanche."

 

 

les petites reines blanches

 

   

la guerre 14/18
à St Léger
 
la forêt et
la chasse à courre
 
la mairie, l'église,
les écoles
les rues
et les lieux

  

 

 

https://www.stleger.info