LA ESTE EN AURIENNE

EN 1630

 

Source :
Notice sur la peste qui a affligé le diocèse de Maurienne en 1630
in "Mémoires de la Société Royale Académique de Savoie - Tome VIII" - 1837

"Les registres des baptêmes, mariages et décès du diocèse de Maurienne pour l'année 1630 ayant été conservés presque en entier aux archives de la chancellerie épiscopale, il est facile de vérifier les ravages que la peste y a causés cette même année.

 

 

Un petit nombre de cas de cette terrible maladie y ont été observés d'abord durant les mois de mai et de juin ; son plus grand développement a eu lieu ensuite pendant ceux de juillet, d'août et de septembre ; ce n'est qu'au mois de décembre qu'elle a entièrement cessé. Elle a commencé à sévir dans les paroisses de la Haute-Maurienne (...) Elle envahit ensuite en très peu de temps toutes celles qui sont situées sur la route, depuis Modane jusqu'à Aiguebelle ; et en moins de trois semaines elle pénétra dans presque toutes les communes de la province (...) Celles des Cuines et des Villards, qui se trouvent isolées sur la rive gauche de l'Arc, sont les seules qui aient été épargnées. Celles dont la position est naturellement humide et insalubre n'ont pas été plus maltraitées que celles qui jouissent de l'air le plus vif et le plus pur.

 

 

On voit par le tableau qui précède que, sur les 52 paroisses dont on a conservé les registres, il n'y en a guère que cinq ou six qui n'aient pas été envahies par la contagion en 1630.

Le nombre de décès, dans ce diocèse, est actuellement de 27 par an sur 1000 habitants ; en 1630, il a été de 83, c'est à dire plus que triplé. Les 26 paroisses les plus montueuses ont eu 87 décès sur 1000 habitants, et les 26 les plus asses n'en ont eu que 76, ce qui prouve que la maladie a même sévi avec plus d'intensité dans les paroisses alpines, où l'air est plus vif et plus pur, que dans les localités inférieures, où il est toujours plus humide et plus malsain (...)

A Lanslebourg, l'épidémie a enlevé plus d'un tiers de la population (...) A Modane, les décès ont été de 466 sur 962 habitants, c'est à dire que le fléau en moissonna plus de la moitié ; il y périt 200 personnes au mois d'août, et 141 au mois de septembre. Le nombre des morts y était souvent de 11 ou 12 personnes par jour. Pendant que la maladie a sévi, il ne s'y est fait aucun mariage ; lorsqu'elle eut cessé, on en a célébré 56 en trois mois (...) A Aiguebelle, la contagion a fait périr aussi presque la moitié de la population ; à cette époque, elle ne s'élevait pas même à 500 habitants. Les marais des environs n'étaient pas défrichés, et d'un autre côté la route de Montcenis était loin d'être pratiquée comme elle l'est aujourd'hui (...)

 

 

Tous ceux que la peste a enlevés pendant cette année n'ont pas été enregistrés ; on le dit expressément en quelques paroisses (...) En d'autres paroisses, les registres cessent tout à coup au plus fort de la maladie ; c'est probablement alors le décès du curé qui y a mis fin. La plupart des sépultures se faisaient dans les propriétés particulières, hors des cimetières (...)

Les actes de décès de la ville de St Jean de Maurienne n'ayant pas été retrouvés, on ne connaît point les ravages que la peste y a exercés ; une circonstance fait conjecturer qu'elle n'a pas été épargnée. Il y avait eu jusque là, à la cathédrale, 40 bénéficiers. Cette année-là, l'évêque les réduisit à 12, par la réunion de plusieurs bénéfices. Probablement il profita de nombreuses vacances que le fléau avait occasionnées. Cette ville et ses environs se trouvaient alors envahies par des troupes françaises (...) Quelques exemples indiquent qu'il y avait des compagnies allemandes parmi les troupes de Louis XIII (...)

 

 

La peste de 1630 n'est pas la seule qui ait affligé la Savoie ; elle y avait déjà pénétré plusieurs fois antérieurement. Pendant l'espace de 150 ans, de 1575 à 1725, ce terrible fléau a parcouru successivement tous les états de l'Europe (...)

1575 - Dans un édit du 27 mai, le Conseil d'Etat séant à Chambéry suppose que la peste s'était manifestée dans quelques villes et villages du Duché de Savoie, mais il ne les nomme pas ; il défend en général aux habitants des lieux infectés de passer dans les communes voisines, "sur peine de confiscation de personnes et biens, et d'être massacrés comme portant la mort aux autres sujets."

1576 - C'est l'année où S. Charles Borromée a montré une charité si héroïque pour secourir les pestiférés de la ville de Milan. Le même fléau désolait alors Gênes, Pavie, Padoue, Vérone, Vicence, Venise, Messine, Trente et tout le Tyrol (...) Le Titien, peintre célèbre, en mourut dans un âge très avancé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tiziano Vecelli, dit Le Titien (1488-1576)
Il illumina l'art italien de la Renaissance.

 

Portrait d'un Vénitien (1507), par Le Titien

 

1577 - Etablissement d'une magistrature de santé à Chambéry, chargée de prendre les mesures nécessaires pour que la peste ne vînt à pénétrer en Savoie. Ordonnance de cette magistrature qui prescrit :

  • 1. d'établir des gardes à toutes les villes, villages, ports, ponts et passages du Duché, pour s'opposer à l'entrée des personnes venant des lieux infectés
  • 2. de réparer les murs d'enceinte dans toutes les villes qui en ont, et de faire barricader les passages les moins nécessaires dans les autres endroits
  • 3. de supprimer provisoirement toutes les foires et marchés pour prévenir les inconvénients des réunions nombreuses.

1579 - On déclare infectés de la peste : en Sicile, Palerme et Catane ; en france : Clermont, Mende, St Flour, Aubenas, Nîmes, Tournon, Rive de Gyer ; en Piémont, une partie de l'Astesan ; en Savoie : Genève et Seyssel.

1580 - La peste ravage une grande partie de la France. Il périt 6 000 personnes à Laon, 20 000 à Aix en Provence, et 40 000 à Paris. En quelques bourgs de la Normandie la mortalité fut si grande qu'il n'y était demeuré personne pour enterrer les morts.

1585 - La Commission de santé de Turin défend, sous peine de la vie et de la confiscation des biens, de communiquer avec les pays infectés, et désigne comme tels en particulier Lyon, Vienne en Dauphiné, Dijon, St Claude, Bourg en Bresse, Miribel ; La Bridoire en Savoie ; La Thuile et Morgex, dans la vallée d'Aoste.

1587 - La peste envahit la ville de Chambéry et les environs (...) Il est ordonné à tous les habitants de demeurer habituellement renfermés dans leurs maisons, et de n'en sortir qu'avec la permission du Syndic ou de la Commission. Cette permission ne devait s'accorder qu'à une seule personne par famille ; ceux qui l'avaient obtenue avaient ordre de faire leurs provisions en toute diligence, et de ne s'arrêter nulle part ; ils ne devaient parler que de loin aux personnes avec lesquelles ils avaient à traiter, sans jamais les approcher, sous peine d'un sévère châtiment (...)

 

 

1591 - Mezeray dit "qu'en cette année-là la peste et la famine causèrent une si grande mortalité par toute l'Italie, particulièrement sur les terres du Pape, qu'elles en furent presque aussi désolées que si le feu et les autres calamités de la guerre y eussent passé."

1598 - Pour se rendre de France en Italie, le cardinal de Médicis alla passer à Thonon, parce que les autres endroits où il aurait pu passer se trouvaient infectés de la peste. La ville d'Annecy n'en était pas exempte (...) Cette même année la contagion se manifesta à Rivoli et dans les environs. Le Sénat de Turin fut obligé d'aller pour quelque temps fixer sa résidence à Chieri.

1599 - On déclare infectés par la peste Bonvillaret sur Aiguebelle, Grésy sur Isère, Arbin, La Thuile sur Montmélian, Drumettaz, Faverges et Genève ; la maladie pénètre aussi à Turin ; un grand nombre de personnes abandonnent la ville (...) A la fin de novembre, le fléau ayant cessé, la Commission de santé prescrit une opération générale de désinfection dans toutes les maisons qui ont été atteintes ou soupçonnées de la contagion. Persuadée que l'or et l'argent sont particulièrement propres à conserver et à transmettre le virus pestilentiel, elle ordonne de faire bouillir dans l'eau toutes les espèces de monnaie pour les purifier (...)

1600 - On déclare infectées, en Espagne, les provinces d'Andalousie, de Séville et de Grenade, et tout le Portugal.

1608 - On déclare infectés le Languedoc, le Comtat Venaissin, la Provence et le Dauphiné.

1611 - On déclare infectés l'Alsace, Bâle, Berne, Zurich et Lausanne.

 

 

1623 - On déclare infectés Cracovie, Francfort, Cologne et toute la Hongrie.

1624 - On déclare infectés la Sicile, Anvers, Lille, Clèves, Paris, Rouen, Soissons, etc.

1628 - On défend, sous peine de la vie et de la confiscation des biens, d'admettre les personnes ou les marchandises provenant du Valais, du Pays de Vaud, de la Suisse, du Languedoc, de la Provence, de Lyon, de Bourgoin, de la Tour du Pin, etc.

1629 - Même défense pour les personnes et les marchandises provenant d'Avignon, d'Arles, d'Aix, de Carpentras, d'Orange, de Valence, de Grenoble et de toute la Franche-Comté

1630 - La peste envahit toute la province de Maurienne, ainsi que Turin (...), une partie des provinces de Suse, d'Aoste, de Bielle, de Verceil ; la Suisse, le Valais, le Dauphiné et la Provence. Cette même année, elle causa dans la ville de Milan d'affreux ravages. Elle désolait en même temps Modène, Bologne, Florence et Venise. Muratori dit que le nombre de morts fut de 60 000 dans cette dernière ville, et de plus de 500 000 dans les autres terres de la république.

1631 - Le même fléau continue encore à sévir en diverses localités des provinces de Suse, de Turin, de Chieri, de Saviglian, de Côni, de Saluces, de Pignerol, de Nice, et surtout dans le Duché d'Aoste.

1636 - On dénonce comme infectés Vienne en Autriche, le Tyrol, la Lorraine, Constance, Zurich, Genève, Cluse et Montsaxonnex en Savoie.

1638 - On dénonce comme infectés Rouen, Lyon, Besançon, Sion, Lausanne, Genève ; et en Savoie la région d'Abondance, Publier, Vailly, Jussy l'Evêque, Chêne, Confignon et Monnêtier.

1639 - Toute communication est interdite avec le Pays de Vaud, Salins et Dôle en Bourgogne ; Conflans, Moûtiers et le Bourg St Maurice en Tarentaise.

1649 - Même défense pour la ville de Nîmes

1652 - Même défense pour Beauvais, Uzès, Lunel, Montpellier, Montauban, Perpignan, Narbonne, Carcassonne, Béziers, Agde, Toulouse et toute la Sardaigne

 

à droite, médecin en 1656 avec son masque caractéristique de l'époque de la peste
Le long bec renfermait des épices pour atténuer l'odeur des cadavres.

 

1657 - La peste passe de la Sardaigne en Italie (...) Selon Muratori, il périt 20 000 personnes à Rome, 160 000 dans tout l'état romain, et 280 000 dans la seule ville de Naples.

1658 - La peste passe de Naples à Gênes, où elle fait 70 000 victimes dans le seul mois de septembre (...)

1665 - Toute communication est interdite avec Grenoble, Gap et toute la Provence, ainsi qu'avec l'Angleterre.

1667 - Même défense pour Spire, Bruxelles et tout le Hanovre

1668 - Même défense pour Amiens, Soissons et ses environs

1670 - Même défense pour Berne et tout son territoire (...)

1713 - De la Hongrie et de la Pologne, la peste se répand en Autriche, en Bavière, en Suisse et en Valais ; elle se développe successivement à Milan, à Parme, à Plaisance et à Modène ; la Savoie est de nouveau troublée par la frayeur ; cette fois cependant le fléau ne s'avança pas en-deça de la ville de Genève.

1720 - Importée de la Turquie, la peste éclate subitement à Marseille, où elle produit en peu de temps les plus affreux ravages (...) Elle envahit ensuite une grande partie de la Provence et du Languedoc (...)

 

"habit des médecins et autres personnes qui visitent les pestiférés
Il est de marroquin de levant, le masque a les yeux de cristal et un long nez rempli de parfums."

 

On voit par cet aperçu que, de 1574 à 1721 ou 1722, c'est à dire pendant l'espace d'environ 150 ans, la peste n'a presque pas cessé de promener ses ravages dans les différentes contrées de l'Europe (...) Nous devons bénir la Providence de ce que, depuis environ 116 ans, elle retient ce fléau formidable comme enchaîné sur les confins de l'Asie et de l'Afrique (...)"

 

Source et lien :

Mémoires de la Société Royale Académique de Savoie - 1837 - Tome VIII
Chambéry - Puthot, imprimeur-libraire de la Société - pages 191 et suivantes
http://books.google.fr/books?id=spUEAAAAQAAJ&printsec=titlepage

 

 


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