Vous
trouverez ci-dessous des extraits du livre de P. Niel
édité à Bordeaux en 1858.
Vous pourrez en lire l'intégralité ici http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9617620j
Le
Landais sous le rapport hysique
|
La plupart des habitants de
cette partie des Landes sont pauvres ; ils ne se privent pourtant de
rien dans leurs galas, et les fêtes patronales et de noces
cachent, sous l'abondance et la délicatesse des mets, les
privations journalières.
Le Landais se nourrit
ordinairement de pain de seigle mal fait, de mauvaise soupe et de
bouillie de farine de maïs et de millet ; des brebis
épuisées de vieillesse ne lui fournissent pas une
viande saine ; dom pourceau seul a cet honneur. Ils corrigent assez
mal, avec quelques gouttes de vinaigre, l'eau qui les
désaltère ; plusieurs la tirent de puits peu profonds
dont l'orifice ne s'élève pas au-dessus du niveau de la
terre et ne préserve pas l'eau d'une foule de souillures ; les
couches supérieures du sol y versent aussi leur contingent de
liquide impur. Les enfants ne paraissent pas souffrir de ces
conditions défavorables, et sous leur ciel embaumé des
salutaires émanations des pins, ils jouent avec autant
d'alacrité que les enfants des villes, et les fatigueraient
sur leur sol aride et mouvant (
)
sprit
du Landais
|
(
) Malheureusement, chez
le Landais, la franchise a peu d'adorateurs ; elle gèle sur
ses autels comme en tant d'autres contrées. Mais que l'enfance
y soit bien instruite, vous serez étonné de ses
succès et quelquefois de ses destinées.
L'indocilité, l'antipathie pour l'école et l'inaptitude
aux belles lettres ou aux sciences sont plus rares en ces pays que
sur les joyeuses rives de la Garonne et dans Bordeaux même
où la langue de l'enfant de cinq ans nous
intéresse.
La parole est chez celui-ci
toujours en mouvement ; chez le petit Landais, c'est
déjà la pensée. A dix ou douze ans, les
questions qu'il vous adressera vous montreront la pente plus forte de
son esprit vers les choses sérieuses.
J'ai vu souvent ses parents aiguillonner son courage pour le travail
intellectuel ou corporel, promettre à sa paresse le
mépris ou la plus poignante misère, garder
habituellement devant lui la gravité de la voix et du visage,
et le laisser à dessein placer sa phrase dans les
conversations des hommes, même à cheveux blancs
(
)
L'enfant qui, dans ces
entretiens, lance mal sa parole, est promptement averti ; mais toute
pensée opportune et vraie qu'il émet le fait
applaudir.
Joignez à cela le travail continuel dans une solitude
profonde, et vous posséderez les causes de la trempe
d'âme du Landais (
)
Du
entiment
chez le Landais
|
Plusieurs se plaisent à
citer le Landais comme privé de sentiment, mort à la
vie du cur. C'est le calomnier. Il compatit aux maux d'autrui.
Plus d'une fois, de fortes émotions agitent son âme tout
entière et son impassible figure. Il laisse même
aisément, dans son enfance et sa jeunesse, lire sur ses traits
des sensations légères (
)
Quoiqu'on dise le Landais avare
et dur, j'ai vu chez lui des actes de générosité
qu'on ne dépasse pas ailleurs (
)
Quant à l'aberration de
sensibilité qui produit le libertinage, on a tort de la croire
extraordinaire chez le Landais. Le vice est moins grand à
Saint-Léger que dans les environs et ceux-ci n'ont pas
la perversité qu'on leur attribue. On le verrait par la
statistique des naissances illégitimes et par l'état de
maladie ou de santé des individus. Il y a peu d'endroits
où les facilités pour le mal soient aussi
considérables, et dans lesquels il ne soit pas plus
étendu.
De la
eligion
chez le Landais
|
L'autorité du
père et de la mère, et de Dieu qui parle par eux et par
le prêtre au Landais enfant, le maintient dans une sagesse
assez sévère pour que plus tard il se garde de
mépriser la religion. Mais il ne l'envisage pas suffisamment
comme une source de consolations ici-bas, et souvent il se
présente devant Dieu plutôt terrifié
qu'animé d'une filiale confiance (
)
Enfants, épouses et
mères, on les voit souvent à genoux, en groupes
nombreux, prier humblement l'auguste Mère du Très-Haut
(
)
A ce sentiment si
poétique et si chrétien de dévotion pour la
Mère du Rédempteur, s'en joint un autre non moins
poétique, non moins chrétien, et dont l'âme du
Landais est pénétrée : c'est la
piété pour les morts.
Les Landais y portent toute leur tendresse et toute leur
gravité. Les cris de désolation retentissent dans les
maisons, sur la route que suit le cortège du défunt et
jusque sous les voûtes sacrées, où souvent ils
couvrent les chants lugubres du prêtre. A cette douloureuse
cérémonie, les parents et parentes sont cachés
sous de longs manteaux et de longs voiles de deuil ; et pendant un
mois, ils se rendent au champ du repos ainsi qu'à
l'église, chaque dimanche, avec leur funèbre
costume.
Dans certaines parties des
Landes, l'épouse, la mère et la fille portent le grand
voile du jour des funérailles, tous les dimanches pendant un
an. Les jeunes enfants de la famille les accompagnent sur les fosses
de leurs morts. Un soir, je m'approchai d'une de ces personnes. Elle
était agenouillée sur une fosse qui ne paraissait plus.
Ce n'était pas la nuit qui l'effaçait, mais bien le
nombre des années.
- Pour qui priez-vous ? demandai-je.
- Pour mon fils, répondit la mère
étonnée.
- Depuis quand l'avez-vous perdu ?
- Depuis quinze ans.
Est-il nombre de mères
conduites par le regret sur la tombe de leurs enfants longtemps
après leur trépas ? Ce spectacle n'est pas rare dans
nos Landes. Il est question de changer le cimetière de
Saint-Léger. La bonne mère sera
désolée, et combien d'autres le seront ! La place
où coulèrent leurs pleurs sur des dépouilles
chéries sera profanée par de mondaines joies, et sa
paix troublée par le bruit des commerçants, le grand
jour de Saint-Clair. C'est pour eux qu'on voudrait faire une place
devant l'église.
De la
ête
et de l'ssemblée
de Saint-Clair
à
Saint-Léger
|
(
) Saint-Clair
d'Aquitaine, qui scella sa foi de son sang, à Lectoure, est en
vénération particulière dans les forêts
bazadaises, et surtout à Saint-Léger. On le
vient honorer de très loin dans cette paroisse, le 1er juin,
jour de foire en même temps que de dévotion.
Ce jour-là,
Saint-Léger passe des ténèbres à
la lumière, et du repos à l'universelle
agitation.
Des troupes de Landais arrivent
des mille sentiers des forêts environnantes ; les routes de
Saint-Symphorien et de Villandraut en sont couvertes. L'invariable
couleur noire ou foncée de leurs vêtements
présente à l'étranger leur joyeuse armée
comme une foule en deuil. Tantôt le mouchoir montre à nu
le front des filles et des mères, et couvre seul leur
tête ; tantôt un léger chapeau de paille la
protège : ses ailes tombantes ombragent les joues, et son
sommet laisse descendre en flottant, sur la poitrine et les
épaules, de longs et larges rubans noirs. Sur la gorge
découverte brille une croix d'or. Le béret rond et plat
prend, sur le chef des hommes, les plus significatives positions, et
varie à leur gré l'expression du visage.
Quelques dames aux riches
atours ne dédaignent pas le voyage, et le petit bourg et
l'église étincellent de toilettes
étrangères.
Une multitude de fidèles assistent aux offices.
Nombre d'enfants, atteints de
diverses maladies, sont promenés sur l'autel de Saint-Clair
par leurs patientes mères. Un chapelet et une bougie à
la main, la foule féminine fait plusieurs fois le tour de
l'autel du martyr, le touche et y dépose quelques
pièces de monnaie.
On visite la fontaine placée sous la protection de saint Clair
: c'est celle dont j'ai parlé à propos du rossignol.
Les pèlerins s'y bassinent les yeux et s'approvisionnent de
l'eau salutaire. Un pauvre recueille leurs pieuses oblations, et la
Fabrique lui en abandonne une partie, croyant, avec raison, honorer
ainsi saint Clair et Dieu (
)
Une légende bien
respectable nous apprend que l'illustre serviteur de Dieu rendait la
vue aux aveugles.
Les marchands drapiers,
couteliers, pâtissiers, bimbelotiers, etc., rangés avec
ordre dans le bourg, font de belles affaires. Beaucoup de domestiques
se louent pour l'année, et la commencent le même jour.
On les distingue à leur rameau de chêne ; ils le portent
à la boutonnière ou au chapeau. Nombre de
métayers s'engagent pour l'année suivante.
Les pasteurs et les bouviers échangent, hors du champ de
foire, les clochettes de leurs bufs et de leurs
brebis.
Non loin de là, sous les
chênes, l'antique chalumeau guide les pas des danseurs. Leurs
rondes réjouies et décentes plairaient dans plus d'une
grande ville. Sous les arbres encore, et dans toutes les maisons, les
tables sont dressées et bien garnies ; les cafés sont
ouverts ; mais vingt-quatre heures après, plus d'éclat,
plus de bruit : le pasteur guide son troupeau, le résinier
porte dans la forêt ses outils et ses vivres, la mère et
la fille vont à leur champ de mil, et durant quelques
soirées, après tous les travaux, goûtant le frais
au seuil de la chaumière, ils parlent tous du beau jour qui
n'est plus (
)
La chasse
à la alombe
|
Les plaisirs des
assemblées sont fugitifs ; mais il est une
récréation, presque une affaire, à laquelle les
habitants de cette partie des Landes se consacrent depuis la
Saint-Michel jusqu'à la Saint-Martin : c'est la chasse
à la palombe ; toute la population s'en occupe d'une ou
d'autre manière. Si l'on aperçoit un vol de palombes,
on pousse le cri bien connu : Semère ! sernère !
et le chasseur est averti de mettre en mouvement ses appeaux. De
mon cabinet, j'ai souvent entendu, l'an passé, retentir le
fusil durant des journées entières ; on eût dit
des soldats dispersés dans toute la forêt.
Le Landais fait cette chasse
par habitude et par passion. Il emporte sur un long bâton,
nommé raquette, une ou plusieurs palombes dont les
paupières fermées sont retenues par des épingles
; il entre dans la forêt, choisit un endroit environné
de chênes, et silencieux il porte au sommet d'un arbre son
innocente et précieuse esclave, avec la raquette sur laquelle
elle repose ; à ce bois, une corde est nouée pour le
faire mouvoir aisément depuis le sol ; lorsque le chasseur la
tire à lui, la palombe, effrayée, bat des ailes,
s'élève et retombe sur l'appui, trompant, hélas
! ses regrettées compagnes. Celles-ci descendent en tournoyant
du haut des airs, s'arrêtent près de leur sur, et
parent un instant de leurs couleurs riantes la verdure des pins ou le
chêne qu'elles vont teindre de leur sang.
Ordinairement, un chasseur n'a
pas moins de quatre ou cinq appeaux. Malgré leur secours, il
est pour lui des jours très malheureux.
Les anciens les auraient marqués d'une pierre noire, et
l'instinct de la palombe réussit à les multiplier.
Elles pressent les changements de temps, les phases de la lune, le
vent de l'est, ami des beaux jours, et hâte ou retarde en
conséquence ses migrations. Les rôdeuses,
c'est-à-dire celles qui sont dans le pays depuis au moins huit
jours, connaissent le piège du chasseur et ses appeaux.
Tantôt ces gracieuses habitantes des airs se tiennent hors de
la portée de l'arme meurtrière ; tantôt le plomb,
mal dirigé, les respecte. Jugez quel est alors le
désappointement de l'homme ennemi ! il les attendait depuis si
longtemps dans le recueillement et l'observation !
J'ai vu dans ces
pénibles moments s'irriter et s'enlaidir le plus charmant
ecclésiastique. Ce jeune diacre ne se décourageait
point ; même lorsqu'arrivait la fin de ses vacances, le regret
de la chasse, mettant sa tête en feu, l'obligeait de prolonger
son séjour chez lui. Chez lui ! que dis-je ? sous le feuillage
de sa palomière ; et là, le ramier qu'il immolait
calmait toutes ses douleurs.
On prend aussi la palombe avec
des filets connus sous le nom de pentes. Voici la description d'une
chasse de ce genre, située à Saint-Léger,
non loin du presbytère :
La cabane a quatre
mètres de longueur sur deux de largeur. Sa façade est
au nord. Une banquette d'un mètre de hauteur masque la porte.
A l'extrémité s'étend un sol de douze
mètres de longueur sur cinq mètres de largeur. Le
carré du sol, couvert de petite herbe, est
clôturé par un gazon rapporté, haut de
trente-cinq centimètres, et qui doit empêcher les
palombes, nommées poulets, de sortir. Elles marchent sur le
sol les ailes liées, et leur vue en attire d'autres de loin
sous les filets perfides.
Entouré de chênes
élevés, aux branches nombreuses, et caché dans
la forêt, ce lieu plairait au dieu du silence. Il me sembla le
voir dans le chasseur qui veillait. C'était un jeune
époux que Diane eût aimé car, enfant du pays,
possédant une grande fortune, il préfère aux
plaisirs de la ville la solitude de nos forêts, et surtout la
volupté de la chasse.
Cette passion n'altère
pas la paix de ses foyers.
Sa gibecière, au contraire, d'où pendent à son
retour les cous brillants des palombes, éveille la
gaieté des enfants et les empressements de l'épouse. Du
reste, il est inouï qu'un chasseur ait été
grondé par les siens durant l'époque sacrée de
la chasse à la palombe.
Source et lien :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9617620j
1re partie -
Le Pays
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Merci de fermer l'grandissement
sinon.
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