Blidah, le 24 novembre 1882, 2h du soir

 

Chers parents,

 

Je vous écris comme je vous l'avais dit auparavant de partir.

Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, ce n'est pas de ma faute.

Vous le savez, nous avons parti de Cholet que le samedi par le train d'une heure. Nous étions 8 tirailleurs et 18 chasseurs. Nous avons arrivé à Bressuire à 2h, à Saintes à 8h15. C'est là que nous avons eu le plaisir de voir une belle gare, nous avons resté 2h.
A 10h, nous quittions la gare. C'est là que nous avons voyagé toute la nuit. Nous avons arrivé à Coutras à 2h15 et nous y avons resté une heure. Nous avons passé à Libourne et nous avons arrivé à Bordeaux à 9h du matin. Nous avons été nous promener partout la ville car nous avons parti qu'à 1h de l'après-midi.

Je ne puis pas vous marquer tout ce que j'ai vu, car si je voulais tout vous écrire, j'en aurais pour plus d'un jour, mais seulement il tombait de l'eau à plein temps.

Nous avons passé à Montauban, à Toulouse où nous avons arrivé à 10h. Je me suis couché dans la gare pendant une heure seulement, et nous avons parti à 3h30 du matin.

A 7h, nous avons arrivé à Narbonne, le soleil se levait. Il paraissait où que les autres jours je le voyais couché. Une heure après, on arrivait à Mondéra (1), et c'est là que nous avons aperçu un bras de la mer. Nous avons arrivé à Perpignan à 10h. Un peu plus loin, nous étions auprès des Pyrénées, et à 11h50 nous arrivions à Port-Vendres.

Aussitôt, on nous a conduits à la caserne. A 9h on sortait, à 10h on embarquait et à 10h50 on arrivait en pleine mer. La mer était bonne et on était tous contents.

Moi je me suis couché, car j'avais toujours vu dire que, étant couché, l'on était pas malade. J'ai bien dormi toute la nuit, mais vers les 4h du matin, il y en avait beaucoup qui commençaient à cracher par-dessus la langue.

Alors je me suis levé, et à 6h le mal de mer me prenait, mais ça durait qu'un quart d'heure, et à 11h ça me reprenait encore. Mais ce n'a rien été car à 1h j'étais bien rétabli. En embarquant, la mer était bonne mais ce n'a pas duré longtemps. Dès le lendemain, vers 10h, ça commençait à nous balancer, mais vers 4h du soir, c'était bien autre chose. L'on pensait bien faire naufrage.

La nuit, il a fait un orage épouvantable, il n'y avait pas moyen de se tenir sur le pont. Moi, je me suis descendu dans le vaisseau, mais seulement je n'ai pas pu y rester car ça sentait mauvais et si j'y avais eu resté, j'aurais encore été malade. Mais j'ai remonté sur le pont, mais ça nous balançait. Moi, je me suis couché mais seulement j'avais une barre de fer aux pieds, car, sans cela , je crois que j'aurais parti à l'eau. Il y avait des fois que le navire était tout de côté. Nous étions peut-être dans les 300 et, sur le nombre, il y en a seulement peut-être pas 4 qui n'ont pas été malades.

Ah ! chers parents, il y a longtemps que j'avais entendu parler de la mer, mais seulement ce n'est rien d'en entendre parler… Il faut y passer, l'on ne peut pas se figurer ce que c'est, l'on tombe comme des morts. Ah ! j'en ai vu… c'était triste, celui de Montfaucon en a vu sa part... Mais aussi la mer était mauvaise…

Nous avons été 33h sur l'eau. Ce n'est pas long mais seulement il nous ennuyait de descendre, et à 6h du matin, lorsque nous avons aperçu la terre, nous étions contents.
On nous a conduits à la grande caserne d'Alger et, à 11h, nous avons eu la permission de sortir jusqu'à 4h. Nous avons été voir la ville, je me suis trouvé avec des camarades à Joseph Audusseau. A 6h, 22 novembre, l'on prenait le train et, à 7h50, on arrivait à Blidah.

Aujourd'hui, nous sommes habillés. On a tout le fourniment et je vous réponds qu'il y a bien plus de choses que je croyais.
En pleine terre, on voit l'oranger sur la ligne d'Alger à Blidah.

En arrivant à Blidah, la musique est venue nous chercher. J'ai vendu mes effets, pas cher, mais je ne savais pas ce qu'en faire. J'ai vendu mon pantalon, mon petit gilet et ma blouse pour deux francs, et mes bottes pour trois francs, mais seulement c'était à des pays (2), ils sont de Châtillon.

Dans notre régiment, il y a pas beaucoup de français, mais des jaunes, il n'en manque pas, et les français ne les fréquentent pas beaucoup. Ils disent qu'à Blidah, c'est le jardin de l'Afrique, mais je crois, à entendre causer les anciens, que je vais pas y rester longtemps.

 

 

 

 

 

Blida / l'église et la montagne

 

Je ne vous donne pas mon adresse, mais seulement je suis à la deuxième compagnie. Je ne suis pas avec Fortin, je suis avec trois de Bordeaux, trois du Finistère et un de St Lambert auprès d'Angers.
A la prochaine lettre, je vous en marquerai davantage et je vous donnerai mon adresse.

Votre fils Baudry Valentin

A Blidah, à présent, il fait aussi chaud que dans le mois de mai chez nous.

 

(1) probablement l'actuel Mandirac, au sud de Narbonne

(2) des gars du pays, c'est à dire pas loin de St Léger

 

 

 

 

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