Je vous écris deux mots pour vous
donner de mes nouvelles. Il y a déjà longtemps que j'ai
reçu des vôtres. J'espère en recevoir par le
prochain courrier. J'ai bien reçu tout ce que vous m'avez
envoyé. J'ai envoyé les derniers journaux à
Zacharie qui est à Hanoi…
Je crois vous avoir dit sur la
dernière lettre que je vous ai écrit, qui était
datée du 21 ou 22 novembre, pagode des mandarins (Sontay), que
je m'attendais à partir.
En effet, je partais le 24 pour
un poste inconnu, My Luong, où j'arrivais le 26. En arrivant,
j'ai eu une place que je m'attendais certainement pas à avoir.
Il y en avait beaucoup qui la désiraient.
Il fallait un garde magasin
d'administration : on m'a offert la place que j'ai acceptée
avec plaisir. Je ne fais aucun service. J'ai 50 centimes par jour
d'indemnité, ce qui ne m'empêche pas de toucher mon
prêt de 4 francs 50 tous les 10 jours.
J'ai à boire autant que je veux, mais la boisson ne me
dérange pas, et si j'ai eu cette place, c'est parce que on
avait confiance en moi. Je suis avec un officier qui veut du
sérieux ! Eh bien, on est sérieux !!
Je suis moitié civil.
Personne ne me dit rien. Une fois ma distribution finie et mon
magasin en ordre, j'ai plus rien à faire qu'à me
promener. Malheureusement, il y a pas grand chose à voir.
Ces jours derniers cependant, My Luong était assez gai : il y
avait une fête au souvenir des survivants qui, il y a un an,
s'étaient battus à Lang Son. On avait fait venir
d'Hanoi bon nombre de lanternes vénitiennes, tout était
illuminé.
|
Lang Son / village
et camp des tirailleurs tonkinois
|
L'interprète, qui est un
type qu'on peut appeler dégourdi, avait fait venir une
quinzaine d'acteurs annamites qui nous ont bien amusés. On se
tordait !
La séance s'est terminée vers une heure du matin. Tout
le monde commençait à en avoir assez. Comme partout les
pays, ils nous avaient plus donné à rire qu'à
dîner. Mais comme on avait bien dîné le soir, on
était pas à plaindre.
|
Hanoi / la rieuse
aux dents noires (1908)
|
Parlons d'autre chose : je peux
donc vous dire que je suis de la classe (1). La
classe 1880 vient de partir. Bellion, dont je vous avais
parlé, qui est de Saint-Jouin sous Châtillon, est venu
me voir hier. Il m'a dit qu'il irait vous voir. Ils s'attendent
partir dans les premiers jours de mars. Ils arriveront donc en France
au commencement de mai.
Lorsque vous m'écrirez,
vous me direz où sont partis les jeunes soldats, le nom des
conscrits de cette année, ce qu'on dit du Tonkin, comment va
le commerce, ce qu'il y a de nouveau au pays...
Je vous écrirai d'ici
peu.
Je ne vois plus rien à vous dire qui puisse vous
intéresser.
Je suis toujours en bonne
santé. J'espère que ma présente vous trouvera de
même.
Votre fils et frère qui
vous aime et vous embrasse.
Baudry Valentin, 1er
régiment de tirailleurs, 4e bataillon, 2e compagnie, 1er
régiment de marche, Tonkin
Les bruits courent qu'on va
retourner en Afrique. On dit qu'on s'est révolté, c'est
pas possible !
J'oubliais de vous dire que
j'ai un joli petit chien.
(1) comprendre : la
prochaine classe à partir (classe = classe d'âge,
d'où : je ne vais pas tarder à être
libéré du service)
Frontière
sino-annamite / transport en brouette
retour accueil
|

|
|
lettre
précédente
|
|
|
lettre suivante
|
|
|