La Seconde Guerre mondiale et l'Occupation
à Saint Léger aux Bois

par Marc-Antoine BREKIESZ

 

Si Saint-Léger-aux-Bois a connu la Première Guerre mondiale du côté français, les conditions de la défaite de mai-juin 1940 placèrent précocement le village, comme toute la zone nord, dans la zone d'occupation allemande, qui fut véritablement présente et massive à partir de la fin de l'année 1942, quand les Allemands créèrent un vaste entrepôt et centre de tri de munitions en forêt de Laigue à sa proximité, ce qui amena le logement prolongé et permanent à Saint-Léger de centaines de militaires, auxquels s'ajoutèrent les prisonniers de guerre et travailleurs employés dans cet endroit des plus dangereux, cible privilégiée de la Résistance et des bombardements alliés.
Comment cette présence fut-elle vécue par les contemporains ? Quel en est le souvenir? (1)

 

le dépôt de munitions

Le dépôt de munitions fut créé fin 1942 par les Allemands et géré par la firme Adler (2). Il s'étendait de Saint-Léger-aux-Bois à Montmacq et du Puits d'Orléans à Ollencourt.
Il comportait six miradors pour une surveillance maximale, était entouré de deux rangées de barbelés hauts de deux mètres et d'une rangée de mines antipersonnelles.
Son accès a été interdit de 1942 à 1945. Il y avait deux Allemands armés, deux barrières et deux guérites à chaque entrée.
L'accès à Thourotte, pour de nombreux travailleurs, s'effectuait le long du dépôt par un sentier de fortune, tandis que, pour rejoindre Compiègne, il fallait passer par Longueil-Annel ou Saint-Crépin-aux-Bois.

C'est seulement à partir de 1945, et sur les demandes des conseils municipaux de Saint-Léger-aux-Bois et de Montmacq, que les riverains purent traverser le dépôt, escortés par deux sentinelles et uniquement pour les déplacements professionnels. Durant toute cette période, le village de Saint-Léger-aux-Bois était donc très isolé.
Le dépôt avait été créé par les Allemands mais des talus, dont on peut encore observer les vestiges en forêt, servant au stockage des munitions avaient été édifiés par les prisonniers du camp. Il s'agissait de grands carrés - avec une entrée - de huit mètres sur sept. Les rebords étaient hauts de deux mètres environ, car un fossé s'était créé grâce à la terre extraite pour fonder les rebords.
Ces talus pouvaient contenir environ 100 m3 de munitions que les Allemands glanaient çà et là, au fil de leurs victoires. Il s'agissait pour beaucoup de mililite et de chylite. On distinguait sur toute la longueur de la route ces talus séparés de dix mètres environ, afin qu'en cas de bombardement tout le dépôt ne saute pas.

Chaque jour, un flot incessant de camions allaient et venaient, afin d'approvisionner le dépôt et la gare de Ribécourt.
En effet, les munitions provenaient de cette station, pour être d'abord triées à Saint-Léger-aux-Bois par des prisonniers nord-africains, des civils réquisitionnés ou encore par des travailleurs du STO tenus en captivité à Saint-Léger-aux-Bois ; puis ces munitions repartaient vers Ribécourt, pour être renvoyées là où les Allemands en avaient besoin. Un jeune du village, âgé de 7 ou 8 ans, fut d'ailleurs renversé par un camion lors de l'un de ces allers/retours, M. Jean-Claude LEGUEBELLE.

 

l'enclos du dépôt de munitions en forêt de Laigue - plan de 1947

 

Ce camp de munitions, bien que caché au milieu des broussailles, était un réel point stratégique pour les Allemands. Les Résistants locaux en avaient donc dressé les plans, et c'est grâce à leurs indications que ce lieu a pu être bombardé à trois reprises.
Les deux premiers bombardements tentés dans le courant de l'année 1943 échouèrent : les avions survolèrent le camp puis lâchèrent au-dessus des plaques incendiaires, dont l'avantage escompté était que le feu dévastât tout le camp, tandis qu'un bombardement classique, avec l'espacement entre les talus n'aurait permis qu'une destruction partielle d'un ou quelques talus. Mais l'humidité des marais a fait que les plaques incendiaires se sont éteintes dès leur contact avec le sol.
En revanche, le troisième bombardement, annoncé par un message codé de la France Libre sur la BBC, "Nous irons à Rome par Compiègne", qui eut lieu le 28 août 1944 sur le Puits-d'Orléans, associant des plaques incendiaires et des bombes, fut plus efficace et dévastateur, tuant 13 Allemands et 19 Nord-Africains.
Les habitants de Saint-Léger ont gardé le souvenir de la force de la déflagration, comme celui de corps gisant sur les arbres et d'une odeur insoutenable, les cadavres étant restés exposés une semaine. L'adjoint Henri DEMONT, faisant fonction de maire, et le président des Anciens Combattants, Henri LOIZON, ne purent enterrer sommairement les morts, avec le concours d'habitants, que le 5 septembre (3).
Avec l'explosion du 8 mars 1944, qui tua quatre ouvriers et en blessa trois autres lors d'une manipulation (4), ce fut l'épisode le plus tragique qu'ait connu ce dépôt en la période. Mais, à la fin de la guerre, les habitants de Saint-Léger et des environs étaient terrorisés à l'idée que les Allemands puissent détruire le dépôt avant de partir, ce qui eût été sans doute fatal au village.

Heureusement, les Américains succédant aux Allemands, partis au 1er septembre, procédèrent au déminage du dépôt, opération fort dangereuse, qui devait être réalisée par les Allemands désormais prisonniers. Afin d'être sûrs que leur travail avait été bien effectué, les Alliés faisaient, paraît-il, courir les prisonniers sur la zone qu'ils venaient de déminer. Aucune perte ni aucun accident n'a été en effet signalé.
C'est seulement après la fin de la guerre, quand le dépôt n'était plus gardé, que des accidents ont eu lieu, Ainsi dès 1944, un habitant de Saint-Léger, voulant aller chercher du gibier, a été grièvement brûlé, et un Montmacquois a perdu une jambe en recherchant des champignons. Une forte déflagration provenant d'un tas d'obus a fait exploser les vitres du village en 1946, et lors de la destruction du reste des munitions, en 1947, une explosion fit sauter des arbres entiers, tuant une sentinelle des SPAHIS (venus garder le dépôt, et alors logés au Chalet Gabriel).

 

traces actuelles de l'enclos à munitions, en forêt, près de Saint-Léger

 

Ce dépôt ne comporte aujourd'hui plus aucun risque et les talus encore visibles constituent une curiosité locale, parfois d'ailleurs confondue par erreur avec des traces de tranchées de la Grande Guerre…

 

le dépôt de munitions de Saint-Léger
dans le dispositif allemand de réquisition de main-d'œuvre

"(…) En 1944, un chantier particulier mobilise de la main-d'œuvre : c'est celui de la firme Adler (dépôt de munitions) à Saint-Léger-aux-Bois. A la fin de 1943, elle emploie des détenus, condamnés à des peines inférieures à un an et "aptes physiquement". En janvier 1944, le directeur départemental à la main-d'oeuvre affecte 109 mutés au dépôt pour répondre à une demande de la Feldkommandantur : 100 hommes pour le chantier Adler. Ces affectations sont insuffisantes puisque le 10 mars, les autorités d'occupation réclament 50 ouvrières pour nettoyer des obus et raccommoder des toiles de tente. Pour formuler ses exigences, la Feldkommandantur s'appuie sur la loi du 1er février 1944 qui rend le travail des femmes obligatoire. Ce sont les maires de Compiègne, Noyon et Ribécourt qui sont chargés de dresser une liste de 150 femmes requérables. Le sous-préfet de Compiègne adresse alors au préfet un courrier où perce l'indignation. Il juge la demande de la Feldkommandantur à la fois prématurée et injustifiable : "prématurée, parce que la réquisition de main-d'oeuvre féminine suppose un recensement préalable qui n'a pas encore eu lieu ; injustifiable parce que ces femmes doivent être employées dans un dépôt de munitions à nettoyer des grenades qui seront sans doute désamorcées mais qui n'en constituent pas moins du matériel militaire (…) Quelles que soient les précautions prises, ce travail reste dangereux puisque le 8 de ce mois, une explosion s'est produite dans ce même dépôt, tuant 4 ouvriers et en blessant 3 autres. La réquisition de main-d'oeuvre féminine dans ces conditions ne manquerait pas de soulever à Compiègne une légitime émotion et d'envenimer les relations entre les troupes allemandes et la population déjà énervée par une récente réquisition de bicyclettes." (A.D. Oise. 33 W 8234).
Embarrassé, le préfet s'adresse au Commissariat général à la main-d'oeuvre à Paris, pour qu'on lui indique la conduite à tenir. Nous ne connaissons pas la réponse. En juillet 1944 encore, la direction départementale de la main-d'oeuvre est invitée à fournir cent manoeuvres pour le dépôt de Saint-Léger. Pour y parvenir, on opère des prélèvements de personnel dans 14 firmes de Compiègne et des environs".

Françoise LECLÈRE-ROSENZWEIG
"L'Oise allemande, 25 Juin 1940 - 2 septembre 1944", "Résistance 60", Gouvieux, 2004, p.210-211

 

le camp de prisonniers de Saint-Léger

Un camp de prisonniers de guerre et de travail, principalement nord-africains, employés au dépôt de munitions, fut établi par les Allemands à Saint-Léger-aux-Bois. L'entrée se faisait par la rue des Étangs (actuel n° 3 de la rue) et ce camp s'étendait jusqu'à la place de la Liberté, l'actuelle salle des sports, ainsi que les jardins privés qui se situent à côté.

Il y eut jusqu'à 600 détenus, qui étaient arrivés par le pont suspendu de Ribécourt, à côté des étangs, et avaient ensuite édifié leur camp avec des barbelés, puis chaque jour, allaient travailler au dépôt de munitions. Leur détention se faisait apparemment dans des conditions assez humaines, mais ils manquaient souvent d'eau.

Il y eut cependant beaucoup d'évasions ou de tentatives mais, du second étage du Chalet Gabriel, les Allemands pouvaient voir très loin, et s'évader n'était pas chose facile. Un prisonnier, n'ayant pas pu s'évader, aurait trouvé refuge et serait resté caché dans le clocher de l'église plus d'un an, nourri par le sonneur du village. Il communiquait par courrier avec sa famille car le sonneur, à l'instar de nombreux habitants de la commune, envoyait les lettres (notamment celles que les prisonniers jetaient en boule dans les propriétés) aux familles des prisonniers restées en Afrique du Nord.

De ce camp, il ne reste aujourd'hui aucune trace mais de nombreux souvenirs.

 

l'Occupation allemande à Saint-Léger

L'Occupation allemande a débuté à la fin de 1942, quand a été formé le dépôt de munitions. Il y avait environ 250 Allemands logés chez l'habitant. Si on y ajoute les 600 prisonniers et la population locale, jamais le village n'a connu autant d'âmes.

Dans chaque habitation, au moins une pièce était réquisitionnée (sinon un garage ou une écurie), parfois des maisons entières, surtout les plus belles demeures du village, qui étaient réservées au logement des grands chefs.
Ainsi, le Chalet Gabriel servit de poste d'observation; la villa du Gué (au n° 6, rue de Noyon), sur laquelle flotta le drapeau à croix gammée, fut employée pour l'administration ; la maison située au n° 4, rue de l'Église, servit de logement au chef de la GESTAPO ; la maison bourgeoise du n° 5, rue des Étangs, d'atelier mécanique; les Croisettes furent le lieu des réceptions officielles (à l'intérieur, on trouvait un drapeau à croix gammée, avec un grand portrait d'Hitler) ; la Mairie et le n° 2 rue de Compiègne, furent le magasin d'habillement; le n° 6, rue des Etangs, le quartier général de la GESTAPO ; le n° 28, rue de Compiègne et les n° 2 et 3, rue de Noyon, des logements d'officiers.
Les Allemands occupant Saint-Léger, souvent des quinquagénaires ayant déjà connu la guerre de 1914-1918, apparaissaient plutôt "sympathiques" avec la population, à qui ils offraient parfois à boire ou à manger, ou encore ils montraient en photo leur famille restée au pays.
Le chef de la GESTAPO aurait même épargné la commune, lorsque des SS qui recherchaient des FFI, persuadés qu'ils se cachaient à Saint-Léger, voulurent incendier le village. Cet officier allemand aurait dit qu'il n'y avait aucun Résistant et ainsi "sauvé" Saint-Léger - mais on peut se demander ce qu'auraient gagné les Allemands à détruire le lieu qui les hébergeait !
La seule obligation à respecter était le couvre-feu qui était à 22h30 : un Allemand criait deux fois "Lumiar" et les maisons devaient être éteintes pour éviter les réunions clandestines ou servir de cibles aux bombardements nocturnes.

Selon les témoins de l'époque, les occupants avaient peu changé la vie du village, car ils étaient généralement respectueux de la population. Ils avaient simplement creusé des trous à 50 mètres d'intervalles dans toutes les rues, ainsi qu'une cave commune au presbytère de l'église, pour servir d'abris en cas de bombardements. Ils avaient également placé cinq postes de DCA dans la rue du Père Licourt et passaient assez fréquemment des films de propagande allemande lors des séances de cinéma scolaire.
Les seuls grands moments de frayeur pour les habitants auraient été le bombardement de la gare de Ribécourt et la débâcle de l'armée allemande en 1944.
A l'occasion du bombardement des trains de munitions de Ribécourt, en décembre 1943, les doubles queues qui y procédèrent survolèrent Saint-Léger-aux-Bois à très basse altitude, puis dix minutes plus tard, les flammes de Ribécourt étaient visibles depuis le village, où de nombreuses vitres devaient être cassées par la puissance des déflagrations.
Lors de la débâcle de 1944, les habitants eurent surtout peur de la vengeance et de la destruction intentionnelle du dépôt de munitions, mais aussi parce qu'un état major de SS était venu dormir au village, et qu'ils avaient pris le maire adjoint M. DEMONT et quelques membres du Conseil Municipal en otages, avant de poursuivre leur retour forcé. Dans tous les souvenirs évoqués, personne ne s'est plaint du comportement des occupants et il y a unanimité sur la " korrection " des troupes allemandes stationnées à Saint-Léger-aux-Bois.

En revanche, le souvenir des libérateurs américains ne semble pas avoir été aussi bon au village, et malgré la distribution de tabac ou de chewing-gums aux enfants, on les aurait trouvés "arrogants"...

 

conclusion

L'Occupation allemande à Saint-Léger-aux-Bois a été forte et prolongée, par l'omniprésence de troupes et d'officiers, sans compter de nombreux prisonniers de guerre, mais surtout du fait de l'installation d'un redoutable entrepôt de munitions de l'occupant en forêt de Laigue, danger permanent pour les riverains.
Paradoxalement, la perception qu'en ont eue et conservée les habitants interviewés reste celle d'une occupation "respectueuse", aux " uisances limitées", sans doute parce que les Allemands avaient intérêt à ménager la population tout en la contrôlant, en un lieu stratégique aussi sensible, et qu'on avait apparemment plus affaire à des vétérans contraints et résignés à la poursuite de la guerre qu'à des fanatiques du nazisme. Mais peut-être aussi par le sentiment plus trouble et ambigu d'une solidarité objective entre occupants et occupés dans la crainte des bombardements alliés... Cette réaction, comme le poids de la propagande du régime de Vichy sur ce thème, pourraient aussi expliquer les sentiments antiaméricains manifestés par d'aucuns à la Libération (5) ...Mais aller jusqu'à dire que cela aurait permis au village de préserver son authenticité, son église ses belles bâtisses, serait exagéré !

 

notes

(1) Les éléments de cet article proviennent avant tout de témoignages de Saint-Giotains interviewés ayant connu l'Occupation au village : Jean-Claude RONDEL, Denise POULAIN née DEGARDIN, Michèle DUBRAY née GREUGNY, Julyan PACHOCINSKI, Maria FOSSET née BONVALET, Jean et Huguette LEFEBVRE et Edouard MUSZYNSKI. Ces témoignages sont authentiques et précieux, mais on ne peut garantir leur complète représentativité, quand il s'agit de jugements de valeur ou de sentiments rétrospectifs.
(2) F. ROSENZWEIG "L'Oise allemande, 1940-1944" Gouvieux, 2004
(3) "Ces camarades furent tués le 28 août à 20 h, dont deux sur la commune de Saint-Léger et 17 sur Tracy-le-Mont. Les Allemands n'ayant abandonné le dépôt que le 1er septembre, il nous était impossible d'y aller (…) Ce fut donc le 5 septembre que nous décidons, M. Loizon et moi, de réquisitionner des personnes pour ensevelir ces camarades qui eurent tous pour linceul une couverture prise dans le camp (…)" - Lettre au Préfet de l'Oise, 16 mai 1945, Service des Sépultures militaires, Compiègne - Document transmis par Marc PILOT
(4) J.P. BESSE "Ils ont fait le sacrifice de leur vie. Le prix de la liberté dans l'Oise, 1940-45", ANACR, 2002, p.192
(5) voir le beau livre d'Olivier WIEVIORKA "Histoire du débarquement en Normandie", Paris, Seuil, 2007

 

 

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