Je m'empresse de vous écrire deux mots pour vous
faire savoir de mes nouvelles et en même temps pour en recevoir
des vôtres. Je ne suis plus à Blidah, je l'ai
quittée le 17 et, le 21, je suis arrivé à
Aumale.
Que je vous parle un peu de ce voyage : la
route est longue et fatigante, c'est triste que de voyager en
Afrique, et surtout dans des pays comme nous avons passé. L'on
fait souvent 15km sans voir une maison qui ressemble à une
maison française.
Ce que l'on voit, c'est quelques gourbis et, de temps à autre,
quelques bandes de chameaux. Ce que l'on entend, c'est le cri des
chacals mêlés aux cris des hyènes et des
panthères. Ce que l'on trouve : à peu près rien,
même pas de l'elma (2).
Nous sommes partis de Blidah le vendredi 17
à 1h du matin. La première étape est de 32 km,
nous y sommes arrivés à 8h. Nous sommes repartis le
soir à 6h.
A minuit, nous arrivions à la 2e étape qui est de 24 km
: il était que temps car vous pouvez croire que lorsqu'on a
fait 56km dans la même journée et le sac sur le dos,
l'on commence à être fatigué...
Notre détachement était
composé de 20 personnes. Dès le 2e jour, il y en avait
plusieurs qui ne pouvaient plus marcher, ils ont monté en
cacollet (3). Arrivés à un certain endroit, il y a un
arabe qui a demandé à transporter nos sacs
jusqu'à Aumale, moyennant la somme de 2 francs 50 chacun. On
s'est tous empressés de les lui donner ; ensuite, ça
marchait mieux.
Cependant, sur 20 que nous étions, il y en a que 9 qui ont
toujours marché à pied. Moi, je me suis trouvé
de ce nombre-là, et je suis arrivé à Aumale un
peu fatigué, il est vrai, mais je pouvais toujours dire que
j'avais fait la route à pied !
Nous avons fait plus de 70km, rien que dans les
montagnes, et l'on voyageait que la nuit. Ce n'était pas trop
agréable. Je ne vous en parle pas davantage, de ce voyage.
Mais, craindre de l'oublier, j'ai tout inscrit sur mon carnet.
Aumale / vue
générale
Maintenant parlons un peu d'Aumale :
heureusement que je n'y resterai pas longtemps car c'est bien
à peu près comme les pays que j'ai vus en route. C'est
triste et, avec ça, c'est très malsain. Les
fièvres y sont. C'est impossible de croire les malades qu'il y
a, civils et militaires. Il y a que 24h que j'y suis, mais j'en ai
déjà soupé ! Houara, Blidah, houara ?
(4) C'est
bien comme disent les indigènes :"Y en a l'Afrique bono, mais
aussi y en a l'Afrique macache bono" (5), je m'en suis
aperçu depuis quelques jours.
Maintenant, pour le bataillon, je ne vous en
dirai rien : je n'ai encore pas eu le temps de l'apprécier.
Aumale / la porte
d'Alger
J'ai reçu les 20 francs que vous m'aviez
envoyés le même jour que vous les avez mis à la
poste, c'est-à-dire le lundi soir, je les ai touchés le
mercredi. Je vous en remercie beaucoup, ça m'a fait grand
plaisir. Vous me ferez réponse le plus tôt possible afin
que je puisse vous écrire une autre lettre, avant que je
retourne à ce regretté Blidah.
Je ne me sens plus des fatigues de la route. Je
suis toujours en bonne santé et je désire que ma lettre
vous trouve tous tels qu'elle me quitte.
En attendant le plaisir de recevoir de vos
nouvelles, je suis votre fils qui vous aime et ne vous oublie
pas.
Baudry Valentin, 1er Tirailleurs
algériens, 2e bataillon, 2e compagnie, Aumale,
Algérie
Comme je portais ma lettre à la poste,
l'on me donne une lettre. Rien de plus pressé que de la
décacheter : c'était la lettre que vous m'aviez
écrit le 13 août. Elle avait été à
Blidah et, ne m'y trouvant pas, elle a été à
Alger. Ensuite, elle est venue me trouver à Aumale.
Heureusement que le mot "subsistance" était sur l'adresse !
Il y en a rien que un qui a été
par la voiture, c'est difficile, il faut venir passer par Alger.
Les six timbres sont bien dans la lettre.
Dans ce voyage, j'ai pensé bien des fois
dans Francis. J'espère qu'il voudra bientôt m'envoyer de
son écriture. Si il avait vu ce que j'ai vu dimanche !
(1) Aumale et Homald dont parlait Valentin
sont très sûrement la même ville.
(2) elma = eau
(3) en fait, un cacolet est un double
siège à dossier, fixé sur le bât
d'un mulet, pour transporter les voyageurs ou les
blessés. Est-ce la réponse ?
En langage "escalade", on peut confectionner un cacolet de
fortune à l'aide d'une corde ; un porteur alors
transporte le blessé.
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cacolet de
fortune
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(4) En fait, "Ouarah, Blidah, ouarah ?", ce
qui signifie "Où es-tu, Blida, où es-tu ?"
Valentin exprime ses regrets pour Blida où il était
bien plus à l'aise.
(5) Il existe une bonne Afrique et une
mauvaise Afrique.

Aumale / la
grand'rue
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Aumale / le
quartier central
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Aumale / le
quartier militaire
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Aumale / le
quartier mozabite
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