Blidah, le 24 juin 1883

 

Chers parents,

 

Je vous écris deux mots pour vous donner de mes nouvelles et en même temps pour en recevoir des vôtres. J'ai attendu quelques jours à vous faire réponse, parce que il était toujours question du Tonkin, mais à présent l'on en parle moins. Il y a cependant des tirailleurs qui y sont partis, mais c'est des tirailleurs qui sont au Sénégal et en Cochinchine, et pour les distinguer des tirailleurs algériens, on les nomme les tirailleurs annamites. Si l'on y va, ça demande toujours du temps.

Il va être formé un 4e régiment de tirailleurs qui aura son dépôt en Tunisie. La semaine dernière, il y a un tirailleur indigène qui a tué un sergent français.
Il y en a beaucoup qui connaissent ce que c'est que d'être soldat, mais peu qui connaissent ce que c'est que d'être aux tirailleurs. Pour moi, je ne m'en serais jamais donné une idée.

Je veux pourtant vous parler d'une chose, il y a déjà longtemps que je pensais vous en parler. Je crois me rappeler que lorsque je suis parti pour venir en Afrique, il y en a un d'une ferme de Bégrolles qui était à Alger au 1er Zouaves. Je ne vous dirai pas son nom, je ne m'en rappelle pas. J'espère que vous vous en occuperez et que vous me donnerez son adresse : s'il est de la classe et qu'il soit encore à Alger, j'irai le voir auparavant de partir.

 

 

 

 

Blida / le marché

 

Parlons un peu du commerce : je ne sais pas si du côté de Cholet, le commerce des moutons est bon, mais en Afrique, je crois qu'il n'est pas mauvais. L'autre jour, j'en ai vu passer une bande, je pense qu'il y en avait plus de 4 000. Toutes les semaines, il en passe comme ça. Ce sont des moutons qui vont s'embarquer à Alger et qui vont ensuite à Paris.

Cette semaine, tous les matins, il y a eu école de bataillon. Aujourd'hui, à 7h, l'on a passé la revue du commandant.

Des abricots, des prunes, des cerises, il y en a beaucoup, mais l'on en voit plus que l'on en mange. Les cerises valent 50 centimes la livre, les abricots et les prunes de 6 à 8 sous.

Il fait grand chaud, aussi à présent la soupe ne vaut rien.

Vous me direz aussi si André Soulard est toujours au Mans. Vous me direz qui est le domestique qui est au Cartron. Vous me direz aussi si il y a eu beaucoup de fourrage, et si il a fait beau temps pour le faire sécher. A Blidah, la moisson est presque finie.

Si vous voulez avoir la bonté de m'envoyer de l'argent, vous me ferez grand plaisir.

Dans mon escouade, l'on a changé de caporal : celui qui y est à présent ne comprend pas beaucoup le français, c'est un indigène.

Rien autre chose Je suis toujours en bonne santé et je désire que ma lettre vous trouve tous de même.

En attendant le plaisir de vous revoir, je suis votre fils qui ne vous oublie pas.

B V Adrien

Baudry Valentin,

1er Tirailleurs algériens, 1er bataillon, 2e compagnie, Blidah, Algérie

 

 

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