Blidah, le 7 janvier 1883

 

Chers parents,

 

Certainement il vous ennuiera sans doute de recevoir de mes nouvelles, mais si je n'ai pas répondu plus tôt à votre dernière lettre que j'ai reçue le 30 décembre, c'est que je voulais attendre quelques jours pour vous dire que nos classes étaient finies.

Nous les avons terminées par l'escrime à la baïonnette, ce qui a eu lieu mercredi. Je promets que nous en étions pas fâchés, car l'on a été pendant huit jours que l'on faisait que l'escrime, et c'est bien fatigant.
A présent, ce que l'on fait le plus, c'est sur la théorie, mais ce n'est pas aussi fatigant que tout ce que l'on a fait depuis que je suis à Blidah.

Jeudi, le lendemain que l'on a mis le fusil en repos, ils nous ont vaccinés, mais moi ça ne m'a pas plus fait que de cracher par terre. Pour faire cette opération-là, ils nous ont conduits à l'hôpital. L'on a été se promener dans les jardins, et c'est là que l'on a vu des oranges ; les branches en pliaient. Vous savez que cette année il y avait beaucoup de pommes du côté de St Léger. Eh bien, à Blidah et dans les environs, les orangers sont comme étaient les pommiers chez nous au mois de septembre !

Maintenant, parlons un peu de Blidah : c'est une jolie petite ville, l'on y trouve de tout. En ce moment-ci, il y a la plus jolie chicorée qu'on ne puisse voir, mais ce qu'il y a de plus curieux, c'est de voir des fraises.

Et tous ces jours, je croyais bien que l'on allait quitter cette jolie petite ville, mais l'on ne sait pas ce qu'en croire, car l'on en entend dire de plus d'une manière.

Je ne connais pas Homald, mais j'en ai entendu parler. Il se paraît que ce n'est pas plaisant, et avec ça c'est très malsain, les fièvres y sont souvent. Ainsi, après avoir entendu parler de la sorte, je ne suis pas bien curieux d'y aller voir. Mais si je pouvais passer mon congé à Blidah, je serais mieux qu'en France. Si j'avais pas eu été porté élève caporal, j'aurais peut-être arrivé à y rester. J'aurais demandé à être sapeur, et les sapeurs des tirailleurs sont toujours au dépôt, mais à présent, comme disent les arabes, c'est "macache".

Vendredi, il en est venu dans ma chambre qui arrivaient de colonne et je vous jure qu'ils n'avaient pas bonne mine. Ils étaient brûlés par le soleil.
A St Léger, il fait sans doute grand froid, mais à Blidah il fait comme au mois de mai chez nous et je ne m'aperçois pas que l'on est en plein hiver. Je n'ai pas eu froid une seule fois à faire l'exercice. Quoi que il fasse beau et que Blidah et ses environs est un joli pays, ce n'est pas aussi sain qu'en France. Depuis que nous sommes arrivés, il y en a beaucoup qui ont été malades par rapport au changement de climat et en même temps changement de nourriture.

Que je vous parle un peu de la soupe : elle est assez bonne, elle ne vaut pas la soupe que vous mangez, bien entendu. Mais enfin, elle peut se manger. Et puis, quand l'on est militaire et que l'on est à cinq ou six cent lieues de chez soi, l'on est pas difficile.

Parlons un peu de notre costume : c'est à peu près le même que les zouaves. Seulement, ce qu'ils ont rouge, nous autres nous l'avons bleu, et nous portons pas le chiachia (1) la même chose. Mais ce qu'il y a, c'est que notre costume marque mieux que le leur.

 

 

 

 

 

Blida / la gare

 

 

Maintenant, je vous envoie un colis contenant des fruits de l'Algérie. Ce colis, je l'ai mis en gare à trois heures et, lorsque j'ai été de retour à la caserne, je me suis mis à faire ma lettre. Quand vous aurez reçu cette lettre, vous irez à la gare, l'adresse est bien mise.
J'espère que vous le recevrez et qu'il vous fera plaisir (car si vous pensez dans moi, moi je ne suis pas sans penser dans vous).

Ce colis se compose d'un citron, de deux oranges et de 18 mandarines. J'aime mieux vous envoyer des mandarines que des oranges, car je pense que vous ne savez guère ce que c'est.
Maintenant, je pense que ce colis arrivera samedi ou dimanche à la gare de Cholet. Toutefois, il pourrait y avoir du retard, mais lorsque vous l'aurez reçu, pesez-le et vous me direz ce qu'il pèse, et si vous avez trouvé les mandarines bonnes.

 

 

 

 

 

 

 

oranges

 

 

 

 

 

 

 

mandarines

 

 

Maintenant, je vais vous demander une chose : je voudrais bien que vous m'enverriez du beurre, un mouchoir et un almanach. Si la petite boîte que je vous envoie n'est pas brisée, renvoyez moi-la. Pour cela, vous irez à la gare, vous signerez des papiers qu'ils vous donneront, vous mettrez mon adresse comme pour une lettre. Maintenant, vous avez droit à 3kg, ça vous coûtera 22 sous. Moi, ça m'a coûté cela. Si vous pouviez seulement m'en faire parvenir, je serais content, il y en a beaucoup qui en ont reçu. Rien autre chose.

Votre fils pour la vie,

Baudry V

Au 1er Tirailleurs algériens, 1er bataillon, 2e compagnie

 

(1) en fait, la chéchia (de l'arabe châchîya) : coiffure cylindrique ou tronconique, en tricot foulé

 

 

retour accueil

lettre précédente

lettre suivante