Cherchell, le 24 juillet 1884
Parlons un peu de l'Algérie. Il y a
quelques semaines à Alger, il y a eu des troubles
sérieux, c'était entre les juifs et les français
algériens. La troupe a été obligée de
prendre les armes. On craignait beaucoup pour le 14 juillet, il y a
cependant rien eu. A Cherchell, le 14 juillet a été
splendide. Il se paraît qu'à Alger, il en était
pas ainsi : rien ou à peu près rien… On craignait
beaucoup que les scènes qui avaient eu lieu quelques jours
auparavant recommencent. Lorsque vous me ferez réponse, vous me
donnerez des nouvelles d'André Soulard. Parlons de ce qui est plus sérieux :
depuis quelque temps, il était encore question du Tonkin. On
disait qu'on allait partir. Hier soir à 3h, on recevait un
rapport ainsi conçu, je vous le donne en toutes lettres : "Le
1er régiment de tirailleurs va recevoir sous peu l'ordre
d'envoyer 900 hommes au Tonkin. Messieurs les commandants de
compagnies prépareront dès maintenant un
détachement d'une centaine d'hommes par compagnie, dont un
cinquième de français. Lorsque les ordres arriveront,
le lieutenant-colonel fixera le chiffre définitif par
compagnie, suivant que le bataillon de Laghouat pourra ou non
participer au détachement. On prendra, bien entendu, d'abord
les hommes de bonne volonté." Maintenant, je ne demanderai pas à y
aller, mais si je suis désigné, j'y irai sans me faire
de mauvais sang. De tout cela, il y a rien de définitif.
C'est selon que le bataillon qui est à Laghouat fournira
d'hommes. La semaine prochaine, nous saurons probablement à
quoi nous en tenir. Faites-moi réponse dans le plus bref
délai. Aussitôt que je saurai quelque chose, je vous
enverrai une autre carte. Ne vous faites pas de mauvais sang pour moi. Je
dis comme l'arabe : "santifique", ça m'est égal
(1). Je suis toujours en bonne santé et je
désire que ma lettre vous trouve de même. Votre fils qui vous aime tous. B V 1er Tirailleurs, 2e bataillon, 2e compagnie,
Cherchell (1) Probablement "saha fik",
littéralement "tu as la santé !", de "saha" =
santé et "fik" = toi. retour
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Ensuite, on craint beaucoup le choléra.
A Cherchell, nous sommes 18 français. A Ténès,
on en compte une vingtaine. Par conséquent, si il en part que
20 par compagnie, il en restera encore. Il est plus que probable que,
parmi les français, il y aura assez de volontaires.
Ça a pu être déformé par les
algériens pour que les français comprennent, et
transformé en "santé fik", d'où "santifique"
(Valentin écrit comme il entend).
Le sens exact, c'est "Tant mieux pour toi !", sous-entendu "Tant pis
pour moi !", d'où le "Ça m'est égal" de
Valentin.