Cherchell, le 27 février 1884

 

Chers parents,

 

Je vous écris quelques mots pour vous donner de mes nouvelles et en même temps pour en recevoir des vôtres.

Depuis la dernière lettre que je vous ai écrit, j'ai été en témoignage devant le 1er conseil de guerre d'Alger. Il y a environ 3 mois, un jour, je me trouvais de planton à l'atelier des travaux publics de Cherchell lorsque l'on a ramené un détenu qui s'était évadé de l'atelier quelque temps auparavant. En s'évadant, il avait emporté beaucoup d'effets, mais lorsque on l'a ramené, il ne rapportait plus rien. Me trouvant là, j'ai été obligé d'être témoin, c'est pour cela que j'ai été à Alger. J'y ai resté 15 jours. J'ai été bien content de voir la ville. En revenant, j'ai aussi resté plusieurs jours à Blidah.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

une rue d'Alger

 

 

Parlons un peu de mardi gras, puisque c'était hier le jour : je m'en suis pourtant guère aperçu, car nous avons eu exercice comme à l'habitude. De plus, c'est hier que nous avons commencé nos tirs à la cible, nous avons chacun 240 cartouches à brûler. C'est vrai que les quelques jours que j'ai passés à Alger remplacent. Et puis… faut-il le dire ? comme je suis revenu d'Alger un peu mesquine, le mardi gras a passé sans que je m'en aperçoive. Samedi, j'étais de garde. J'étais encore de planton aux travaux (vilaine place !). Je vous dirai que notre colonel Colona d'Istria (1) a pris sa retraite, il est retourné dans son pays natal Ajaccio. Notre lieutenant-colonel qui est au Tonkin est passé colonel.

Lorsque votre lettre est arrivée à Cherchell, moi, j'étais à Alger. J'ai reçu la réponse de ma marraine deux jours avant de partir pour Alger. Vous lui direz que je la remercie beaucoup des souhaits qu'elle forme pour moi, ainsi qu'à mon parrain qui m'a fait réponse il y a déjà longtemps.

Sur votre lettre, j'ai remarqué que vous croyez que je devais m'ennuyer beaucoup avec ces indigènes. C'est vrai que ce n'est pas toujours bien agréable, mais ce qu'il y a, c'est que la discipline est bien moins sévère que dans les autres régiments. Enfin, je ne me fais pas trop de bile, je prends bien le temps comme il vient…

Vous souhaiterez bien le bonjour pour moi à ceux qui demanderont de mes nouvelles. Rien autre chose pour le moment.

Je suis toujours en bonne santé et je désire que ma lettre vous trouve tous tels qu'elle me quitte.

Votre fils qui vous aime, Baudry Valentin,

1er régiment de Tirailleurs, 2e bataillon, 2e compagnie, Cherchell

Lorsque vous achèterez l'Intérêt Public, ayez la bonté de me l'envoyer, je serais curieux de le voir.

 

 

(1) une famille de militaires, il y en avait encore en 1945  

 

 

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