Boghari, le 24 mars 1885
Le détachement est commandé par
un capitaine. Il se compose de 42 tirailleurs, 52 zouaves, 2 spahis
(2), 3
chasseurs d'Afrique et 16 joyeux (3). Total : 115
hommes. Parmi les tirailleurs, nous sommes que 3
français. C'est moi qui ai chargé de l'ordinaire, je
m'en passerais. Cependant, bien heureusement que j'ai un bon
capitaine ! Nous sommes partis de Blidah le 16, et nous
arriverons à Laghouat que le 5 ou le 6 avril. Je vous ai
écrit une lettre en arrivant à Blidah, j'ai encore pas
reçu de réponse. Je crois cependant qu'elle est partie
pour Laghouat. En France, le commerce ne marche pas. En
Algérie, on se plaint pas. En passant à
Médéah, je me suis trouvé avec un marchand de
moutons. Il en avait 118, plus 33 boucs. Ils lui coûtaient 25
francs la pièce. Il en avait trouvé 29 : il regrettait
de ne pas les avoir vendus (4). Il m'a dit que
c'était pour Marseille. A Cholet, ils vaudraient de 45
à 50 francs. Il y a des zouaves qui montent à
Laghouat avec moi, qui viennent du 77e de Cholet. Ils
désireraient déjà y retourner ! On voit du pays, mais aussi on fatigue ! De
jour, il fait grand chaud, et la nuit, il fait froid. Au camp des
Chênes, il est tellement tombé d'eau et de grêle
qu'il nous a été impossible de faire la soupe. Il ne
faisait pas beau coucher par terre. Et encore… Si on était
seulement rendus ! Ce soir qu'il fait du sirocco (5), si ça
continue, nous allons avoir beau dans la plaine de Bouakzoul...
(1)
Nous arriverons à Djelfa lundi. On a
loué des chameaux pour jusqu'à Djelfa. Lorsque vous m'écrirez, vous
m'écrirez à Laghouat, 2e bataillon, 2e
compagnie. Rien de plus à vous dire pour le moment,
si ce n'est que je suis en bonne santé et que je désire
que la présente vous trouve de même. Votre fils qui vous aime et vous
embrasse. Baudry Valentin (1) Boughzoul (2) spahi = cavalier de l'armée
française (corps créé en 1834 en
Algérie), en principe autochtone (3) joyeux = soldat des bataillons
disciplinaires d'infanterie légère d'Afrique
(4) Il regrettait de ne pas les avoir vendus
29 francs. (5) vent de sable très chaud qui
souffle du désert et brûle le visage retour
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Jusqu'ici, j'ai encore pas trop souffert, mais les plus grandes
étapes ne sont pas faites.