ugène PERRUSSOT

nstituteur à Marmagne (1901-1902)

"Adieu l'Emile, je t'aimais bien !"

par Michel Guironnet - août 2006

 

Marmagne se situe dans la cible bleue. http://www.viamichelin.com/

 

 

ettre du maire de Marmagne - 9 mars 1902

Commune de Marmagne (Saône et Loire)
Canton de Montcenis
Arrondissement d'Autun

Marmagne, le 9 mars 1902

Monsieur le Recteur,

J'ai l'honneur d'être auprès de vous l'interprète des pères de famille dont les noms sont apposés à la pétition ci-jointe pour vous signaler l'attitude de Monsieur Perrussot actuellement Instituteur à l'école du hameau de la Chaume, commune de Marmagne, Saône et Loire.

Veuillez croire, Monsieur le recteur, que c'est avec regret que je me fais l'écho de ces protestations, mais devant l'insistance particulière de Messieurs Lacour-Guénin, conseiller municipal, et Guénard, sabotier, et d'après les faits dont je me suis rendu compte par moi-même, j'ai cru qu'il était de mon devoir de vous mettre au courant de la conduite de cet Instituteur.

Tout d'abord, Monsieur Perrussot signala ses opinions anti-républicaines en enlevant le portrait de Monsieur Loubet, notre vénéré Président de la République, qui se trouvait dans la classe à son arrivée.

 

 

Ensuite, le 14 juillet dernier, on le vit célébrer la Fête Nationale d'une façon indigne d'un républicain, on le vit décrocher les articles d'illuminations à coups de bâton et, les jours suivants, son fils, un enfant de cinq ans, traîner les drapeaux dans la rue, de sorte que le garde-champêtre, outré de voir ainsi prostitué l'emblème de la Patrie, emporta deux de ces drapeaux chez lui où ils sont encore actuellement. L'on trouva même, plus tard, un autre drapeau pourri derrière l'école.

Ces jours derniers, après l'anniversaire de Victor Hugo, les trois couleurs furent encore traitées de la même façon, et le 5 mars dernier j'ai pu voir de mes yeux un drapeau accroché après le bûcher de Monsieur Perrussot.

Le Conseil Municipal de la Commune étant républicain, l'Instituteur en question ne pouvait manquer non plus, avec l'esprit qui l'anime, de montrer dans quelle estime il tenait les Conseillers. C'est ainsi qu'au mois de novembre dernier, comme le garde-champêtre distribuait les lettres de convocation de chaque Conseiller aux fils de ceux-ci, dans la cour de l'école, Monsieur Perrussot, interpellant les enfants porteurs de ces lettres leur dit : "Vous êtes bien riches avec vos Conseillers de m…"

Tout dernièrement encore, dans le courant de février, au cours d'une réprimande faite au fils de Monsieur Lacour-Guénin, il disait qu'il se f… des Conseillers et du Maire.

Je pourrais, Monsieur le Recteur, vous citer plusieurs autres faits analogues, montrant l'état d'esprit de ce fonctionnaire dont la place est plutôt dans un établissement congréganiste que dans une Ecole laïque. Mais je préfère que vous recueilliez vous-même les renseignements relatifs à cette affaire, par une enquête sérieuse que je vous prie respectueusement de vouloir bien ordonner, étant en cela l'interprète de tous les Républicains des hameaux de la Croix-Blanchot et de la Chaume qui demandent instamment qu'une pareille conduite ait les suites qu'elle comporte.

Dans cet espoir, veuillez agréer, Monsieur le Recteur, l'expression de mes sentiments profondément dévoués.

E. Bidault, Maire de Marmagne
à Monsieur le Recteur d'Académie de Lyon

 

 

 

18 février 1899
mile Loubet, président du Sénat, est élu Président de la République


Né à Marsanne, dans la Drôme, le 31 décembre 1838, Emile Loubet étudie le droit, obtient son doctorat et s'inscrit au barreau de Montélimar, dont il devient maire et conseiller général.

Républicain modéré, il est élu député de la Drôme le 20 février 1876. Il siège à gauche et fait partie des 363. Il demeure député jusqu'en janvier 1885, date à laquelle il est élu sénateur de la Drôme.

A la Chambre Haute, il s'inscrit au groupe de la gauche républicaine. Elu secrétaire en janvier 1887, il est rapporteur général du budget, à la commission des finances, lorsque, dans le premier ministère constitué après l'élection du président de la République Sadi Carnot, dans le cabinet de Pierre Tirard, il est chargé du portefeuille des Travaux Publics. De retour au Palais du Luxembourg en avril 1888, il est appelé par le président Carnot à la présidence du Conseil, responsabilité qu'il exerce de février à novembre 1892. Ministre de l'intérieur dans le cabinet Ribot, l'affaire du Panama conduit à son remplacement le 1er janvier 1893. Emile Loubet reprend son siège au Sénat et redevient président de la commission des finances.

 

 

Le 1er janvier 1896, après la démission de Challemel-Lacour, il est brillamment élu président du Sénat, poste dans lequel il est confirmé juqu'en 1899. Le 17 février 1899, il annonce à la Chambre Haute la mort foudroyante du président de la République, Félix Faure. Les groupes républicains s'entendent le jour même pour proposer sa candidature à la présidence de la République.
Le samedi 18 février 1899, les deux chambres, réunies en Assemblée nationale à Versailles, élisent Emile Loubet président de la République, par 483 voix contre 279 à Jules Méline.

Les journaux de l'époque indiquent que le nouveau président élu "dont la vieille mère, âgée de 84 ans, habite la métairie familiale de Marsanne, dans la Drôme, a épousé Mademoiselle Picard, fille d'un commerçant de Montélimar, dont il a eu une fille et trois fils."

Le 18 février 1906 Emile Loubet, premier président de la République à accomplir un septennat complet, transmet ses pouvoirs à Armand Fallières.

source : http://www.senat.fr/evenement/archives/loubet.html

 

 

 

étition des habitants de Marmagne en faveur de M. Perrussot

Nous soussignés, habitant le hameau de la Croix-Blanchot, Commune de Marmagne, protestons contre les manœuvres politiques de certaines personnes qui ont fait circuler une pétition en vue d'obtenir le renvoi ou le déplacement de notre honorable instituteur.

Il nous serait facile de réfuter les arguments employés contre ce maître intègre qui ne connaît que son devoir, mais à la lecture seule de ce document on sent percer la haine de cette coterie ; on accuse notre instituteur d'être anti-patriote, de n'être pas républicain, etc.

Pour nous, nous savons que notre instituteur a fait son devoir militaire et est tout dévoué à la patrie. Quant à être républicain, notre instituteur l'est certainement autant, si ce n'est plus, que ces braillards mais nous ne pensons pas que pour cela il soit utile de le crier sur tous les toits.

N'ayant aucun reproche à adresser à notre instituteur, nous prions donc Monsieur l'inspecteur de vouloir bien nous le conserver et d'annuler cette pétition dictée par la haine, car parmi les signataires il y a des célibataires et des hommes sans enfants qui n'ont ni raisons ni griefs à faire valoir.

(suivent les signatures des auteurs de la lettre, que voici)

 


 

 

a défense de M. Perrussot - 22 mars 1902

Le Chaume, le 22 mars 1902

A Monsieur l'Inspecteur primaire,

Monsieur l'Inspecteur,

C'est en proie à la plus vive émotion que j'ai l'honneur de venir vous rendre compte des faits qui me sont reprochés.

Mon cœur est ému, monsieur l'Inspecteur, mais ma conscience est tranquille, car j'affirme que si une partie de la population paraît animée contre moi, cette animation a été toute entière créée par quelques personnes qui ont dit aux gens : "L'instituteur est un réactionnaire !"

Tout dernièrement encore, je pouvais me flatter de n'avoir, à côté de beaucoup d'amis, que des indifférents.

Je n'ai rien fait pour mériter d'être appelé réactionnaire. Ce bruit a couru tout à coup parce que certaines personnes ont appris que mon beau-frère était curé. A La Chaume, Monsieur l'Inspecteur, nous sommes près du Creusot : beaucoup de personnes travaillent à l'usine et ces personnes sont groupées en deux partis ennemis. Mon beau-frère étant curé, moi-même ayant commis la hardiesse de ne faire aucune différence entre les "jaunes" et "les rouges", on a dit que j'étais un réactionnaire.

 

le beau-frère d'Eugène, frère de Sylvie, prêtre qui plus tard tombera de son clocher

 

la vie de Charles Jacquard, prêtre et curé

 

J'ai cru que mon devoir était d'entretenir de bonnes relations avec toutes les personnes honnêtes, avec les parents des élèves, pourvu que ces personnes soient convenables.

Je n'ai rien fait qui soit de nature à mériter le titre de "clérical". Je ne vais pas à la messe, on ne dit point de prières dans l'école. Mon enseignement est celui d'un bon éducateur. Je ne parle jamais aux enfants de ce qui divise, mais de ce qui doit rapprocher les Français. Je leur parle toujours avec le plus profond respect et, vous n'en doutez pas, Monsieur l'Inspecteur, de la Patrie, de l'Armée, et du drapeau et de la République.

Mais pourquoi suis-je obligé de me disculper de n'être pas patriote ? Pour un homme qui a perdu tout ce qu'il avait de plus cher au service de la Patrie, n'est-ce pas un supplice épouvantable que d'être obligé de venir prouver qu'il est patriote ? Mon père, Monsieur l'Inspecteur, est mort au service, à 58 jours de sa retraite, mon pauvre frère, sous-officier d'infanterie de Marine, est mort dans les colonies, loin des siens à 23 ans !

Moi-même j'ai accompli mon service militaire et, comme beaucoup d'autres instituteurs, j'ai été nommé officier de réserve.

Si j'ai enlevé le portrait de Monsieur Loubet, notre vénéré Président de la République, c'est que cette gravure était en mauvais état. Quand je suis arrivé à la Chaume, j'avais enlevé des murs tout ce qui y était placé, pour organiser la classe à ma façon. L'idée ne m'est pas même venue de replacer le portrait de M. Loubet qui me paraissait trop détérioré. Evidemment, il est bon que le portrait du chef de l'Etat soit placé devant les yeux des enfants, mais, je le répète, cette image tout abîmée ne me paraissait pas digne d'une école. J'aurais dû, il est vrai, en placer une autre. Malheureusement, je n'en avais point. Mais j'affirme de la façon la plus solennelle n'avoir enlevé le portrait que pour cette seule et unique raison : parce qu'il était trop détérioré. Et encore je ne l'ai enlevé que parce que j'avais procédé à l'organisation de l'école.

J'ose espérer, Monsieur l'Inspecteur, que vous ne doutez pas de ma parole qui est celle d'un honnête homme. Je serais désespéré si vous doutiez de mon innocence, car je vénère notre Président comme tout bon Français doit le faire, et je suis aussi bon républicain que n'importe lequel de mes accusateurs.

Il y a deux manières d'être républicain :

1° Faire des phrases, se dire partisan de l'enseignement laïque pour pouvoir nuire à l'instituteur, et en même temps le loger dans un " taudis " infect, et placer ce maître sous la surveillance du garde et du cantonnier, etc.

2° Etre le ferme soutien de l'instituteur en le défendant contre les détracteurs, en le soutenant contre l'ignorance, et en le logeant comme on doit loger un éducateur du peuple.

 

Environs du Creusot - Marmagne

 

Le Creusot - route de Marmagne

 

Les signataires de la plainte articulent encore que j'ai décroché les illuminations à coups de bâton (15 juillet).

Le 15 juillet, au matin il pleuvait. Sans attendre les voisins, qui d'ailleurs étaient absents, je me suis dépêché d'enlever à la main les lanternes que j'ai pu avoir en montant sur les fenêtres de l'école et du logement, sur l'escalier de la 1e classe, etc. Quelques lanternes, peut-être 2 ou 3, ont ensuite été descendues à l'aide d'un drapeau en secouant le fil de fer. Toutes les lanternes qu'on m'a données, je les ai conservées, sauf une ou deux qui ont été brûlées. Si je n'ai pas employé d'échelle, c'est que l'école n'en possédait, à cette époque, qu'une seule qui était trop lourde, une échelle de meunier.

Comment aurais-je osé, en plein jour, frapper les illuminations ! Les malfaiteurs le font la nuit, et moi j'aurais commis cette action en plein jour.

Voilà ce qu'on est allé dire aux gens des quartiers éloignés de l'école - Pt d'Ajoux et Maison Loye, et voilà pourquoi les gens ont signé leur plainte.

Qu'ai-je fait à M. Guénard ? J'ai ses deux enfants dans ma classe, deux enfants que j'aimais comme les miens. Je ne le connais pas, car je ne l'ai jamais vu passer devant l'école. Je connaissais sa femme qui avait l'air contente des progrès de ses enfants. Pour que ces gens là deviennent du jour au lendemain mes détracteurs, il a fallu qu'on aille leur dire des choses impossibles sur mon compte.

La pétition faite contre moi est signée par douze pères de famille qui ont cru, naïvement pour la plupart, que j'étais un grand coupable. Les autres ont signé parce que, la pétition étant officielle, ils avaient peur de se mettre mal avec l'administration communale. Quant à ceux qui n'ont point d'enfants et que je ne connais pas pour le plus grand nombre, il a suffi qu'on leur dise que j'étais un clérical, un réactionnaire, pour qu'ils signent.

La contre-pétition est signée par treize pères de famille. Et 6 pères de famille n'ont pas osé la signer, ayant eu peur de représailles. L'un d'eux, M. Genevois, conseiller municipal, m'est tout dévoué. Son fils est, d'ailleurs, mon meilleur élève.

Le fils de l'instituteur, disent encore les plaignants, traînait le drapeau dans la boue, le jour du 14 juillet. Mon fils, en effet, a joué, à deux reprises différentes, au soldat, avec un petit voisin : il a joué au soldat le jour du 14 juillet et pour l'anniversaire de V. Hugo.

Mais où ont-ils vu, les signataires, qu'un enfant de cinq ans traînait le drapeau dans la boue ?

Les drapeaux de la Commune, au nombre de dix, sont rangés soit en classe, soit au grenier de l'école, ainsi que les lanternes qu'on me reproche d'avoir détruites.

 

 

Je vous ai montré, Monsieur l'Inspecteur, deux ou trois débris de drapeaux qui étaient dans le bûcher. Ces drapeaux, hors d'usage, sans hampe, réduits à deux ou à une seule couleur, sont des rebuts. Mon fils, pendant les vacances, quand on a réparé le bûcher, a-t-il joué avec ces morceaux d'étoffe ? S'il l'a fait, et je ne m'en souviens plus, je n'y ai prêté aucune attention. Ce sont ces morceaux de drapeaux, sans doute, qui ont été ramassés par le garde.

Lorsque le garde portait les convocations des conseillers aux fils de ceux-ci, l'instituteur aurait dit : " Vous êtes bien riches avec vos conseillers de m… "

Infamie que je laisse au compte de ses auteurs. Je n'ai rien prononcé de semblable.

Quant à l'histoire de l'enfant à qui j'aurais dit :" Je me f… du Maire et du Conseiller", elle a été inventée à plaisir, comme la précédente.

L'enfant, je l'affirme, venait en retard chaque jour. Ce manège a duré des mois entiers. Les réprimandes n'y faisant rien, j'ai employé une punition : le verbe " arriver en retard " à faire à la maison. Le père m'a fait dire par sa fille qu'il irait trouver M. le Maire. J'ai donc dit à l'enfant : " M. le Maire va rire de tout cela" et je n'y ai attaché aucune importance, pensant bien que M. le Maire soutiendrait, le cas échéant, l'instituteur. Les enfants prétendent que l'enfant arrivait à l'heure. Vous voyez, Monsieur l'Inspecteur, la bonne foi de mes détracteurs, car si j'affirme que l'enfant venait chaque jour à 8 h et demi, à 9 h moins le quart, je pense que vous voudrez bien me croire.

J'ai fini, Monsieur l'Inspecteur, de me défendre. Tout a été dénaturé, grossi, envenimé, inventé même. Il a suffi qu'on me dise réactionnaire, clérical, pour qu'une pétition ait trouvé, chez quelques habitants, la faveur de leur signature.

Il est inutile que je vous dépeigne ma triste situation : je ne mange plus, je ne dors plus, je n'ai plus un moment de tranquillité ; je suis accablé par tout ce qui se passe autour de moi, par l'œuvre de deux ou trois ténébreux personnages qui sont allés exciter la population contre moi.

Je compte sur votre impartialité bien connue des instituteurs pour me laver des faits qui me sont reprochés. J'ai confiance dans l'issue de l'enquête que vous avez été appelé à faire sur mon compte.

Daignez agréer, Monsieur l'Inspecteur, l'hommage de mon respectueux dévouement.

L'instituteur de La Chaume
E. Perrussot

 

 

'enquête de l'Inspecteur d'Académie - 28 mars 1902

Académie de Lyon
Département de Saône et Loire
Inspection primaire d'Autun

Autun, le 25 mars 1902

Monsieur l'Inspecteur,

J'ai l'honneur de vous adresser les résultats de mon enquête sur M. Perrussot, instituteur à La Chaume, commune de Marmagne.

J'ai fait mon enquête samedi 22 mars ; je n'ai pas pu vous envoyer mon rapport plus tôt parce que M. Perrussot m'a fait attendre ses explications écrites, que vous trouverez ci-jointes, et que j'ai été fort occupé pendant tout le mois de mars.

J'ai interrogé un très grand nombre de personnes : les principaux accusateurs, la plupart des Conseillers municipaux de Marmagne résidant à La Chaume ; j'ai interrogé aussi M. Nectoux, ancien maire et délégué cantonal, le nouveau maire M. Bidault, qui s'est fait l'écho des mécontents de La Chaume.

Vous trouverez toutes ces dépositions jointes au dossier ; vous y trouverez aussi une seconde pétition qui m'a été adressée directement il y a une quinzaine de jours et protestant contre la première. Elle porte une trentaine de signatures, la première en a une vingtaine.

De l'examen des pétitions, des déclarations verbales ou écrites que j'ai reçues, des explications qui ont toute l'apparence de la sincérité de M. Perrussot, il résulte que les faits ont été considérablement exagérés et présentés sous un jour faux.

A St Emiland où il est resté douze ans, M. Perrussot était considéré comme un bon républicain ; il était l'ami des meilleurs républicains et en particulier de M. Villeret, père de Mlle Villeret directrice de l'école Lapeyre à Mâcon. Mme Perrussot a vaillamment soutenu la concurrence contre l'école de filles congréganiste : elle a pris l'école publique avec une douzaine d'élèves, elle l'a laissée avec 38.

Malheureusement, en arrivant à La Chaume, M. Perrussot a manifesté tout de suite l'intention de n'y point rester. Il s'est plaint vivement et de l'étroitesse et de l'insalubrité du logement - vous savez, Monsieur l'Inspecteur, qu'il n'a pas tort - et il a demandé des réparations, la construction d'un groupe scolaire. Peut-être a-t-il mis un peu d'âpreté dans ses réclamations. Il est peu sorti, a rarement vu les parents. "Il prétend qu'il est dans un pays de sauvages" me disait un des plaignants.

Bref, il a froissé certaines susceptibilités locales et n'a pas su se rendre sympathique à une partie de la population.

Mais c'est un maître sérieux, ponctuel, s'acquittant de ses fonctions avec dévouement et obtenant des résultats.

Examinons les plaintes dont il est l'objet :

 

 

1° Tout d'abord, on l'accuse d'avoir fait disparaître de l'école le portrait de M. Loubet et d'avoir fait ainsi une grave injure au vénéré Président de la République. J'ose dire que c'est là une abominable calomnie. En arrivant à La Chaume, M. Perrussot nettoya sa classe à fond et en enleva des cartes, des tableaux et en particulier le portrait de M. Loubet, parce qu'ils étaient malpropres et en mauvais état. Il était aidé dans son travail par un de ses élèves qui emporta chez lui le portrait avec d'autres objets ; c'est là que M. Lacour Antonin l'a vu, et c'est de lui que vient l'accusation. Je joins le portrait au dossier, afin que vous puissiez juger de son état. M. Perrussot était loin de se douter qu'on pourrait donner une pareille interprétation à un simple acte de bon ordre et de propreté et il en est justement indigné (voir sa lettre)

2° On accuse M. Perrussot d'avoir laissé son fils âgé de 5 ans, traîner dans la boue le drapeau tricolore. M. Perrussot reconnaît, et il résulte des dépositions entendues, qu'au 14 juillet, pendant plusieurs jours, et le 21 février dernier, son enfant s'est en effet promené devant l'école avec un drapeau. Son petit camarade, le jeune Regnault, 5 ans, m'a dit :"On jouait au conscrit". Le jeune Perrussot a d'ailleurs un drapeau qui lui appartient. Néanmoins il a dû en promener d'autres, car j'en ai vu trois chez le garde-champêtre, dont un avec une hampe, en assez bon état ; les autres n'étaient que des loques. M. Perrussot dit :" Les prétendus drapeaux étaient de vieux débris que l'enfant prenait dans le bûcher." Tous n'étaient pas de vieux débris.

Evidemment, M. Perrussot n'a pas voulu, comme on l'en accuse, insulter le drapeau tricolore ; il est fils et frère de soldats, il est officier de l'armée territoriale et profondément patriote. Mais il y a eu de sa part manque de surveillance et négligence regrettable : je l'en ai blâmé.

3° Je ne crois pas devoir retenir l'accusation d'avoir décroché avec un bâton les lanternes qui servaient à l'illumination de l'école le 14 juillet ; les explications de M. Perrussot me paraissent suffisantes.

4° On se plaint enfin que M. Perrussot aurait dit, en parlant des Conseillers Municipaux et du Maire : "Vous êtes bien riches avec vos Conseillers de m…" et une autre fois : "Je me f… des Conseillers et du Maire". Je vous prie, Monsieur l'Inspecteur, de lire les dépositions à cet égard. Aucun plaignant, pas plus le garde-champêtre que les autres, n'a entendu ces paroles. Elles auraient été dites en classe et rapportées par les enfants. J'ai interrogé plusieurs élèves, la plupart ne savent rien, n'ont rien entendu ; deux exceptions. L'une, la jeune Guénard, fille d'un des principaux plaignants, bonne élève : "J'ai entendu M. Perrussot dire : Je me f… des Conseillers et du Maire". L'autre, le jeune Jean Lacour, mauvais élève à l'occasion duquel le mot aurait été prononcé, me dit :" Je ne sais rien, mon papa vous parlera". Ce père que je vois plus tard : " Voyons, Jean, c'est bien comme ça que tu m'as dit ". Et alors l'enfant assure avoir entendu les deux phrases incriminées. "C'est en classe que M. Perrussot a parlé ainsi ? " demandé-je. " Non, non?, c'est devant Mme Lacagne et son garçon, qui me l'ont répété. " Le temps m'a malheureusement fait défaut pour voir Mme Lacagne. M. Perrussot affirme n'être jamais allé chez elle.

L'explication de l'instituteur me paraît la seule vraisemblable (voir sa lettre). Les fameuses injures sont dues à l'imagination malveillante d'un mauvais élève, à qui ses parents accordent une créance qu'il ne mérite guère.

Malheureusement, quand M. Perrussot connut la pétition qu'on colportait contre lui, il ne sut pas maîtriser sa colère et il dit en classe que ceux qui avaient fait cette pétition étaient des fripouilles et des salauds, mots peu dignes d'un éducateur. L'aveu de M. Perrussot, sa franchise, prouvent suffisamment qu'il n'a pas prononcé les injures qu'on lui prête contre les Conseillers et le Maire.

Que reste-t-il des accusations portées contre l'Instituteur de La Chaume ? Rien de sérieux, vraiment.

M. Perrussot a le plus profond respect pour le Président de la République. Il est républicain, sincèrement républicain. Se pourrait-il qu'un instituteur laïque ne le fut point ? Il est patriote, il aime le drapeau tricolore sous lequel sont couchés son père et son frère. Il n'a pas prononcé de paroles insultantes à l'adresse des Conseillers municipaux et du Maire de Marmagne.

Que peut-on lui reprocher ? un manque de surveillance, quelques imprudences de langage, légitimées par le mauvais état et l'insuffisance de son logement. Des paroles trop vives prononcées sous l'influence d'une juste indignation.

J'estime donc, Monsieur l'Inspecteur, que M. Perrussot ne mérite pas d'autre blâme que celui que je lui ai adressé. Mais la scission qui s'est produite à La Chaume à l'occasion de la plainte dont il est l'objet rend sa situation très difficile. Il demande son changement depuis longtemps. Je vous prie instamment, Monsieur l'Inspecteur, de vouloir bien le nommer à Marnay, avec Mme Perrussot comme adjointe, suivant ma proposition des 17 et 27 mars.

Veuillez agréer, Monsieur l'Inspecteur, l'hommage de mon respectueux dévouement.

(suit la signature de l'inspecteur d'académie)

 

 

nfance à Toulon et arrivée en Saône et Loire (1869-1885)
remières années dans la carrière d'instituteur (1885-1888)
nstituteur à Saint Emiland (1888-1901)
nstituteur à Marmagne (1901-1902)
nstituteur à Saint Léger avant la guerre de 14-18 (1902-1914)
oilu au front (1914-1919)
ernières années à Saint Léger puis à Saint Clément lès Mâcon, retraite et décès à Flacé
(1919-1930)

 

Michel Guironnet - août 2006

 

 

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