Saint Léger - 2 octobre

LES VIES DES SAINTS
composées sur ce qui nous reste de plus authentique et de plus assuré dans leur histoire,
disposées selon l'ordre des calendriers et des martyrologes,
avec l'histoire de leur culte, selon qu'il est établi dans l'église catholique

A PARIS
Chez la veuve ROULLAND, rue Saint Jacques, vis à vis Saint Yves
MDCCXXIV
(1724)
Avec approbation et privilège du Roy

 

Saint LEGER fut fait évêque d'Autun en l'an 659, après une vacance du siège de deux ans entiers qui avaient suivi la mort de l'évêque Ferréol, et qui avaient été remplis de meurtres et de troubles par les factions des deux concurrents qui briguaient cette place.

Saint LEGER que l'on appelait autrefois LEUGAR, LUTGER et que l'on nomme encore en certains endroits St LIGUAIRE ou St LEGUIER tirait son origine de la première noblesse des François, qui était venue avec nos rois s'établir dans les Gaules. Il vint au monde vers l'an 616 et ses parents le présentèrent encore enfant au roi Clotaire II à la cour duquel ils vivaient.

Ce prince, apprenant que sa mère Sigrade avait un frère nommé Didon qui avait été fait nouvellement évêque de Poitiers, fit remettre l'enfant entre ses mains pour l'élever dans les lettres et les devoirs de la religion. Le prélat donna pour précepteur à son neveu un prêtre très savant et fort vertueux qui s'acquitta parfaitement de son emploi. Il le prit ensuite auprès de lui pour veiller sur ses mœurs et ses actions, et comme il souhaitait fort de l'avoir pour successeur, il lui recommanda avec grand soin de fuir le vice et surtout de se conserver chaste du corps et de l'esprit. Ses instructions firent tout l'effet qu'il en pouvait espérer ; il eut la satisfaction de voir son neveu avancer chaque jour dans la vertu et il ne fit point difficulté de l'ordonner diacre à l'âge de 20 ans.

LEGER continua ses études avec beaucoup de succès et il se rendit très habile dans les lettres saintes, dans les sacrés canons et dans les lois civiles. Il était d'ailleurs plein d'esprit, agréable et fort sage, parlait facilement et avec beaucoup de grâce : de sorte qu'ayant été fait archidiacre de l'église de Poitiers par son oncle, il eut tout lieu de faire valoir tant ses beaux talents dans cet emploi pour l'utilité des fidèles. Il remplit tous les devoirs de cet office avec une capacité qui le rendait fort supérieur à ceux qui l'avaient exercé avant lui. Son zèle était accompagné de beaucoup de lumière et, quelque facilité qu'il eut pour toutes sortes d'affaires, il ne laissait pas de donner toute son application aux moindres choses. Il joignait beaucoup de vigueur à une grande sagesse et il reprenait les pécheurs d'autant plus librement qu'il était lui-même irrépréhensible dans sa conduite. Il instruisait les ignorants, consolait les affligés, ramenait doucement à leur devoir ceux qui s'en étaient écartés par leurs vices ou par leurs erreurs, de sorte qu'en peu de temps l'on vit tout le diocèse de Poitiers parfaitement bien réglé.

L'abbé de Saint Maixent en Poitou étant mort, l'évêque Didon lui confia la conduite de ce monastère et il s'en acquitta pendant six ans d'une manière qui fut doublement avantageuse à cette maison car il travailla avec grand succès, non seulement à y maintenir la discipline dans toute sa régularité, mais à en accroître encore les revenus.

Son mérite lui avait acquis l'estime générale de toute la province et on le regardait comme une personne capable des plus grands emplois. Sa réputation se répandit jusqu'à la cour du jeune roi Clotaire III qui régnait depuis un an sous la tutelle et la régence de Sainte Batilde sa mère. Ils résolurent de le faire venir près d'eux et mandèrent à l'évêque son oncle de le leur envoyer. Sa présence confirma bientôt l'opinion qu'on leur en avait donnée. Toute la cour admira sa vertu, son esprit, sa sagesse et l'on ne parlait plus que d'un emploi qui put convenir à son mérite.

 

 Sanctus Leodegarius
monnaie des princes-abbés de Murbach et Lure
minorité de Léopold Guillaume d'Autriche (1626-1632)

 

Peu de temps après, il arriva un grand scandale à Autun en Bourgogne par l'ambition de deux ecclésiastiques qui aspiraient au siège de l'église de cette ville, vacant par la mort de l'évêque Ferréol. Le schisme dura deux ans entiers pendant lesquels il se commit divers meurtres et beaucoup de désordres, auxquels ni la mort même de l'un des prétendants ni le bannissement de l'autre n'avaient pu remédier. La reine Batilde crut avoir enfin trouvé le moyen d'apaiser ces troubles en choisissant LEGER pour évêque d'Autun.

Les prélats et les seigneurs de la cour, le clergé et le peuple de la ville qui manquait de pasteur, chacun fut content de cette élection et une conspiration si générale obligea LEGER à consentir à son ordination. Il fut reçu à Autun comme un homme envoyé de dieu, par ceux qui gémissaient dans l'oppression où les factieux tenaient cette église. Il la consola bientôt des maux qu'elle avait soufferts et y rétablit le bon ordre et la paix, après avoir remis les esprits par sa prudence et sa douceur. Il donna tous ses soins aux fonctions de sa charge, il pourvut à la subsistance des pauvres, il répara et embellit les églises, il corrigea divers désordres qui s'étaient glissé parmi les mœurs de son peuple, il réforma son clergé, il rétablit la discipline ecclésiastique suivant la disposition des saints canons, il augmenta le culte divin et surtout il travailla par ses fréquentes prédications à nourrir continuellement son peuple de la parole de dieu.

Il s'appliqua aussi beaucoup à maintenir la régularité dans les maisons religieuses et il tint un concile dans son église, dont les règlements regardaient presque tous l'observance monastique. Ce fut vers la septième année de son pontificat qu'il convoqua cette assemblée. Elle était composée de 54 évêques qui tinrent leurs conférences en un lieu nommé Christiac, mais ce fut dans l'église d'Autun qu'ils dressèrent leurs canons.

 

Côté face d'une pièce de monnaie lucernoise à l'effigie du martyre de Saint Leodegard (1518)

 

Un an auparavant, Saint Batilde s'était retirée de la cour pour se consacrer au service de dieu dans le monastère de Chelles, et Clotaire son fils aîné, qui régnait dans la Neustrie et la Bourgogne, gouvernait l'état par lui-même, assisté de ses ministres dont le principal était Ebroïn, maire du palais. Cet homme avait quelque habileté et ne manquait pas de génie pour les affaires, mais il était avare, soupçonneux, violent et vindicatif. Ceux qui l'approchaient avaient la plupart une complaisance pour lui qui allait souvent jusqu'à la flatterie. LEGER, élevé au dessus de ce mauvais exemple, ne se croyait pas obligé de ménager la bienveillance et les faveurs de ce ministre par des présents ou par des bassesses, comme les autres. Et il avait assez de fermeté pour ne pas se laisser ébranler par ses menaces, lorsque sa conscience ne lui permettait pas de suivre ses ordres. Ebroïn, s'apercevant aisément de cette conduite, ne put dissimuler qu'elle lui déplaisait. D'ailleurs, il n'aimait point l'évêque d'Autun et cette aversion semblait être mêlée de quelque jalousie parce qu'il était obligé de lui céder pour l'esprit et qu'il ne pouvait résister à la force de ses raisonnements et de son éloquence.

La mort de Clotaire III, qui ne laissa point d'enfant, causa dans l'état une division où LEGER se trouva plus ouvertement opposé à Ebroïn qu'il n'avait encore paru. Clotaire avait deux frères : Childéric II qui régnait déjà en Austrasie et Thierry qui n'avait que quinze ans. Ebroïn, songeant à maintenir sa domination, voulut faire mettre Thierry à la place de Clotaire. Mais les grands de Bourgogne et de Neustrie, fâchés de ce qu'il ne leur avait laissé prendre aucune part à cette élévation qui les regardait, et craignant d'ailleurs que ce ministre qui leur était devenu odieux par ses cruautés ne continuât à les maltraiter sous un roi sur lequel il aurait tout pouvoir, s'opposèrent à son dessein et mirent sur le trône Childéric qui, par ce moyen, réunit toute la monarchie sous sa puissance.

 

Cachet de la Ville de Lucerne (Suisse) - 1386
On distingue bien le personnage de droite crevant l'oeil de Leodegard (Léger).

 

Vulfoad fut fait maire du palais pour les trois royaumes, de sorte qu'Ebroïn se voyant ruiné de crédit, et appréhendant encore pis, demanda la permission à Childéric de se retirer dans un monastère. C'est ce qui lui fut accordé à la prière de quelques prélats et surtout LEGER qui s'opposa généreusement à ceux qui voulaient qu'on le fît mourir. Ebroïn fut enfermé dans l'abbaye de Luxueil où il prit l'habit de religieux, et comme LEGER, entre les grands du royaume de Bourgogne s'était déclaré des premiers pour Childéric, et qu'il avait de grand talents pour la conduite des affaires, il fut engagé par ce prince à prendre part au gouvernement de l'état, et se vit en très grande considération auprès de lui. On a cru même qu'il avait été fait maire du palais, mais outre ce que nous avons remarqué de Vulfoad, on peut douter qu'étant évêque il ait pu se résoudre à prendre une charge purement séculière. On ne lui en a peut-être donné le titre que parce qu'il en eu presque toute l'autorité. LEGER fit un bon usage du crédit que lui donnait le ministère, n'ayant en vue que la justice et le bien public. Il travailla fortement à remédier à plusieurs désordres qui s'étaient introduits au préjudice des ordonnances des rois. Il fit rétablir l'ancienne police et soulager les peuples qui n'avaient pas été moins maltraités que la noblesse sous Clotaire III, depuis que Sainte Batilde s'était retirée du gouvernement. Il fit prescrire des bornes aux gouverneurs de provinces, de peur qu'à l'exemple d'Ebroïn, ils en devinssent les tyrans. Enfin, il mit les affaires en si bon état qu'on s'estimait heureux par toute la France d'avoir Chilpéric comme roi et LEGER pour le principal ministre de la couronne. Mais ce zèle qui le faisait travailler au bien de l'état avec tant de succès lui attira des ennemis qui, portant envie à son autorité, entreprirent de le noircir dans l'esprit du roi et de le perdre.

Ils en trouvèrent l'occasion sur la fin du carême de l'an 673 lorsque le roi vint à Autun à la prière du saint évêque pour y célébrer avec lui la fête de Pâque. Le cour y était nombreuse : le patrice Hector, gouverneur de Marseille, s'y rendit pour un procès qu'il avait contre l'évêque de Clermont, touchant quelques terres données par une dame à un hôpital. LEGER, sans savoir peut-être qu'Hector était accusé d'avoir enlevé la fille de la dame avec ses biens, ou sans entrer dans la discussion de son affaire, logea cet homme dans sa maison. Ses ennemis publièrent aussitôt qu'il avait reçu Hector chez lui pour former une conspiration contre le roi et ils engagèrent dans leur parti le maire du palais Vulfoad et un méchant ermite nommé Marcolme, qui avait sa cellule près du monastère de Saint Symphorien et qui, par ses charlataneries et ses flatteries, se mit alors en réputation d'être prophète. Ce misérable reclus appuya cette calomnie d'un ton imposteur dont il avait coutume de débiter ses faux oracles.

 

 

 

 

 

 

 

 

Eglise de St Léger les Authie (Somme)

Saint Léger acceptant le calice du martyre

 

 

 

Et le roi Childéric crut d'autant plus facilement ce qu'on lui disait du saint évêque que l'accusation se trouvait attestée par plusieurs personnes et qu'il commençait d'ailleurs à se lasser des généreuses remontrances qu'il lui faisait sur les défauts de sa conduite, par le zèle qu'il avait pour son salut. Ce prince, que les suggestions des flatteurs et des mauvais conseillers avaient déjà gâté, ne fut point fâché de trouver un prétexte de se délivrer d'un tel censeur et il résolut d'en venir aux dernières extrémités avant que de sortir de la ville d'Autun. Le jeudi saint, l'évêque fut averti par un moine nommé Bercaire que l'on formait des desseins sur sa vie. Il ne s'en effraya point, quoique l'avis ne fût point sans fondement. Le lendemain, il alla trouver le roi dans sa résolution de souffrir la mort pour la justice, en un jour où les fidèles renouvelaient la mémoire de celle que Jésus-Christ a soufferte pour le salut des hommes. Dieu ne suivit point alors ses intentions, parce que, comme le remarque l'historien le plus ancien et le plus fidèle de sa vie, il le réservait à de longues souffrances qui devaient servir à le purifier des fautes qu'il pouvait avoir commises dans le commerce du monde.

Le lendemain qui était la veille de Pâque, le roi alla consulter le reclus Marcolme qui l'affermit dans la créance de la calomnie que l'on avait inventée contre le Saint. La nuit étant venue, il alla entendre la première messe de Pâque qui fut célébrée par Saint Prix, non dans la cathédrale où officiait Saint LEGER, mais apparemment dans le monastère de Saint Symphorien. Après le sacrifice, le roi Childéric qui, suivant les avis du reclus hypocrite, n'avait point eu scrupules de faire la Pâque le cœur souillé des desseins criminels qu'il formait contre notre saint évêque, se transporta plein de vin à la cathédrale où tout le monde était encore à jeun. Il y cherchait LEGER, l'épée à la main, et il entra dans cet état dans le baptistère où on lui avait dit qu'il était occupé à conférer le baptême et la confirmation. Comme les vapeurs de son vin ne lui laissaient pas la tête entièrement libre, il fut aisément ébloui par l'éclat du luminaire dont le lieu était rempli et étourdi par l'odeur des parfums et du saint chrême, de sorte qu'encore que LEGER lui répondît lorsqu'il l'appela par son nom et qu'il passait même devant lui, il ne put ni l'entendre ni le reconnaître. Sa colère se ralentit un peu à la vue du religieux appareil des cérémonies et il sortit ainsi de l'église sans rien faire. LEGER continua ses fonctions et célébra la messe avec beaucoup de tranquillité. Après le service, les évêques qui l'avaient accompagné se retirèrent dans les lieux où ils avaient leur logement. Puis il alla se présenter devant le roi qu'il trouva toujours fort prévenu et dans de fâcheuses dispositions à son égard. Le témoignage que sa conscience lui rendait de son innocence l'empêchait de rien craindre pour lui-même, et dans l'état où il se voyait, il regardait la mort comme une chose qui lui serait avantageuse.

Mais il appréhendait que l'on ne profanât la sainteté du jour de Pâque par la violence que l'on pourrait exercer contre lui ou contre le comte Hector. Et cette considération les détermina l'un et l'autre à se retirer. Ils sortirent donc secrètement de la ville d'Autun, et dès que l'on se fut aperçu de leur évasion, on envoya des gens de guerre après eux. Hector fut pris et tué après avoir fait une assez longue défense. LEGER fut arrêté aussi mais, comme il ne fit point de résistance, on n'attenta rien contre lui. On le conduisit au monastère de Luxueil à la persuasion de quelques grands de la cour, en attendant qu'on délibérât au conseil du roi sur ce qu'on devait faire de lui. Les plus sages et les plus modérés conseillèrent à Childéric de le laisser dans ce monastère comme dans un lieu d'exil où il passerait le reste de ses jours.

 

 

 

 

 

 

 

 

Eglise de St Léger les Authie (Somme)

la décapitation de Saint Léger dans la forêt de Lucheux

 

 

 

Le roi, fortement sollicité par les ennemis du Saint qui voulaient qu'on le dépouillât honteusement de sa dignité et qu'on le fît mourir, avait déjà donné des ordres conformes à ces cruelles résolutions, lorsqu'Ermenaire, abbé de Saint Symphorien à qui il avait commis le soin de l'évêché d'Autun en l'absence de l'évêque, s'étant jeté à ses pieds, obtint par ses larmes qu'on le laisserait en paix dans le cloître de Luxueil. LEGER y trouva le fameux Ebroïn qui, sous l'habit religieux, n'avait rien moins que l'esprit de religion. Il le pria d'oublier le passé pour vivre ensemble à l'avenir dans une grande union. Ils se firent réciproquement des protestations d'amitié, mais ce ne fut qu'une feinte du côté d'Ebroïn, et il le fit assez connaître après la mort du roi Childéric, qui fut tué à son retour de Bourgogne dans un bois près de Chelles par un gentilhomme nommé Bodilon qu'il avait fait attacher à un pieu et fouetter, contre la disposition des lois.

Cependant les deux officiers, à qui le roi avait donné commission d'abord d'aller retirer Saint LEGER de Luxueil pour le dégrader et le faire mourir ensuite, le retirèrent en effet, mais pour le rétablir sur son siège, quoiqu'ils ne sussent encore rien du changement arrivé à la situation des affaires de l'état. Un de leurs gens qui avait résolu de l'assassiner au sortir du cloître, touché de vénération pour lui, en conçut un si grand repentir lorsqu'il se vit en état de faire son coup, qu'il se jeta à ses pieds et lui demanda humblement pardon.

La nouvelle de la mort du roi venue presque en même temps fit aussi sortir Ebroïn de Luxueil et, ne se souvenant plus qu'il était réconcilié avec LEGER, il forma le dessein de se saisir de lui sur les chemins. Il en fut détourné par Saint Genès, évêque de Lyon et les menaces de quelques gentilshommes de la compagnie de ce prélat le portèrent à dissimuler encore, de sorte que, feignant de nouveau de vouloir être l'ami de LEGER, ils arrivèrent ensemble à Autun où l'on fit une entrée magnifique à l'évêque. Ebroïn en sortit dès le matin, jeta son froc, alla reprendre sa femme Leutrude qui s'était voilée dans Notre Dame de Soissons, alors qu'il s'était fait religieux à Luxueil. Cherchant à profiter des troubles de l'état pour se rétablir, il ne songea plus qu'aux moyens de perdre l'évêque d'Autun qu'il regardait comme le premier de ses ennemis et le principal obstacle à sa fortune.

Thierry III, frère des deux derniers rois, âgé pour lors de 20 ans, était sorti du cloître de Saint Denis où Childéric l'avait fait tondre et enfermer, et s'était fait remettre sur le trône. Mais il n'y était pas encore bien raffermi et la division régnait parmi les grands. Ebroïn, ayant rassemblé des troupes en Austrasie, forma un parti contre Thierry et afin de ne point passer pour un rebelle, il fit répandre le bruit que Clotaire III avait laissé un fils nommé Clovis à qui appartenait la couronne et qu'il ne prenait les armes que pour maintenir le droit de ce prince. Cette imposture lui réussit si bien que, grossissant tous les jours son armée, il se rendit maître de plusieurs provinces, fit mourir par trahison Leudèse que l'on avait fait maire du palais après la retraite de Vulfoad en Austrasie, et se rendit redoutable au roi Thierry.

 

 l'évêque Léger, dans l'église
de St Léger les Authie (Somme)

 

  

 

Vulfoad écarté, Leudèse mort, Ebroïn semblait n'avoir plus à craindre que LEGER. C'était l'unique sujet de ses inquiétudes quoiqu'il en voulût plus particulièrement à Saint Genès de Lyon et à Saint Lambert de Mastricht. Deux seigneurs de la cour, le comte Gaimer, appelé duc de Champagne, et Désiré, surnommé Didon, évêque de Chalons, entièrement dévoués à sa passion, s'offrirent de lui livrer l'évêque d'Autun s'ils avaient des gens de guerre. Ebroïn leur envoya des troupes et Bohon, évêque de Valence qui avait été excommunié depuis peu et dégradé pour ses crimes, s'était joint à eux. Ils allèrent mettre le siège devant la ville d'Autun. Les principaux du clergé et du peuple qui avaient de l'affection et du respect pour leur évêque, lui conseillèrent de se retirer au plus tôt avec son argent. Mais il leur remontra qu'il valait beaucoup mieux l'envoyer au ciel à l'invitation de Saint Laurent, et se prépara à tout souffrir pour la justice. Il distribua donc tout ce qu'il avait d'argent aux pauvres, sans épargner sa vaisselle qu'il fit rompre et mettre en pièces pour cet effet. Il en usa de même à l'égard des trésors de son église et de l'argent que la charité des fidèles avait destiné à des usages de piété et le fit employer sur le champ au service des autels, aux besoins des pauvres ecclésiastiques et aux monastères de l'un et l'autre sexe qui étaient dans la nécessité. Il ordonna un jeûne de trois jours et fit une procession solennelle autour des remparts avec la croix et les reliques des saints. Il fit assembler ensuite tout le peuple dans la cathédrale, il demanda pardon à ceux qu'il pouvait avoir offensés dans la chaleur du zèle avec lequel il les avait repris de leurs vices et il exhorta tout le monde à servir dieu fidèlement dans l'union de la charité. Il se prépara ensuite au martyre, priant dieu de vouloir laver les taches de sa vie dans son sang, et s'efforçant d'obtenir cette grâce par ses larmes et par le pardon qu'il accordait par avance à ses ennemis.

Ceux de la ville d'Autun se défendirent d'abord contre les troupes de Gaimer et de Didon, mais LEGER, ne pouvant souffrir que tant de personnes innocentes exposassent leur vie pour conserver la sienne, aima mieux se livrer lui-même entre les mains de ses ennemis, persuadé qu'ils n'en voulaient qu'à lui. Il crut néanmoins qu'avant d'en venir à cette extrémité, il devait députer vers eux quelqu'un de la ville pour savoir ce qu'ils prétendaient. Il choisit pour cette mission l'abbé Méroald, qui s'adressa à l'évêque de Chalons et lui dit que, si les habitants d'Autun avaient été assez malheureux pour lui déplaire en quelques chose, il était venu le supplier de ne les point traiter avec rigueur et lui offrit toute la satisfaction qu'il pourrait souhaiter. Ce prélat lui répondit fièrement qu'il fallait qu'ils livrassent au plus tôt l'évêque LEGER entre les mains de Gaimer et qu'ils reconnussent pour souverain Clovis, fils de Clotaire. LEGER ayant reçu cette réponse fit assembler son peuple pour lui recommander de demeurer fidèle au roi Thierry qui était héritier légitime de la couronne, l'assura de la fausseté du bruit que ses ennemis faisaient courir sur la mort de ce prince et en même temps lui découvrit l'imposture sous laquelle ils supposaient un fils au roi Clotaire. Il fit entendre ensuite aux assiégeants qu'il avait promis devant dieu la foi au roi Thierry qu'il savait être plein de vie et qu'il aimait mieux mourir que de violer son serment.

 

fresque à l'intérieur de la chapelle St Léger de Lucheux (Somme)

 

Cette résolution du Saint irrita tellement ses ennemis qu'après avoir ravagé le territoire ils approchèrent des murailles pour y donner l'assaut et mettre ensuite le feu à la ville. LEGER comprit alors qu'il n'avait plus de composition à espérer d'eux et se senti pressé de sortir de la ville afin de la tirer du danger qui la menaçait en le détournant sur sa propre tête. Il reçut donc le saint viatique, fit une nouvelle exhortation à son peuple sur ses devoirs et, après avoir tenté de le consoler, il fit ouvrir les portes de la ville et se livra lui-même à ses ennemis. Ils se jetèrent sur lui avec une fureur démesurée, commencèrent par lui crever les yeux et les lui arrachèrent ensuite avec le fer. Il souffrit ce tourment avec tant de confiance qu'il ne voulut pas même qu'on le liât ni qu'on le soutînt.

Loin de se plaindre ou de gémir, il loua dieu à haute voix, chantant des psaumes dans tout le temps du supplice. Gaimer et Didon, s'étant rendus maître de la ville, l'abandonnèrent à la discrétion de Bohon cet évêque, ou plutôt ce tyran de la ville de Valence dont nous avons parlé. La ville d'Autun fut pillée, et ses ennemis, non contents de dépouiller les habitants, prirent encore tout ce qui était resté dans le trésor de l'église comme le prix de rachat de la ville. Leurs partages faits, LEGER fut mis sous la garde du duc Gaimer, qui reçut ordre d'Ebroïn de le traîner dans les bois pour l'y faire mourir de faim, de publier cependant qu'il avait été noyé, et de lui faire dresser un tombeau pour faire croire à la postérité qu'on ne l'avait traité qu'avec honneur. Gaimer le laissa quelques jours sans manger et le fit souffrir, conformément aux ordres qu'il avait reçus. Mais il fut si touché de la patience et du courage de cet illustre persécuté qu'il sentit son cœur s'attendrir de compassion et que, l'ayant fait conduire dans sa maison, il lui donna tous les soulagements qui lui étaient nécessaires. Les entretiens qu'il eut ensuite avec lui achevèrent son changement et, frappé de la crainte des jugements de dieu, il commença avec sa femme à honorer sa vertu et à chercher les moyens de réparer en quelque sorte l'injure qu'il lui avait faite. Il lui rendit l'argent de l'église d'Autun pour en faire ce qu'il jugeait à propos. LEGER, qui conservait la tendresse d'un vrai pasteur pour son peuple, le mit entre les mains de l'abbé Betton dont le fidélité lui était connue, avec ordre de le distribuer aux pauvres de la ville.

 

 

vitraux représentant Saint Léger, dans l'église de Lucheux (Somme)

 

Après avoir passé quelques temps dans la maison du duc Gaimer, LEGER fut transféré dans un monastère où il demeura l'espace de deux ans. Cependant la fable du faux Clovis ne pouvant plus se soutenir, Ebroïn se vit obligé de l'abandonner et de prendre d'autres mesures pour avancer ses affaires. Il alla rendre des soumissions au roi Thierry et lui offrit ses services. Et soit par la faveur, soit par la faiblesse des grands, il rentra dans la charge de maire du palais et devint plus puissant que jamais. Il employa aussitôt son autorité à se venger de ses ennemis et attaqua principalement la noblesse. Il ôta aux uns la vie, aux autres la liberté et les biens. Il n'épargna ni les évêques ni les abbés, ni même les religieuses lorsqu'elles étaient de qualité. Plusieurs des grands abandonnèrent la cour pour se soustraire à ses cruautés et se retirèrent au fond de l'Aquitaine ou dans l'Austrasie sous la protection du nouveau roi Dagobert II, fils de Sigebert qui était récemment arrivé d'Irlande où il avait été relégué près de vingt ans auparavant. LEGER vivait encore et la haine que lui portait Ebroïn semblait ne pouvoir finir que par sa mort. Quoiqu'il l'eût fait réduire à un point où il n'avait plus rien à craindre de lui, il ne laissait pas de le regarder en cet état comme son censeur perpétuel et il résolut d'achever sa perte. Afin de colorer sa vengeance de quelque apparence de justice, il eut recours à de nouvelles calomnies et fit courir le bruit que LEGER avait eut part à l'horrible attentat commis en la personne du roi Childéric. On le tira du monastère où il était et on l'amena devant le roi avec le comte Guérin son frère, homme qui était en grande réputation de probité. LEGER, à qui les disgrâces n'avaient rien diminué de son grand cœur, fit des reproches à Ebroïn sur son ambition et sa cruauté. Ce ministre l'entendant parler avec tant de liberté entra en fureur contre les deux frères et, après les avoir fait souffrir mille indignités en la présence du roi et de la cour, il les fit séparer pour leur ôter la consolation de se voir et de s'encourager par leurs discours et leurs exemples réciproques. LEGER exhorta son frère à la patience et à une soumission parfaite à la volonté de dieu, afin que ce qu'il souffrait pût servir à la rémission de ses péchés et la félicité éternelle de l'autre vie. Guérin ayant été tiré hors du palais fut attaché à un poteau et accablé de pierres. Il expira en priant dieu de lui faire miséricorde par les mérites de la mort de Jésus-Christ qui était venu appeler les pécheurs plutôt que les justes et de lui faire part de la gloire dont il avait comblé les saints martyrs qui lui avaient sacrifié leur vie dans un genre de supplice semblable au sien. L'église a toujours été persuadée qu'il avait été exaucé, c'est ce qui l'a portée à l'honorer tout publiquement comme un martyr.

LEGER eut fort souhaité de pouvoir mourir avec son frère si c'eut été la volonté de dieu. Mais Ebroïn qui l'aurait regardé comme une faveur aussi bien que lui le destinait à des supplices plus longs et plus cruels, se promettant de le jeter dans le désespoir et de lui faire perdre la couronne du martyre à laquelle il savait qu'il aspirait. La perte de la vue ne l'empêchait point de dicter une belle lettre de consolation sur le mort du bienheureux Guérin à sa mère Sigrade qui servait dieu dans le monastère de Notre Dame de Soissons sous l'abbesse Saint Etherie. Cette lettre que l'on nous a conservée et qui est l'unique monument qui nous soit resté de l'esprit de notre saint est toute pleine de sentiments de cette pure et ardente charité qui fait les saints, qui inspire du mépris pour les choses de la terre et de la tendresse même pour les ennemis.

 

 

 

 

 

 

 

 

Une représentation singulière :

Saint Léger céphalophore (= qui porte sa tête)
dans l'église de Peyrilhac (Haute-Vienne)

 

Après la mort de ce frère, Ebroïn, pour commencer le supplice de LEGER, le contraignit à marcher nus pieds dans un lieu plein de cailloux pointus comme des clous. On lui coupa ensuite les extrémités des lèvres et de la langue, on lui tailla les joues, on le dépouilla de ses habits et en cet état on le mena par des chemins pleins de boue où il ne pouvait se soutenir ni se conduire.

On croyait qu'après avoir aussi perdu l'usage des parties les plus nécessaires du corps, tant de douleurs qui étaient comme autant de morts jointes ensemble le porteraient à blasphémer le nom de dieu. Mais jamais la grâce de Jésus-Christ ne le fit paraître plus fort que dans les douleurs et l'affaiblissement où l'on avait réduit son corps. Il louait dieu sans cesse avec action de grâce en un langage que formait son cœur indépendamment de l'organe de la parole que les hommes lui avaient voulu ôter.

Ebroïn l'envoya ensuite en Normandie sous la garde de Waning, gouverneur du Pays de Caux, et le lui recommanda en des termes pleins d'insultes, marquant que ce n'était pas pour le laisser vivre qu'il le lui adressait, mais pour le faire périr de misère. On le mit sur un méchant cheval pour lui faire faire le chemin, mais il était tellement blessé par tout le corps et avait répandu tant de sang que l'on croyait qu'il devait bientôt expirer. Un abbé nommé Winobert l'ayant suivi de loin entra dans le lieu de son gîte et obtint de ses gardiens la permission de le voir pendant la nuit. Il le trouva étendu sur de la paille, couvert d'une vieille toile et si faible qu'il ne respirait presque plus. Mais il fut fort étonné ensuite de lui entendre prononcer des mots d'une manière assez intelligible, quoiqu'il crachât encore du sang. Depuis ce moment, la faculté de parler lui revint et se fortifia de plus en plus. On assure que l'on vit peu à peu repousser ou recroître ce que l'on avait coupé de la langue et des lèvres. Une infinité de personnes qui furent témoins de cette singularité ne purent l'attribuer qu'à un miracle de la puissance de dieu. Winobert, surpris de cette nouvelle merveille, manda la chose, tout transporté de joie, à Hermenaire, abbé de Saint Symphorien d'Autun et administrateur de l'évêché. Celui-ci vint en diligence visiter LEGER sans appréhender les ressentiments d'Ebroïn, fit panser ses plaies en chemin, lui donna un habit et pourvut à son entretien.

Lorsque le Saint fut arrivé dans la maison de Waning, sa langue et ses lèvres parurent si bien guéries qu'il parlait avec presque autant de facilité qu'un autre. Waning, qui était homme de bien et qui savait l'indignité avec laquelle le Saint avait été traité, ne douta point lorsqu'il l'entendit parler contre son autorité qu'il ne fût un grand serviteur de dieu. Il conçut une vénération particulière pour son prisonnier, fit en sorte qu'il ne manquât de rien, et cherchant à lui procurer toutes sortes de consolations, il le mena à l'abbaye de Fécamp qu'il avait bâtie pour des religieuses depuis quinze ou seize ans.

LEGER, pour ne pas laisser inutile le talent de la parole que dieu lui avait rendu, y fit des prédications aux religieuses et aux peuples voisins et convertit plusieurs personnes. On ajoute que, tout aveugle qu'il était du corps, il ne laissait pas d'offrir tous les jours le sacrifice. Il employait presque tout son temps à chanter les louanges de dieu ou à des œuvres de pénitence et de charité et n'en donnait que fort peu aux besoins du corps. Ayant appris que ses persécuteurs, Didon, évêque de Chalons, et le duc Gaimer qui s'était fait depuis évêque de Troyes, avaient encouru l'indignation d'Ebroïn et avaient été punis de mort après avoir été dégradés et déposés en concile, il les pleura sincèrement comme s'ils eussent été des amis et n'eut point la vanité de croire que dieu eut voulu venger sur eux son innocence. Ce n'était pas pour favoriser LEGER qu'Ebroïn avait traité de la sorte ces prélats qui n'avaient été que les ministres de sa cruauté à son égard.

 

Dans le petit oratoire à l'entrée de l'église de Gosnay (Pas de Calais), le vitrail de Saint Léger

 

Il entreprit de le faire finir enfin comme eux, s'endurcissant de plus en plus contre toutes les marques de protection que dieu donnait à LEGER dont la vertu lui faisait encore ombrage en l'état où il l'avait réduit. Il donna l'ordre qu'on le tira de Fécamp et qu'on l'amena au concile que le roi Thierry avait assemblé. Afin de lui faire perdre la réputation de sainteté qu'il avait acquise devant les hommes, il le fit presser dans l'assemblée de se confesser qu'il avait été complice de la mort du roi Childéric. Quoiqu'il protestât hautement qu'il était très innocent de ce crime et qu'on n'eût ni preuve ni soupçon contre lui, on ne laissa point de le traiter en criminel et, pour marque de dégradation, on lui déchira sa robe, afin qu'il ne pût plus célébrer la messe. Ebroïn, qui ne paraissait point surpris de l'entendre parler après l'ordre qu'il avait donné de lui couper la langue et les lèvres depuis deux ans, et qui se vantait tout haut qu'il saurait bien lui ôter la gloire du martyre qu'il ambitionnait, le fit mettre entre les mains de Robert, comte du palais, avec ordre de lui couper la tête. Cet homme le conduisit aussitôt chez lui au pays d'Artois et, le voyant tout abattu de la fatigue du chemin, voulut lui faire donner à boire. Comme on lui en présentait, on dit qu'il parut sur sa tête un phénomène en cercle de lumière qui effraya ceux qui le virent et leur fit juger que LEGER était l'ami de dieu. Sa présence fut un sujet de bénédiction pour la maison de Robert. Ses domestiques et les voisins, touchés du désir de travailler à leur salut, confessaient à l'envie leurs péchés et demandaient à LEGER le remède de la pénitence. Robert même eut quelques pensées de se convertir, mais ce mouvement fut arrêté par un nouvel ordre qui lui vint de la cour de ne pas laisser LEGER vivre plus longtemps. Sa femme eut un extrême déplaisir qu'il reçut une si odieuse commission et elle craignait que dieu ne vengeât sur sa famille le sang de son serviteur. LEGER fut obligé de la consoler et de l'assurer que dieu n'impute point les fautes d'autrui à ceux qui n'y ont point de part. Robert, ne pouvant plus négliger ni différer son ordre, le livra à quatre de ses gens pour l'aller exécuter dans un bois éloigné de là, parce qu'il ne voulait point être présent à sa mort. Lorsque ceux-ci eurent mené LEGER dans le fond de la forêt, trois d'entre eux se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de la malheureuse nécessité où ils étaient d'obéir à leur maître. LEGER les bénit, leur fit une courte exhortation et pria dieu, les genoux en terre, pour eux et pour tous ceux qui étaient coupables de sa mort. Mais pendant que ces trois demeuraient prosternés devant lui et lui devant dieu, le quatrième, qui était un homme fier et brutal et qui se tenait debout, l'épée nue, lui abattit la tête d'un seul coup. Voyant que le tronc du corps demeurait dans la première situation, il lui donna un coup de pied pour l'abattre. Mais il fut saisi d'une frayeur, puis d'un vertige qui se tourna en frénésie et qui le fit se jeter dans un feu où il brûla.

Cette mort du saint arriva le troisième jour d'octobre de l'an 678 selon le premier auteur de sa vie, qui avait été témoin d'une grande partie de ses actions, quoiqu'un autre en même temps l'ait mise au jour précédent.

Ebroïn avait donné l'ordre de cacher son corps dans un puits dont on devait boucher l'ouverture avec de la terre, afin que les peuples ne lui rendissent point d'honneur. Une prévoyance de cette nature n'était point sans exemple parmi les païens dans le temps où les persécuteurs savaient que les chrétiens honoraient les reliques et la mémoire de ceux que l'on faisait mourir pour leur religion. Mais on ne peut assez admirer l'inquiétude qu'avait ce méchant homme pour ôter la gloire du martyre avec la réputation de sainteté devant les hommes à ceux qu'il persécutait sous des prétextes de politique ou pour des intérêts particuliers. C'est à quoi il faisait servir non seulement une prétendue piété qui lui avait fait bâtir quelques monastères et distribuer quelques aumônes, mais encore l'amitié qu'il entretenait avec Saint Ouen évêque de Rouen, Saint Réol évêque de Reims, Saint Draufin évêque de Soissons, Agilbert évêque de Paris, et quelques autres vertueux prélats qui, par faiblesse ou par surprise, devenaient quelquefois les instruments de la passion de ce ministre contre leurs confrères ou d'autres serviteurs de dieu.

Les soldats n'ayant point trouvé de puits dans le bois pour y jeter le corps de LEGER le laissèrent sur la place, et le femme du comte Robert eut soin de le faire enterrer avec ses habits dans une chapelle du village de Sercin-en-Artois [actuellement Sus Saint Léger, entre les diocèses d'Arras et d'Amiens, au nord de Doullens], sur les confins du diocèse de Cambrai et de Terouenne.

 

 

 

 

 

 

 

 

Eglise de Sus St Léger (Pas de Calais)

St Léger, voulant éviter aux habitants d'Autun les horreurs d'un siège, se livre à ses ennemis.

Le saint est imberbe, c'est à noter..

 

 

 

Sa cause aurait pu demeurer douteuse dans le monde, après sa mort, par les artifices de ses ennemis qui ne manquaient pas de ressources pour noircir sa mémoire. Mais dieu prit la défense de son serviteur et justifia autrement son innocence par les miracles dont il honora son tombeau et dont il se servit pour apprendre aux hommes qu'il l'avait couronné dans le ciel. Ebroïn en entendit parler et son inquiétude qui devenait insensiblement son bourreau lui fit envoyer secrètement un de ses gens au tombeau du saint pour observer ce qui s'y passait. Ce député mourut à son retour avant que de pouvoir rendre compte à Ebroïn, et peut-être que dieu le permit ainsi pour nous faire redouter ses jugements à l'égard de ceux qui se rendent indignes de sa miséricorde. Ebroïn, résistant de son mieux aux reproches de sa conscience, n'oublia rien pour étouffer le gloire du nom de St LEGER qui commençait à éclater de tous côtés ; mais dans le temps qu'il semblait devoir succomber à ces vains efforts, il fut malheureusement assassiné en allant à matines un jour de dimanche au commencement de l'été 681. Le roi Thierry lui ayant substitué dans la charge de maire du palais Waraton pour les royaumes de Neustrie et de Bourgogne et Pépin de Harstal pour celui d'Austrasie où il était rentré après la mort de Dagobert II, ouvrit les yeux sur la conduite que son ministre avait tenue à l'égard de Saint LEGER. De sorte qu'étant mieux informé de ce qui le regardait, il commença à honorer sa mémoire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Eglise de Sus St Léger (Pas de Calais)

le martyre de Saint Léger

 

 

 

Trois évêques, Ansoald de Poitiers, Ermenaire d'Autun et Vindicien d'Arras et Cambrai, s'étant rendus à la cour avec plusieurs autres prélats pour une affaire importante, y eurent une grande contestation touchant les reliques de notre saint, se disputant l'avantage de les posséder.

Ansoald y prétendait comme parent du saint et parce qu'il avait commencé à servir l'église dans la ville et le diocèse de Poitiers où il avait passé la plus grande partie de sa vie ; Ermenaire soutenait que selon l'usage on devait rendre son corps à son épouse et que l'église d'Autun dont il avait été l'évêque avait un droit sur cela dont on ne pouvait le frustrer sans injustice ; Vincidien alléguait qu'on ne devait point ravir ce sacré dépôt de son diocèse, puisque la divine providence avait voulu que le saint y trouvât la fin de ses travaux et qu'elle y glorifiait son tombeau par tant de miracles. L'affaire fut portée au conseil du roi et des grands du royaume ; mais comme les raisons des trois prélats paraissaient également spécieuses, les autres évêques qui étaient du nombre des juges crurent qu'il était de la piété publique d'avoir recours au ciel par la prière et le jeûne. Après cela on prit les placets ou requêtes des trois prélats contendans, on les mit sur l'autel et on les couvrit d'un voile. On célébra solennellement la messe et sur la fin du sacrifice l'un des ministres tira les placets et il se trouva que celui d'Ansoald était venu le premier. On adjugea donc à ce prélat d'une commune voix les reliques de Saint LEGER et on lui donna la permission de les enlever.

Ansoald chargea de ce soin le vénérable Audulphe, abbé de Saint Maixent, qui les leva au milieu du mois de mars 679 et les fit transporter dans son monastère dont le saint avait eu autrefois la conduite avant qu'il eût été appelé à la cour par Clotaire III et Sainte Batilde. Les miracles qui avaient commencé à son tombeau en Artois suivirent son corps dans le Poitou. Audulphe, qui l'accompagnait dans le convoi, en recueillit quelques-uns, dont il envoya la relation à l'abbesse Ermane qui l'en avait prié. Il lui marqua qu'il en omettait beaucoup d'autres parce que le seul récit de ceux qu'il avait vus de ses propres yeux aurait un volume plus gros que le psautier. Il s'en fit encore d'autres à Poitiers où on laissa quelque temps les reliques du saint dans les églises de St Hilaire et de Ste Radegonde pour satisfaire la dévotion des peuples. De là on les porta à Saint Maixent dont les religieux, le regardant comme l'un de leurs abbés, crurent recevoir leur saint pasteur qui revenait chez eux en triomphant, avec la palme du martyre.

L'évêque Ansoald, voulant signaler la vénération qu'il avait pour le saint, y fit bâtir en son honneur une grande église d'une stature toute nouvelle et tout à fait différente de celle des autres temples. Lorsqu'elle fut achevée, il y transporta solennellement les reliques.

L'auteur de toute cette histoire, qui vivait alors et qui était exactement instruit de toutes choses, n'a point remarqué que l'on eût laissé la tête de notre saint dans le lieu de sa sépulture. Néanmoins les moines de Saint Vaast d'Arras prétendent l'avoir dans leur église et la montrent enchâssée dans un reliquaire de vermeil doré. Ils assurent que Saint Vindicien, l'un des trois évêques contendans et le principal fondateur de leur monastère, l'avait retenue pour en honorer son nouvel édifice. Mais on ne croit pas qu'ils aient aucun titre d'en faire foi, à moins qu'ils n'en produisent pour nous persuader qu'elle leur aurait été renvoyée de Saint Maixent dans la suite des temps. D'un autre côté, les moines de Maymac en Limousin soutiennent qu'ils possèdent la tête de Saint LEGER avec une de ses mains, dans leur abbaye.

 

reliquaire de St Vindicien et de St Léger - cathédrale Saint Vaast d'Arras

 

Dès le 8e siècle on avait une prétention semblable dans l'abbaye de Murbach (en Allemagne, au diocèse de Bâle) qui subsiste encore aujourd'hui en Alsace avec le titre de principauté de l'empire près de Colmar et de Mulhausen sous la protection du roi de France. Ce fut à cette occasion qu'un moine allemand composa en ces temps là une nouvelle vie de notre saint, parce que les deux premières, qui sont originales, étaient trop sincères et trop simples à son goût.

Les moines de Jumièges au diocèse de Rouen sur le Seine et ceux de St Pierre des Préaux sur la Rille au diocèse de Lisieux montrent aussi parmi leurs reliques la tête d'un saint martyr qu'ils soutiennent être celle de Saint LEGER d'Autun et les derniers produisent une châsse donnée l'an 1183 par l'un de leurs évêques nommé Raoul pour y servir de titre. Cela n'empêche pas les religieuses de Notre Dame de Soissons de soutenir qu'elles ont dans le trésor de leurs reliques la tête de Saint LEGER avec celle de Saint Guérin son frère, et même le reste de leurs corps. Pour accorder quelque chose à leurs prétentions, on peut leur laisser croire que l'on aura été curieux d'avoir dans la suite des temps quelque relique des deux frères dans une abbaye où leur mère Sigrade avait été religieuse. La contestation n'est pas moins grande sur la possession du reste du corps de Saint LEGER que sur celle de son chef. Elle est disputée aux moines de Saint Maixent en Poitou par ceux de St Gérard de Broigne au diocèse de Namur, par ceux d'Ebreuil au diocèse de Clermont en Auvergne, par ceux du prieuré de Souvigny au même diocèse dans le Bourbonnais et encore par les religieuses de Notre Dame de Soissons qui ne se contentent pas de son chef. Il est aisé de comprendre comment toutes les parties pourraient avoir raison, pourvu qu'aucune d'elle ne prétende pas produire le corps entier du saint, ou que l'on n'y montre pas les mêmes ossements en deux endroits. Il est fâcheux seulement que l'on ne soit pas suffisamment éclairci sur le temps et la manière dont on veut que les saintes reliques aient été démembrées et transférées de Saint Maixent dans tous ces lieux.

Il se trouve encore des reliques du nom de Saint LEGER en divers endroits et l'on ne s'étonnera point d'une si grande distraction si l'on considère combien il était difficile aux moines de Saint Maixent d'en refuser à leurs hôtes qui leur en demandaient lorsqu'ils fuyaient de ville en ville avec le corps du saint martyre pour tâcher de se garantir de la fureur des Normands qui faisaient leurs ravages jusqu'en Poitou. L'ayant enlevé avec celui de Saint Maixent leur premier abbé, ils le porteront premièrement en Bretagne, de là en Auvergne, puis en Bourgogne jusqu'à Auxerre. On ajoute que, l'ayant rapporté en Poitou après que la tranquillité fut rendue au pays, ils l'envoyèrent tel qu'il leur était resté, c'est à dire sans tête et sans bras à Ebreuil sur la fin du 10e siècle lorsqu'on y eut bâti le monastère dont l'église fut consacrée sous son nom, avec le corps de Guérin son frère qu'ils avaient recouvré. On montre un des bras de Saint LEGER dans l'abbaye de Fécamp au Pays de Caux où il avait demeuré près de deux ans, et l'autre dans celle de Basle en Champagne au diocèse de Reims. On voit aussi de ses reliques dans diverses églises de Paris, à Notre Dame, à St Merry et au Val de Grâce, à Boissy Saint Léger et quelques ossements à Saint Maixent où l'on dit qu'on les rapporta après coup. Les yeux mêmes que le saint avait perdus de son vivant se sont retrouvés après sa mort, si l'on s'en rapporte au témoignage de ceux qui croient les posséder : on en montre un dans l'abbaye Saint Victor de Paris dont Saint LEGER est le second patron et où il a une chapelle et l'on dit que l'autre se garde dans l'abbaye de Saint Denis en France.

On peut juger de là quelle étendue le culte de Saint LEGER a eu en France dès le siècle même où il est mort. On ne peut nombrer la multitude des églises dressées en son honneur dans tout le royaume et dans les pays bas.

Tous les martyrologes du 9e siècle marquent sa fête au second jour d'octobre, en quoi ils ont été suivis par la plupart des modernes et surtout du romain qui y fait son éloge et qui y joint aussi la fête de Guérin son frère qu'il appelle Saint Guérin martyr. Cependant, il paraît, par des calendriers plus anciens que ces premiers martyrologes, que l'on faisait la fête de Saint LEGER le 3e de ce mois, ce qui a duré au moins jusqu'au temps de Louis le Débonnaire, conformément à l'autorité du plus grave d'entre les écrivains de sa vie. C'est ce qu'on peut confirmer encore par l'ancien martyrologe de Gellone ou de Saint Guillem du Désert, que l'on assure avoir été composé du temps de Charlemagne. La fête de la translation est marquée en divers martyrologes au 16 de mars, par où il paraît que l'on a voulu honorer celle qui s'était faite du lieu de la sépulture en Artois à Saint Maixent en Poitou. Celle de la réception de ses reliques à Broigne au comté de Namur se célèbre le 11 avril.

 

 

 

 "Vie de Saint Léger, Evêque d'Autin"
par un moine de St Symphorien d'Autun qui vécut auprès du saint
La Vie de Saint Léger, évêque d'Autun
vers 980 - manuscrit de la bibliothèque de Clermont-Ferrand
 "Saint Léger - La Légende Dorée"
de Jacques de Voragine, nouvellement traduite en français - 1261-1266
 "De St Léger, évêque et martyr", par le R.P. Simon Martin
Les Nouvelles Fleurs des Vies des Saints - 1654
 "Saint Léger - 2 octobre"
Les Vies des Saints - 1724
 "Histoire de saint Léger, évêque d'Autun et martyr"
par le R.P. Dom Pitra - 1846
 "Saint Léger - son martyre - sa première sépulture à Lucheux"
par l'abbé Théodose Lefèvre - 1884
 "saint Léger, évêque d'Autun, martyr"
Imprimeur E. Petithenry, Paris - vers 1900
 "Vie de Saint Léger"
par le R.P. Camerlinck, de l'Ordre des Frères Prêcheurs - 1906
 "Léger, d'Autun"
par
Dom H. Leclercq - 1929
"Eléments pour une étude sur la diffusion du culte de Saint Léger"
parue dans "la revue du Bas Poitou" tome IV - 1971
 "Saint Léger - fête le 2 octobre - 3 octobre"
La Légende Dorée d'Autun, par Denis Grivot - 1974
"Saint Léger", par Denis Grivot,
Maître de Chapelle Honoraire de la Cathédrale d'Autun
 La prédication sur Saint Léger faite à l'église protestante
de St Légier la Chiésaz (Suisse) - 1997
 
 "Saint Léger, évêque d'Autun et martyr"
2 homélies du Père Alexandre, St Léger sous Beuvray - 1998 et 2003
 "Saint Léger, porte-parole des élites bourguignonnes"
tiré du Journal de la Bourgogne - 2002
 "le bon et la brute" ou "Léger contre Ebroïn"
sur le très joli site "Auxonne, capitale du Val de Saône" - 2009

 

 

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