Chers parents,
Je
vous écris comme je vous l'avais dit auparavant de partir.
Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, ce n'est pas de ma
faute.
Vous le savez, nous avons parti de Cholet
que le samedi par le train d'une heure. Nous étions 8
tirailleurs et 18 chasseurs. Nous avons arrivé à
Bressuire à 2h, à Saintes à 8h15. C'est
là que nous avons eu le plaisir de voir une belle gare, nous
avons resté 2h.
Ainsi débute la 1ère lettre que
Valentin écrit à ses parents de Blidah, le 24 novembre
1882, à 2h du soir.
Nous avons, pour un plus grand confort de
lecture, volontairement "corrigé" les rares fautes
d'orthographe de Valentin, mais nous avons tenu à ne rien
changer à son style, témoin de l'époque
où à St Léger on parlait le "patois du coin".
Parfois, pour plus de lisibilité encore, nous avons
ajouté un peu de ponctuation.
Beaucoup de ces lettres sont adressées
à ses "chers parents" Jeanne et Pierre, certaines à sa
"chère soeur".
Nous avons longtemps cru qu'il s'agissait de Françoise, de 6
ans sa cadette, qui se mariera plus tard, curieusement 2 semaines
avant Valentin, avec l'instituteur Bondu.
Mais, en fouillant dans les archives
municipales, notre surprise a été grande de
découvrir Valentine, née 2 ans après Valentin.
Où se trouvait-elle en 1882, alors âgée de 19 ans
? A la maison elle aussi ? Partie de chez elle ? Etait-ce elle qui
lisait à ses parents les lettres de Valentin et qui y
répondait ? Jeanne, la maman, devait savoir lire et
écrire : elle a signé le registre lors de son mariage.
Pierre, le père, n'a pas signé. Savait-il lire ? Sans
doute non.
Nous retrouvons la trace de Valentine en 1887, lorsqu'elle se marie,
et Valentin est témoin à son mariage.
voir "La vie de Valentin" ou cliquer ici 
Valentin glisse parfois quelques mots gentils
pour son Francis de petit frère. En 1882, Francis n'a que 9
ans, et Valentin veut parfaire son éducation :
Maintenant, mon cher Francis, j'ai une
petite recommandation à te faire : c'est de faire tout ton
possible pour apprendre. Je sais bien qu'aujourd'hui tu en comprends
pas l'importance, mais si jamais tu fais un soldat, c'est là
que tu le comprendras. Crois-moi : fais ton possible et, plus tard,
tu en seras content.
Ces lettres datent de 120 ans, et certaines
n'ont pu résister au temps, ou, pour être plus exact,
à l'oeuvre des mites. Si vous croisez certaines de ces
bestioles, merci de les écraser de notre part !
Quels mots contenaient celle-ci ? On y devine,
on y déchiffre péniblement (et on enrage de ne faire
mieux) :
La première fois que je l'ai vu, l'on était au
gymnase, et la seconde fois c'est vendredi soir. C'est de quoi qui
est incompréhensible. Le sirocco, c'est un vent qui vient du
désert, mais chaud, un air qui vous brûle, c'est ce qui
a eu lieu vendredi soir à Blidah.
On n'en saura pas plus. Mots mangés
à tout jamais. Dentelle ridicule !
Valentin garde sa part d'ombre.
Que sont, elles aussi, devenues les lettres
qu'ils recevaient ?
Et le brave Zacharie Fortin, l'ami de Valentin, le "héros"
récurrent de ces lettres ?
Valentin, à Blidah, orthographe de
l'époque, s'essaie, et c'est bien normal, à parler
arabe.
Il l'écrit aussi, avec son orthographe
à lui, et tout notre problème a été de
retrouver ses mots.
Dans notre quête, Djamila, découverte via Internet (Vive
la Toile lorsqu'elle sert à rapprocher les peuples !) nous a
été d'un grand secours. Qu'elle soit ici
remerciée !
En fait, "Ouarah, Blidah, ouarah ?", ce qui
signifie "Où es-tu, Blida, où es-tu ?".
Valentin exprime ses regrets pour Blida où il était
bien plus à l'aise.
voir "22 août 1883" ou cliquez ici 
Ecrits sur papier beurre (le papier devait
être rare au Tonkin !), ces quelques milliers de mots, en un
recto-verso étourdissant, nous donnent, par la petite porte,
de précieux renseignements sur la guerre du Tonkin.
voir "21 novembre 1885" ou cliquer ici 
agrandissement ici 
... Il y a eu beaucoup de retard à
cause d'une triste maladie : le choléra, qui était
parmi les troupes. Les premiers atteints ont été des
zouaves venant d'Hanoi. Ensuite, l'artillerie, puis les tirailleurs
enfin. Dans tous les corps de troupes, il y a eu des cas...
Je ne vous raconte pas beaucoup de choses qui se sont passées,
ça serait trop long et trop triste !
Nous nous sommes embarqués à Bac Hat le 11 octobre sur
la canonnière Le Jacquin. Nous avons débarqué le
12 et jusqu'au 24, impossible de dire ce que nous avons souffert. Il
y avait des jours où on était trempés depuis le
matin jusqu'au soir, en dessus par la pluie et en dessous par la
sueur. On avait des sacs qui étaient lourds : 20 paquets de
cartouches plus 6 jours de vivres de réserve. Il y avait des
jours où on passait plus de 10 fois dans l'eau et
jusqu'à la ceinture. Souvent, les mulets chargés avec
les canons et les munitions tombaient. Il fallait les relever.
C'était pas une vie
Livret
militaire
72e Régiment
Territorial d'Infanterie, stationné à
Cholet

l'ancienne caserne de Cholet
le livret militaire de
Valentin
|
Le présent livret, contenant
soixante-huit pages, appartient à :
Nom (écrit en bâtarde) : Baudry
Prénoms : Valentin Adrien
Surnoms : néant
né le 6 avril 1861 à Saint Léger,
canton de Beaupréau, département de Maine et
Loire
résidant à Saint Léger, profession de
marchand
fils de Baudry Pierre et de Braud Jeanne Madeleine,
domiciliés à Saint Léger
cheveux et sourcils châtain foncé, yeux gris,
front ordinaire, nez moyen, bouche moyenne, menton rond,
visage ovale, taille 1 mètre 66
centimètres
Jeune soldat appelé de la
classe de 1881 (1ère portion) de la subdivision de
Cholet, n°8 de tirage dans le canton de
Beaupréau
A Cholet, le 1er juillet 1882
Signé : le Commandant du bureau de
recrutement
N° au registre matricule de
recrutement : 436
Campagnes :
- En Afrique du 18 novembre 1882 au
17 avril 1885
- Au Tonkin du 18 avril 1885 au 3
juin 1886
- En Afrique du 4 juin 1886 au 17
juin 1886
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Les
tirailleurs algériens
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Issue
des "bataillons indigènes" recrutés
dès le 1er octobre 1830, soit 3 mois
après le débarquement à
Sidi-Ferruch, une unité formant corps fut
créée le 10 février 1840,
comprenant un escadron de spahis et 4 compagnies
d'infanterie.
En
1841, 3 bataillons de "tirailleurs
indigènes" furent formés, avec
officiers français parlant arabe et
officiers musulmans. A partir de 1843, ils prirent
les caractéristiques d'une troupe
régulière et l'uniforme qui leur fut
donné resta à peu de chose
près le même jusqu'en 1914 : pantalon
et veste bleu ciel, caban bleu foncé,
ceinture et chéchia rouges. Le tombeau de la
veste, ou fausse poche, distinguait l'origine des
bataillons : garance pour celui d'Alger, blanc pour
celui d'Oran, jonquille pour celui de
Constantine.
C'est
dans cet uniforme que fut créé, le 9
mars 1853, le "régiment de tirailleurs
algériens". En 1856 furent formés 3
régiments, un dans chaque province : le 1er
à alger, le 2e à Oran, le 3e à
Constantine.
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Plus
connus sous le nom de "turcos", ils participent à
toutes les campagnes du second Empire et de la IIIe
république : guerres de Crimée (1854-1855) et
d'Italie (1859), campagne du Sénégal
(1860-1861) et de Cochinchine (1861-1864), guerre du Mexique
(1862-1867), guerre de 1870-1871 en Lorraine, campagnes de
Tunisie (1881-1883), du Tonkin (1883-1886), de Madagascar
(1895), colonnes de pacification en Algérie, au
Sahara, opérations au Maroc de 1907 à 1912.
Les qualités des contingents algériens
incitèrent le gouvernement à en tirer un plus
grand parti pour étoffer l'armée
française, surtout devant les marées
impérialistes allemandes du début du XXe
siècle.

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tirailleurs
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Tous ces
régiments disparaîtront définitivement
en 1962. Un seul subsiste, le 170e RI d'Épinal
Golbey, qui conserve les traditions des régiments de
tirailleurs et, depuis 1994, est devenu le 1er
Régiment de Tirailleurs.
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Certificat de bonne
conduite
1er régiment de
tirailleurs algériens
19e Corps d'armée
Division d'Alger
73e Brigade
La Commission Spéciale du 1er
Régiment de Tirailleurs Algériens,
instituée en exécution du Règlement du
28 décembre 1885 sur le Service intérieur des
troupes d'Infanterie
Certifie que le Né Baudry
Valentin Adrien, Tirailleur de 1ère classe, matricule
5828, né le 6 avril 1861 à St Léger,
canton de Beaupréau, département de Maine et
Loire, taille de un mètre 660 millimètres,
cheveux et sourcils châtain foncé, yeux gris,
front ordinaire, nez moyen, bouche moyenne, menton rond,
visage ovale,
A tenu une bonne conduite pendant le
temps qu'il est resté sous les drapeaux, et qu'il y a
constamment servi avec honneur et
fidélité.
La présente attestation est
donnée sur la proposition du Capitaine de la 2e
Compagnie et du chef du 3e Bataillon auxquels appartient le
Né Baudry Valentin Adrien, Tirailleur de 1ère
classe, matricule 5828, après examen du registre des
punitions en ce qui le concerne.
Punitions subies durant les deux
dernières de présence sous les drapeaux : 0
jour, dont 0 de prison et 0 de cellule.
Fait à Blidah, le 28 Juin
1886
Signé : le Président de la Commission
spéciale
Approuvé : le Général de
brigade
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Médaille
commémorative
de l'Expédition du Tonkin, de la Chine et de
l'Annam
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République
Française
Ministère de la Guerre
Cabinet du Ministère
Médaille
commémorative
de l'Expédition du Tonkin, de la Chine et de
l'Annam
Les Membres du Conseil
d'Administration du 1er Régiment de Tirailleurs
Algériens certifient que le sieur Baudry Valentin
Adrien, Tirailleur de 1ère classe, matricule 5828,
a fait partie de l'Expédition
du Tonkin, etc., et a obtenu la Médaille
commémorative instituée par la loi du 6
septembre 1885.
A Blidah, le15 janvier
1886.
Signé : le Major, le
Trésorier, l'officier d'habilitation, le Capitaine,
le Lieutenant-Colonel président
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La
médaille du Tonkin
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Elle
fut instituée par la loi du 6 septembre 1885
et accordée à tous les militaires et
marins ayant pris part à l'expédition
du Tonkin et aux opérations militaires
dirigées contre la Chine et l'Annam, de 1883
à 1885.
Cette attribution fut prolongée jusqu'au 1er
octobre 1895 pour les militaires ayant
participé, après 1885, aux
opérations au Tonkin, en Annam, au Cambodge,
au Siam et dans le
Haut-Mékong.
L'insigne
est en argent. A l'avers, l'effigie de la
République casquée. Au revers,
"Tonkin - Chine - Annam 1883-1885" et, au centre,
les noms de : "Sontay, Bac-Ninh, Fou-Tchéou,
Formose, Tuyen-Quan, Pescadores".
Elle
fut attribuée à Valentin, comme
à près de 100 000 hommes.
Si la sienne a perdu son ruban jaune aux 4 rayures
verticales vertes, ce n'est pas bien grave.
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Là
n'est pas le problème. La question est plutôt :
avec quels yeux Valentin, des années plus tard,
regardait-il cette médaille, lui qui, de Bac-Hat,
avait trempé dans l'encre "Si un jour je retourne au
pays, je serai heureux de revoir ces lettres qui me
rappelleront cette triste, longue et pénible campagne
du Tonkin
" ?
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Vous me direz ce qu'il y a de
nouveau depuis que je suis parti.
Votre fils et frère qui vous aime et vous
embrasse.
Baudry Valentin, 1er régiment de tirailleurs
algériens, Blidah, Algérie
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retour
accueil
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retour
Valentin
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