Le
23 septembre 1830 (1),
"sur les neuf heures du matin, à la réquisition de Jean
REVILLET tuteur", Nicolas CORSIN, "notaire à la
résidence de Tramayes", se transporte au domicile des VALENTIN
à La Garde "à l'effet de procéder à
l'inventaire des meubles, effets et denrées
délaissés par les dits défunts mariés
VALLENTIN et THOMAS".
Jean THOMAS de Dompierre les Ormes, subrogé tuteur, est
présent.
"Sieurs Léger BERTOUD et
Claude BONNETAIN", tous deux propriétaires cultivateurs de
Saint Léger, sont choisis comme "experts
appréciateurs".
Ils sont "plus que majeurs" condition requise "et acceptent la
commission de vaquer à l'estimation des meubles, effets et
denrées qui leur seront représentés
par
serment prêté entre nos mains d'estimer les dits objets
en leur honneur et conscience
"
Léger BERTOUD est le beau
frère de Jean-Benoît, veuf de sa sur Claudine
décédée en 1811. Il a soixante ans. Claude
BONNETAIN est le voisin des VALENTIN à La Garde.
"Avant de procéder à
l'inventaire, (le notaire) requiert les tuteur et subrogé
tuteur de déclarer si il leur était dû quelque
chose par la succession des défunts
(Ils) ont
déclaré qu'il ne leur était rien
dû."
Ustensiles de cuisine : pain,
soupe
et gaufres au miel ! Outils de travail : de quoi en faire
un fromage ! Mobilier, bétail
une vache vaut deux
armoires !
Alors commence l'inventaire.
Défile devant nous la liste des "objets usuels" d'un
cultivateur en Mâconnais à l'époque de la
Restauration : ustensiles de cuisine, outils de travail, mobilier,
bétail.
Les termes utilisés pour leur description sont souvent
locaux.
Le "Dictionnaire du monde rural" de Marcel LACHIVER nous fournit bien
des explications. Afin de ne pas alourdir le récit, elles sont
indiquées en notes de bas de page.
Beaucoup des articles décrits
sont "mauvais" : mauvais draps, mauvais lit, mauvais rideaux.
C'est-à-dire vieux, usés, défectueux, de peu de
valeur. Ce sont surtout les couchages qui sont usagés et le
mobilier d'usage quotidien.
Quelques-uns de ces "objets
délaissés" sont estimés haut, c'est le cas
notamment des deux "beaux meubles" de la maison :
- "un cabinet
(2)
ferré et fermant à clef à deux tiroirs" vaut
30 francs.
- "un cabinet à deux portes
et deux tiroirs" n'est estimé que 24 francs.
Peut être car il est "sans serrure" !
Ce meuble est très
vraisemblablement celui apporté en dot par Benoîte
THOMAS pour son mariage avec Jean Benoît VALENTIN.
Dans leur contrat de mariage en 1811, cette précision
importante : "et spécialement la future épouse
un
meuble à deux portes fermé et fermant à clef en
menuiserie en bois midi ?, un lit garni d'une coétre (couette)
et traversin de plumes." On retrouve également ce lit dans
l'inventaire.
(1) Le copiste a écrit "ce
jourd'hui trois septembre" mais c'est une erreur car à cette
date Jean-Benoît est encore vivant ! La date du 23 est
confirmée au dos de l'acte.
(2) Le cabinet est une armoire ou petite armoire. Le cabinet est, un
peu partout, l'armoire à linge ou à
vêtements.
"Dans un des tiroirs sont des papiers
dont la description est renvoyée à la fin de
l'inventaire" note le notaire. Ces papiers sont, depuis,
conservés dans notre famille. Ils ont fait l'objet de
développements importants dans les chapitres
précédents.
Mais ce qui vaut surtout "cher" dans
les estimations, c'est le bétail : une vache est
estimée à 72 francs
"une autre vache" 30
francs
une génisse 54 francs
un cochon 22
francs.
Les premiers articles de l'inventaire
nous prouvent que les VALENTIN fabriquent leurs fromages avec le lait
des vaches : il y a, à La Garde, tout le matériel
nécessaire ! Ils préparent aussi, comme beaucoup alors,
leur pain et leurs salaisons de viande de porc. La famille se
retrouve probablement autour d'une grande marmite de soupe. Elle
déguste même parfois des gaufres faites maison,
peut-être avec du miel.
Ceux qui seraient curieux "des choses
telles qu'elles étaient" avant la modernisation de la France
rurale peuvent lire (entre autres) les deux chapitres : "Le pain
quotidien" et "De la subsistance à l'habitat" qu'Eugen WEBER
consacre aux paysans dans "La fin des terroirs."
N°
|
ARTICLES DE
L' INVENTAIRE
|
ESTIMATION
|
1
|
"deux chauches
(3),
un grand porte-écuelle
(4)
et l'autre petit, le tout en fer"
|
1 franc 50
|
2
|
"une fourchette en
fer pour le feu, une servante ou douzelle
(5)
aussi (en) fer, une mauvaise salière en
bois"
|
1
franc
|
3
|
"un seau
ferré avec sa poche
(6),
en bois, deux petites sellières en sapin
(7)
et un couloir fer blanc
(8)"
|
2
F
|
4
|
"huit pots en
terre, cinq écuelles aussi (en) terre, une
en fayence, cinq assiettes fayence, quatre
cuillières et trois fourchettes en
fer"
|
1 F
80
|
5
|
"cinq bouteilles et
une chopine (en) verre noir, deux pots en terre,
une autre chopine (en) verre noir
(9)"
|
60
centimes
|
6
|
"un panier (en)
ozier et deux corbissous
(10)
aussi (en) ozier, un petit salloir avec son
couvercle (11)"
|
1 F
50
|
7
|
"une marmite
numéro trente cinq et une autre
numéro dix avec leurs couvercles"
|
8
F
|
8
|
"un fer à
gauffre"
|
5
F
|
9
|
"une petite table
quarrée avec son tiroir"
|
2
F
|
10
|
"un marteau, des
tenailles, une petite faussille
(12)
et environ deux kilos de ferraille"
|
2
F
|
|
(3) Pilon en bois pour tasser la
vendange dans les bennes
(4) Porte écuelle ou porte assiette : cercle de métal,
de bois ou d'osier tressé qu'on met sous les plats. En
Mâconnais, l'écuelle est un moule à fromage en
terre ou en fer blanc, synonyme de faisselle.
(5) Espèce de grille semi-circulaire qu'on peut suspendre
à la crémaillère par une anse et qui sert
à poser les récipients à manche, comme
poêle à frire, casserole
(6) "La poche", c'est peut-être ici le sac simple en toile mais
cela peut être aussi "une louche percée pour
écrémer le lait
pour égoutter le
fromage."
(7) Sellière = salière : petit vaisseau de bois
où l'on met du sel et que l'on pend au jambage de la
cheminée de la cuisine pour tenir le sel sec
(8) Le couloire est une sorte de passoire, en forme d'écuelle
à fond de toile ou de crin, qu'on utilise pour faire couler le
lait qu'on vient de traire et le filtrer. C'est aussi un
récipient à fond percé de trous pour
égoutter les fromages frais.
(9) Chopine : ancienne mesure de capacité pour les liquides. A
Mâcon, il existait une chopine de 0,757 litre pour les
liquides.
(10) Corbissou : autrement dit un corbillon, une petite corbeille
(11) Le saloir est un "vaisseau de bois ou grand pot de grès
destiné à recevoir les viandes qu'on veut saler", pour
les conserver.
(12) Il faut évidemment lire "faucille."
N°
|
ARTICLES DE
L' INVENTAIRE
|
ESTIMATION
|
11
|
"une patière
avec son couvercle en chêne
(13)"
|
5
F
|
12
|
"un petit banc avec
quatre chaises empaillées"
|
1
F
|
13
|
"un vessellier
(14)
à deux portes et trois tiroirs
y
compris le rayon sur le dit vessellier"
|
5
F
|
14
|
"un cabinet
à deux portes et deux tiroirs sans
serrure"
|
24
F
|
15
|
"un autre cabinet
ferré et fermant à clef à deux
tiroirs"
|
30
F
|
16
|
"une veste et un
pantalon en printannière ?, quatre napes,
sept chemises"
|
5
F
|
17
|
"deux draps de
lit"
|
1
F
|
18
|
"une petite
couchette d'enfant en bois (de) peuplier garnie de
deux mauvais draps et une couverture (en)
étoupe (15)"
|
4
F
|
19
|
"un mauvais lit
à quatre colonnes, sans ciel, garnie d'une
coétre (en) balavoine
(16),
deux draps, traversins balavoine, mauvais rideaux
devant et derrière, tier laine"
|
12
F
|
20
|
"dans la cour, un
mauvais char avec ses quatres roues ferrées
et d'araizes ? (17)"
|
22
F
|
21
|
"deux mauvaises
poêles en fer, deux mauvaises fourches, deux
besselons (18)
et un pic ?"
|
1 F
60
|
22
|
"deux roues de
chariot ferrées, une commassure
(19)
avec son mauvais tombereau sans roue
(20)"
|
2
F
|
23
|
"dans une chambre
sous la cuisine, un mauvais lit, deux mauvaises
feuillettes défoncées
(21),
six mauvais benons (22)
pour le pain"
|
3
F
|
24
|
"deux
perçoires, une serpe, un dard ou
faux"
|
3
F
|
25
|
"dans
l'écurie, une vache (au) poil blanc et
jaune"
|
72
F
|
26
|
"une autre vache
blanche"
|
30
F
|
27
|
"et une
génisse (au) poil jaune
(23)"
|
54
F
|
28
|
"un
cochon"
|
22
F
|
29
|
"un mauvais
joug"
|
50
centimes
|
30
|
"quatre faucilles
et un char de charue (24),
un prouet (25)
en fer, une fochée
(26)"
|
3
F
|
31
|
"dans le grenier,
trois ruchers en paille pour abeilles
(27)"
|
1
F
|
32
|
"trois
sacs"
|
1 F
50
|
33
|
"environ vingt deux
boisseaux de grain (28),
non estimé attendu que le tuteur a
été autorisé à en faire
l'usage prescrit par la délibération
des parents précitée
(29)"
|
|
|
(13) La patière est en
Mâconnais la maie, le pétrin servant aussi de table
à manger.
(14) Il s'agit, bien sûr, d'un vaisselier, meuble pour ranger
la vaisselle.
(15) L'étoupe est la partie la plus grossière de la
filasse obtenue après avoir été
débarrassée de tous les débris de
chènevotte. Elle sert alors à rembourrer les matelas et
confectionner des couvertures.
(16) La coétre balavoine est une couette garnie de balle
d'avoine, c'est-à-dire remplie de l'enveloppe des épis
d'avoine récupérés après le battage des
grains.
(17) Probablement une forme régionale de "areau" : araire,
charrue sans avant-train pour le labourage des terres
légères.
(18) Besselon : en Mâconnais, bêchelon, piochon, petite
binette
(19) Peut-être une "commissure" : avant-train du char
utilisé pour le charroi des bois
(20) Charrette entourée de planches servant à
transporter du sable, des pierres
(21) Mesure de capacité pour le vin, 105 litres environ
à Mâcon
(22) Benon ou bennon : corbeille à pain
(23) Jeune vache qui n'a pas encore porté
(24) Probablement un instrument pour labourer avec un avant-train
articulé
(25) Prouet en fer (on dit aussi proulière : chaîne ou
petit timon de 2,50 à 3 m de longueur qu'on accroche au timon
pour l'allonger quand on veut atteler plus d'une paire de
bufs)
(26) Fossoir : sorte de houe à lame plate et pleine, pour
sarcler les pommes de terre
(27) Autrement dit, des ruches !
(28) Mesure de capacité pour les grains, un boisseau
égale environ 20 livres de blé soit presque 10 kg.
(29) Délibération du Conseil de famille devant la
Justice de Paix de Tramayes du 16 septembre 1830
"Aux présentes est intervenu
Jean-Marie VALLENTIN, frère du défunt
cultivateur
demeurant au dit Saint Léger, lequel déclare qu'il doit
à la succession de ce dernier une somme de cent francs, pour
prêt que lui a fait il y a quelques temps le dit défunt
Jean Benoît VALLENTIN, exigible depuis le mois de juin
dernier."
"Pour sûreté de paiement, Jean-Marie VALLENTIN
déclare qu'il affecte et hypothèque ses biens
situés tant au dit Saint Léger qu'à Trambly,
consistant en bâtiment, pré et terres."
"Suit la description des titres et papiers
" : 14 documents sont
répertoriés.
Entre autres :
"numéro 1 : expédition du mariage de Jean-Benoît
VALLENTIN et Benoîte THOMAS, reçu Me ROYER, notaire, le
vingt sept mai dix huit cent onze"
"numéro 2 ; expédition d'une vente de deux mille francs
pour Claude et Benoît VALLENTIN, père et fils, de Me
Antoine DELACHARME, reçu Me CHAIX, le vingt trois avril dix
huit cent huit"
Ces deux documents, absents des
archives familiales, furent, nous l'avons vu, heureusement
retrouvés au cours de nos recherches !
"Tous les meubles, effets,
denrées, bestiaux, titres et papiers qui se sont
trouvés dans le susdit domicile où sont
décédés les dits Jean-Benoît VALLENTIN et
Benoîte THOMAS, au dit lieu de La Garde
De tout quoi le
dit Jean REVILLET tuteur consent de demeurer chargé pour en
rendre compte quand il en sera requis."
"Le montant du présent inventaire s'élève, sauf
erreur de calcul, à la somme de trois cent vingt sept francs."
(327 francs)
L'inventaire est "clos
sur les
deux heures du soir" (cinq heures de travail !)
Les témoins sont Pierre PHILIBERT, Benoît THEVENET, tous
deux propriétaires cultivateurs à St Léger. Tous
signent le procès verbal rédigé sur place "non
le dit Jean-Marie VALLENTIN ni le dit THOMAS subrogé tuteur
pour ne le savoir."
L'acte est enregistré à Tramayes le 1er octobre
1830.
Michel
Guironnet
février 2004

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vers St
Léger sous la Bussière
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